LA FEMME LA PLUS RICHE DU MONDE de Thierry Klifa (2025) par Luc B.
En plein débat sur la taxe Zucman, le film de Thierry
Flika tombe bien à propos. L’affaire Bettencourt reconstituée (en partie) à l’écran,
mais avec d’autres noms (pourquoi tant de pudeur ?). Liliane Bettencourt est devenue Marianne Farrère, sa
fille Françoise Bettencourt-Meyers devient Frédérique Spielman, et François-Marie
Banier est rebaptisé Pierre-Alain Fantin. Les personnages ont aussi été
rajeunis.
Pour cette chronique, j’utiliserai les véritables patronymes (même pas peur)
Résumé
rapide de l’affaire. En 1987, pour redorer sa communication, la patronne du
groupe l’Oréal, Liliane Bettencourt, accepte de faire la une du magazine "Egoïste" (rebaptisé Selfish...),
photographiée par François-Marie Banier. Le photographe fantasque entre dans la
vie de la milliardaire comme une tornade qui dévaste tout sur son passage, une relation
ambiguë se noue entre eux, il devient son confident, elle devient son mécène,
il lui soutirera pendant des années des sommes astronomiques. Françoise
Bettencourt-Meyers, qui a senti l’escroc à plein nez, finira par porter plainte
pour abus de faiblesse (l’affaire a été jugée, Banier condamné).
Il y avait
deux angles pour raconter cette histoire. Un Boisset, un Chabrol auraient
choisi le pamphlet politique, Thierry Flika opte pour la comédie tendance
vaudeville de luxe, du moins dans sa première partie. Et ça fonctionne très
bien, grâce à l’abattage des comédiens, notamment Laurent Lafitte très en verve en dandy mondain choucrouté, grande folle en surchauffe, aux répliques graveleuses, obscènes, souvent irrésistibles. Sa manière de moquer le style vieux jeu, d'insulter le personnel de l’hôtel particulier est assez
réjouissante, « Raus la bonnicherie ! ».
Personne ne bronche, car la reine mère trouve le personnage amusant,
l’inverse des cire-pompes qu’elle côtoie au quotidien. La vieille reprend goût
à la vie, s'ouvre au monde. On émettra tout de même des réserves quand l’héritière de l'Oréal s'encanaille jusqu'à sniffer des poppers en boite de nuit, même jouée par le stradivarius Isabelle
Huppert. Etonnant chez elle cette façon de la jouer facile, sans se forcer, et de surprendre au détour d'un regard, d'une intonation, pour caractériser son personnage. Je lui ai trouvé d’ailleurs de faux airs de Catherine Deneuve, qui
aurait pu s’acquitter du rôle. Marina Foïs se tient plus en retrait, mais son rôle le veut, fille rejetée, voire humiliée, affublée d’une coupe de cheveux abominable. André Marcon n’en est pas à son
premier rôle de grand bourgeois dépassé par les évènements, il assure le job, Raphaël Personnaz est troublant à souhait en
majordome zélé, Mathieu Demy excelle en gendre falot.
On aura compris que les
dialogues aux petits oignons servis par cette troupe chevronnée est l’atout du film, plus que la mise en scène un brin proprette.
Thierry Klifa croque avec délice les dérèglements
de cette famille d’ultra riches. Une des répliques récurrentes de Bettencourt
est « c’est mon argent, j’en fais ce que je veux ». Pour la bar
mitsva de son petit-fils, elle lui offre un chèque : « tiens mon grand,
ton premier million » ! Scène d'autant plus délectable que sous le vernis bourgeois ressurgit (ah, ces journalistes !) le passé bien enfoui de l'antisémitisme de M. Bettencourt. Qui doit céder sa place au conseil d’administration à son genre, la
caution juive de la famille.
Et le poison s'immisce insidieusement, la comédie s’assombrit. Un Banier de plus en
plus offensif qui profite des pertes de mémoires de Liliane, Laurent Lafitte inquiète, regard noir, obnubilé par la perte de sa poule aux œufs d’or. A mon sens, Klifa ne
pousse pas assez loin les curseurs, il mordille plus qu'il ne mord, reste dans le
registre de la comédie bourgeoise, trop bienveillant à mon goût. Dans sa deuxième partie, il aurait fallu
dépasser la simple reconstitution des faits, s'en servir de tremplin vers un jeu de massacre vitriolé. Puisque le film est inspiré de... autant y allait carrément. On sent l'empathie du réalisateur pour ses personnages, mais l'empathie ça va deux secondes, à un moment, faut leur rentrer dans le lard.
Le film finit par ronronner gentiment, qui
aurait pu être relancé par le pan politique de l’affaire (le financement de la
campagne présidentielle de Sarkozy en 2007), un aspect évacué, dommage. De même,
un François Ozon (avec un Melvil Poupaud ?) aurait injecté du malaise, une
dimension sexuelle, tout juste efflorée ici (Banier / Bettencourt, le mari / le
majordome), notamment lors des scènes en Grèce, à la manière du THEOREME de Pasolini.
LA
FEMME LA PLUS RICHE DU MONDE se regarde avec plaisir, du bel ouvrage, labélisé qualité
française. On regrettera une mise en scène trop classique, sage, inévitables champ / contre champ aux moindres dialogues. Un style qui sied
parfaitement au début de l’intrigue, symétrie des cadres pour traduire le corsetage social, mais qui n’évolue pas, et au final manque
d’audace.
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