vendredi 19 septembre 2025

SIRAT de Olivier Laxe (2025) par Luc B.


 

J’ai eu une envie (pressante) de voir ce film dès le petit extrait diffusé au moment de Cannes, où SIRAT* a reçu le prix du jury. On y voyait Sergi Lòpez au volant d’une voiture, en plein désert. C’est tout, c’est peu, mais suffisant. Y’avait un truc dans ces images qui se démarquait du tout venant, un je ne sais quoi d’oppressant, de brutal. 

A l’issue de la projection, car évidemment ce genre de film se regarde sur grand écran, les références se bousculent, évidentes et assumées : MAD MAX, LE SALAIRE DE LA PEUR, ZABRISKIE POINT, LA COLLINE A DES YEUX. Pas les plus mauvais.

Le réalisateur franco-espagnol Olivier Laxe cite volontiers Andreï Tarkovski et Robert Bresson parmi ses maîtres à filmer. C’est dire si on va se marrer. Je retiendrai surtout Bresson, effectivement, car ici le travail avec la caméra est très sobre, loin de la virtuosité des plans séquences de Tarkovski. Bresson, c’est la pureté du geste, l’austérité, les gros plans signifiants. Qu’on retrouve dans SIRAT dès le départ, avec ces mains qui bâtissent un mur d’enceintes, bien alignées. Puis un panoramique tout simple nous montre l’ouvrage achevé, au pied d’une montagne dans le désert du sud marocain.


C’est là que se prépare une rave-party, clandestine. La musique techno de David Kangding Ray envahit le désert, rebondit en échos sur les montagnes, les raveurs (in french) dansent sous substances. Un plan d'ensemble en plongée, fixe, qui instaure une distance froide. Entassé dans ce cadre rigide, un monde à part : des piercés, des tatoués, entre punks gothiques et hippies 2.0, une communauté de marginaux, éclopés de la vie. Les blessures sont visibles. A Tonin il lui manque une jambe (géniale scène où avec son moignon entouré d’un torchon, comme une marionnette, il chante « Le déserteur » de Vian, on pense au Chaplin de LA RUEE VERS L'OR). Et à Bigui, il lui manque un bras. Et sous sa crête de punk – un postiche - une calvitie précoce…

SIRAT commence comme un trip halluciné, le rythme est lent, pesant, écrasé par la chaleur et la sécheresse du lieu. Quand débarquent Luis (Sergi Lòpez) et son fils Estaban, 10 ans, ils détonnent dans le décor. Luis cherche sa fille, distribue des tracts avec photo et numéro de téléphone. Tout le monde est très gentil, mais personne n’a vu cette fille. Quand l’armée marocaine débarque, coupe le son et renvoie chacun chez soi, Tonin, Bigui et leur potes prennent la tangente. Aussitôt suivi de Luis, qui ne les lâchera pas. Là où ils vont, sa fille y sera peut être.

L’intrigue minimaliste se limite à ces quelques lignes. Deux camions et une voiture qui tracent dans le désert, et comme on dit, ce n’est pas le point de chute, mais le voyage qui compte. L’histoire de la fille de Luis ? Un prétexte, on n’en saura pas plus. Ce qui prévaut c’est l’immensité et l’apprêté du décor, hostile. Laxe filme les pieds nus sur le sable, les rochers, le vent, la poussière, et ces gens paumés, comme des survivants après l’apocalypse (MAD MAX). 

Comment qualifier SIRAT ? Un road-movie existentiel, avec épreuves obligées. La traversée d’une rivière, l’ascension d’une montagne (LE SALAIRE DE LA PEUR) avec ses gros plans sur les roues au bord de l’abîme, et au fur et à mesure une menace sourde qui s’immisce (LA COLLINE A DES YEUX). Des messages entendus à la radio sur une guerre, des mouvements de l’armée, un champ de mine, des soldats (« t’es un gamin, tu vas me tirer dessus parce que je pisse ? ») des files d’attente aux stations services.

Je ne peux, évidemment, révéler ce qu’il se passe exactement dans ce film. J’ai rarement ressenti une salle abasourdie de la sorte. Une bascule dramatique d’autant plus inattendue que filmée sans effet, silencieusement, comme un mauvais trip, avec cette distance froide toute bressonienne. Surtout pas d’émotion, c’est vulgaire.

SIRAT, tourné en pellicule Super 16, à la texture rugueuse, est un film peu dialogué. Du français, de l’espagnol, un peu d’anglais. Un film comme déconnecté du temps, le petit groupe traverse le désert sans carte, sans Gps ni téléphone, comme dans les westerns : « faut aller vers le sud ». C’est précis ! 

A part l’acteur Sergi Lòpez, paumé parmi les paumés et qui à sa manière sera aussi amputé, les autres sont des amateurs (Bresson encore), ça se voit, sans doute pourquoi ça sonne vrai. On est pas loin de l’expérience sensorielle, voire mystique, avec cette superbe scène de transe (un des gars prépare une mixture, que du naturel…) en plein désert. On pense aussi, en vrac, à THE MISFITS de John Huston, un AGUIRRE d'Herzog en plein désert, voire au LIVE IN POMPEI des Pink Flyod, dans un autre genre. Un film d’errance, de perdition.

Deux options : 1) on se laisse porter par le contemplatif, la fixité, la durée des plans, alors le temps et le tragique agissent. 2) on n’accroche pas au style, gêné par le filmage et l’interprétation bruts, la musique omniprésente (élément inséparable de la mise en scène) et on décroche. Ce serait dommage, car c'est du grand cinéma, splendide mais radical.

 


Couleur - 1h55 - format 1:1.85 – super 16.

*Sirat : dans la philosophie musulmane, un pont plus fin qu'un cheveu et plus tranchant qu'une épée, suspendu au-dessus de l'enfer, qui sépare les croyants des non-croyants, que chacun doit traverser, dernier obstacle vers le paradis ou l’enfer.

11 commentaires:

  1. En effet, les plans, la photographie proposés sur la bande annonce sont captivants. Et le grain de la pellicule est plaisant à l'œil.
    Hélas... un gros bémol... la techno 🙄

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  2. Je ne suis pas plus connaisseur que toi en techno, mais franchement, c'est la musique qu'il fallait pour ce film là. Elle te rentre par tous les pores, ça vibre dans les tympans.

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    1. Argh... ça y est ! Tu as corrompu tes esgourdes ! Probablement un excès de batterie - c'est bien connu : les batteurs frappent comme des sourds 😁

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    2. Shuffle Master.23/9/25 20:49

      Non Môssieur (tous) les batteurs ne tapent pas comme des sourds. La preuve: je vais être recruté par un trio acoustique.

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    3. Excellent 👍😄

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    4. Un trio acoustique ? Rassure-moi, tu vas pas jouer du jazz quand même ?

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  3. Tiens, j'écoute tout Gyasi, c'est vachement bien, notamment le live. Impression d'avoir entendu ça cent fois, mais c'est pas grave. Les intonations Robert Plant sur certains titres pourraient être sujettes à procès... Mais bon, le Bob passerait son temps au tribunal si on dressait la liste des clones...

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    1. Gyasi, au contraire de bien d'autres, ne fait pas mystère de ses influences. Et si sa musique peut éveiller l'intérêt pour le Rock des années 70, il n'en est que plus heureux.
      Mieux : lorsqu'on lui reproche certaines similitudes - avec des œuvres de cette période -, il prend ça comme un compliment. Mais jamais (du moins à ma connaissance), il ne réfute les analogies.
      Ses études à Berkley auraient pu l'amener à autre chose, mais d'après ses dires, c'est bien le glam qui le fait vibrer. Ainsi que des groupes comme Led Zeppelin. D'ailleurs, l'influence de ce dernier est assez prégnante sur le live. Notamment dans toutes les (semi) improvisations.
      Le live, justement, offre une facette nettement plus débridée et crue - voire franchement hard-rock - de Gyasi.

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  4. Très bonne presse, ce Sirat, confirmé par la bande-annonce ...

    Si ça repose sur des rave parties, la techno s'impose. Comme le disco sur Saturday Night fever, du classique sur Barry Lyndon ou de l'indus sur Fury road ...

    Je connais un peu Gyasi. Il veut faire du Bowie-Bolan circa 72-73 et il y arrive plutôt bien ...

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    1. Pas que, Lester. Pas que. Indéniablement, certaines pièces sont effectivement du Bowie-Bolan, mais on pourrait aussi bien mentionner Led-Zep 69-69 et Motth The Hoople comme influences prégnantes.

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  5. Shuffle Master.23/9/25 20:51

    J'ai un copain qui l'a vu. Il a effectivement été abasourdi, et pas par la musique.

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