mercredi 2 juillet 2025

Rick DERRINGER - R.I.P. - 5.08.1947 - 26 mai 2025



     Est-ce que le nom de Rick Derringer vous évoque quelque chose ? Oui ? Non ? Pourtant, tout le monde, à moins de vivre sur une île du pacifique coupée du monde « civilisé » ou en ermite dans une grotte, vous avez forcément entendu, un jour ou l’autre, au moins une de ses chansons. Car mine de rien, ce petit gars, issu d’un bourg perdu dans l’Ohio, a composé pas mal de succès repris maintes fois. Aujourd’hui encore, servant parfois aussi de bande son pour quelques séries ou films.

     Rick est né un 5 août 1947 sous le nom de Richard Dean Zehringer, à Celina (une p’tite ville d’à peine plus de 5500 habitants). La passion de la musique, il la tient d’abord de ses parents qui déjà, dans les années 50, possédaient une belle collection de disques. Mais il a son « épiphanie » lorsque, à huit ans, il entend des sons ensorcelants provenant de la cuisine. Il s’y précipite et voit – et entend - son oncle jouer de la guitare. Il sut alors quelle direction allait prendre sa vie. Dans l’année, il reçoit sa première gratte.

     Le succès arrive assez tôt. Il n'a pas encore dix-huit quand The McCoys, le groupe qu’il a monté quelques années auparavant, avec son frère Randy (à la batterie), grimpe à la première place des charts, en 1965, avec le célèbre "Hang On Sloopy". Si la chanson est l'œuvre des auteurs compositeurs Wes Farrell et Bert Berns, et qu'il a déjà été enregistré, avec un certain succès, en 1964, sous le titre "My Girl Sloopy", c'est bien avec The McCoys qu'il prend sa forme définitive et sa dimension intemporelle, inscrivant à jamais le groupe des frères Zehringer dans l'histoire musicale étatsunienne. Leur musique s'émancipe et devient plus aventureuse, s'aventurant dans le jazz et dans le psychédélisme


   Cependant, ce succès est un boulet pour le groupe, condamné par leur label qui ne veut pas les voir enregistrer - et jouer - autre chose que des reprises - choisies ou tolérées - et de la Pop. Ce n'est qu'en 1968, en signant avec Mercury, qu'ils peuvent enfin se libérer et prendre à loisir quelques risques. Après "Infinite McCoys", "Human Ball" élargit encore son horizon en développant d'intéressants moments où fleurissent blues, blues-rock, jazz et country. Entre l'Electric Flag, Steve Miller Blues Band et Chicago Transit Authority. En matière de guitare, Rick s'y dévoile particulièrement compétent - fluide, précis et pertinent. Mais les deux opus sont des flops et les McCoys n'intéressent quasiment plus personne.

     Jusqu'à une rencontre qui va changer radicalement la donne. En effet, en 1970, The McCoys s'acoquine avec Johnny Winter. Les deux entités fusionnent, tournent ensemble et enregistrent un premier album : le fameux "Johnny Winter And".  Initialement, cela devait être "Johnny Winter And The McCoys", mais la maison de disques, Columbia, à cause du passif "pop bubble-gum" des McCoys, trouva plus opportun de ne garder que le "And". C'est l'occasion pour Rick de transformer son patronyme en Derringer. Un changement autant entraîné par la volonté de se couper d'un passif "Pop" qui lui colle aux fesses, que pour adopter un nom plus facile à prononcer et à retenir. Le jeune frère suit un peu le mouvement, et un adopte un Randy Z.

     Rick co-produit avec Johnny l'album, et révèle ses talents de compositeur avec quatre morceaux parmi les meilleurs du disque. Dont le célèbre "Rock and Roll Hoochie Koo", tant de fois repris. A l'exception de Randy, c'est la même équipe qui déchire sur le "Johnny Winter And Live". Johnny empêtré dans ses addictions, Rick est alors alpagué par un autre frangin, Edgar Winter. Qui garde toujours un œil sur les bons éléments qui transitent chez les copains et chez son frère. Rick se retrouve à la production du formidable "Edgar Winter's White Trash", où, en plus des chœurs, il joue de la guitare sur deux morceaux. Puis il devient le guitariste du groupe pour la tournée suivante. Sur "Roadworks" (1972), autre excellent live de la décennie (avec l'ex-McCoys Randy Jo Hobbs à la basse), son nom apparaît en gras sur la pochette recto, et sur la pochette intérieure, sa photo est aussi grande que celle d'Edgar - déjà une certaine consécration. Encore une fois, il donne un sérieux coup de pouce à Johnny Winter pour son album "Still Alive and Well". En plus du beau "Cheap Tequila", il remet à l'albinos sur un plateau d'argent la chanson éponyme qui devient un nouveau classique - régulièrement et indifféremment repris par des combos de blues-rock et de heavy-rock (1). 

     En à peine deux années, Rick revient sur le devant de la scène, avec un nom qui, sur la scène nord américaine, va avoir du poids pendant toute la décennie. Pendant un petit moment, il est le producteur attitré des frères Winter, jouant occasionnellement sur leurs albums. Guitariste assez versatile, à la fois raffiné et mordant, utilisant les effets avec parcimonie et à bon escient, il est aussi demandé par les studios. A ce titre, il est déjà sollicité en 1971, pour jouer le solo de "Under My Wheels" sur "Killer".


   Mais Rick prétend à plus de reconnaissance, et entame ainsi une carrière solo avec un premier album "All American Boy". Un bel album assez varié, avec quelques prestigieux invités - le James Gang de Joe Walsh, Edgar Winter et Bobby Caldwell -. Sur la ballade "Hold", qui frôle le pompeux sans y tomber, il reprend les paroles d'une artiste qui, si elle n'a pas encore sorti d'album, commence à faire sérieusement parler d'elle à New-York : Patti SmithIl n'abandonne pas pour autant les frères Winter, avec lesquels les relations vont au-delà du professionnalisme. Et en 1975, paraît même un disque intitulé "The Edgar Winter Group With Rick Derringer", sympathique quoique sans grand éclat.

     Etonnamment, si les albums de Rick sont de bonne tenue, ils sont loin d'avoir la densité de n'importe quel disque des frères Winter auxquels il a participé ; en tant que musicien, compositeur et/ou producteur.  Même lorsqu'il reprend à son compte ses "vieux" classiques initialement composés pour d'autres, ils paraissent, en comparaison, comme anémiés. Son chant, bien que juste et honorable, en est principalement responsable par sa fébrilité. La production elle-même, invraisemblablement, n'a pas autant de force que celle présente sur les albums des Winter. Problème de budget ?

     En 1976, il souhaite renouer avec l'esprit de groupe. Il fonde en conséquence Derringer - histoire de bien faire comprendre, au cas où, que c'est bien un groupe, mais que c'est lui le patron. On y retrouve un Vinny Appice de 19 ans, le bassiste Kenny Aaronson (ex-Dust et Stories et futur "un paquet de monde") et le guitariste Danny Johnson (futur Private Life, Rod Stewart, Alcatrazz, Alice Cooper, John Kay, Carmine Appice). Une première galette convenable, vite oubliable, trahissant l'hésitation d'une troupe cherchant ses marques. Le second essai, "Sweet Evil", rectifie le tir. Nettement plus équilibré, plus sensiblement Hard-rock (avec quelques épices choisies directement importées du clan Aerosmith), l'album, en dépit d'une seconde face qui dérape un peu, laisse entrevoir une possibilité de fricoter avec les grands du heavy-rock US. Toutefois, comme en témoignent le live "Derringer Live" et "Live in Cleveland", c'est sur scène que cette formation s'épanouit et révèle tout son potentiel. Mais le projet tourne court, Appice et Johnson préférant voler de leurs propres ailes (avec le trio éphémère Axis - un seul disque, mais digne d'estime). La parenthèse "Derringer" se referme en 1977 sur un troisième album studio sans relief.

     Rick finit les années 70 avec un troisième album solo, le consistent "Guitars and Woman" (salué par la critique, y-compris en France), qui s'inscrit habilement comme un chaînon manquant entre un hard-rock carré typé fin 70's et les prémices du Rock FM. Probablement trop confiant, Rick entame la nouvelle décade avec un "Face to Face" sans intérêt. Après un second et terrible faux-pas, avec le duo avec Carmine Appice, "DNA", pour une musique sans saveur, abâtardie dans des tonalités froides et synthétiques, les années 80 sont consacrées aux diverses collaborations. Une certaine amitié se crée avec Cindy Lauper qu'il accompagne sur plusieurs tournées (il joue alors souvent avec ses horribles Steinberger sans tête et sans forme). Il co-écrit avec elle "Calm Inside the Storm" et joue un peu sur les albums "True Colors" et "A Night to Remember". En même temps, il s'attèle à promouvoir en musique le cirque de la "World" Wrestling Federation (le World se résumant aux USA...) avec un album et des clips où sont conviés catcheurs haut-en-couleurs et musiciens (dont lui-même, Meat Loaf, Cindy Lauper). Le succès engendré incite à renouveler l'expérience deux ans plus tard, cette fois-ci avec bien moins de répercussion.


   Et puis, autant titillé par une nouvelle vague de guitar-heroes et le renouveau du Blues, il fait son retour en se réinventant bluesman. Ou plutôt heavy-bluesman, car Rick, plus que jamais, fait parler la poudre et envoie les watts. En 1993, un incendiaire et soûlant "Back to the Blues", promu par le Blues Bureau, l'antenne Heavy-Blues de Mike Varney, est une grosse claque avec de la gratte à tous les étages. A croire que Little Rick était passablement courroucé de voir tous ces poseurs se faire mousser en répétant leurs gammes (à vitesse vertigineuse), et qu'il a voulu leur montrer de quel bois il se chauffait. Rick parvient à en faire des tonnes sans être répétitif, fusionnant les Johnny Winter et Frank Marino d'antan, parfois avec une dose bienvenue de Stevie Ray. Sa voix elle-même a suffisamment gagné en rugosité pour évoquer l'albinos texan (il paraîtrait que Rick a une sacrée descente...). Sans inquiéter l'Irlandais balafré, il fait tout de même sensation auprès des amateurs de Blues sur-électrifié - tout en horrifiant les puristes -, et même de hard-rock furibard à la Nugent. Certes, il s'y révèle assez bavard, parfois à la limite assommant, et on peut regretter qu'il n'ait pas varié les plaisirs en changeant de guitare (là, c'est du tout Fender Stratocaster) et en les agrémentant de pédales d'effets, mais Rick assure et fout la honte à bien des prétendants au statut de nouvelles sensations blues-rock, appuyés par des grosses boîtes. Avec le bien nommé "Blues Deluxe" (peut-être son meilleur dans le style), en se contenant, en évitant d'envoyer quasi systématiquement la sauce, en faisant preuve de subtilité, il aurait pu être l'une des nouvelles têtes de file d'un Blues-rock biberonné au heavy-rock 70's. Hélas, Rick n'est ni un jeunot contorsionniste et grimaçant, ni vraiment une vieille gloire, et n'intéresse donc pas les médias - du moins à l'exception des revues de guitares.

      En 2001, un vieux briscard qu'il a maintes fois croisé, Carmine Appice, fait appel à ses services pour l'accompagner sur la route, avec son ancien binôme Tim Bogert, afin de ressusciter le répertoire du Beck, Bogert and Appice. Dans la foulée, le trio réalise un album de Hard-rock, "Doin' Business As...", sorti sans aucune promo, dans l'indifférence générale. L'album a tout de même de bons moments et a été le sujet d'une réédition.

      Tout en continuant à réaliser des disques de blues-rock, plus ou moins bons, - avec une brève parenthèse smooth-jazz avec l'album "Free Ride" -, il poursuit ses collaborations, retrouvant notamment occasionnellement Edgar Winter, ou plus régulièrement Ringo Starr et son All-Star Band. Effectuant aussi parfois des prestations pour des œuvres de charité. Peter Frampton le convie pour une grande tournée consacrée à la guitare, le Guitar Circus Tour. Avec son épouse, Jenda, (la troisième), il enregistre des disques de musique chrétienne des plus fades, faisant passer sa ballade la plus mièvre qu'il est composée, pour une power-ballad de cuir et de clous.

     En mars 2025, il doit subir un pontage coronarien. Mais alors qu'il semblait rétabli, sa santé décline à nouveau, entraînant une hospitalisation sous soins intensifs. En l'absence de tout espoir, il est débranché et, inconscient, décède le 26 mai 2025, à 77 ans.

 

Norbert Krief : « Ton héritage musical continue de résonner dans le cœur de tes admirateurs dont j’ai toujours fait partie. Ta musique a été la bande-son de ma vie. De “Hang On Sloopy” à “Rock and Roll, Hoochie Koo”, chaque note de ta guitare a résonné en moi, m’inspirant et m’accompagnant partout. Ton talent, ton énergie et ta passion ont laissé une empreinte indélébile dans le monde de la musique et dans mon cœur. Merci pour tout ce que tu nous as offert.

Ta musique, ta voix et ta guitare continueront de faire vibrer les âmes et d’unir les cœurs. Bon voyage Rick »



(1) Excellente version de The Four Horsement, ouvrant l'album "Gettin' Pretty Good... At Barely Gettin' By..."

💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸💀🎸


🎼


🎼

Articles liés : 

💢 Johnny Winter : "Live at the Fillmore East 10/03/1970

💢 Axis : "It's a Circus World" (1978)


2 commentaires:

  1. La disparition de Rick Derringer comme celle récente de Mick Ralphs va passer inappercue , excepté pour les aficionados ! A ma connaissance seuls quelques sites ou blogs anglo-saxons se sont fait l'écho de cet évènement. Tout amateur de blues ayant un jour écouté Johnny Winter ne peut ignorer l'existence de ce redoutable guitariste.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hélas, tu as bien raison.
      Si aux USA, il avait bien une certaine notoriété, du moins suffisante pour avoir été maintes fois invité à des émissions télés, en Europe, pour une grande majorité, c'était un parfait inconnu. Il faut dire aussi que ses disques, bien que parfois critiqués dans les magazines, étaient introuvables (dégotté sur le tard le "Derringer Live", dans un marché aux puces 😁) - à l'exception de ceux dédiés aux heavy-blues des années 90, qui avaient d'ailleurs fait la joie de quelques revues de guitares.
      Après, il a aussi (régulièrement) joué avec des sacrés numéros qui accaparaient toute l'attention du public. Que se soit Johnny Winter, Edgar ou Cindy Lauper. Même, bien que dans une moindre mesure, Todd Rundgren, mais lui n'est jamais venu en Europe (enfin, j'crois).

      Supprimer