jeudi 3 juillet 2025

BRAHMS – Sérénades pour orchestre N°1 & 2 (1857 - 1859) – Leonard SLATKIN (1990) – par Claude TOON


- Mais Claude, la jaquette de ce CD n'indique que la sérénade N°2 et des compléments… Pourquoi parles-tu aussi de la première ?

- Bonne remarque Sonia. Slatkin l'a gravée pour un second CD et la pochettes est moche… En général, les deux figurent sur un seul CD, mais le maestro américain a fait un choix différent…

- Leonard Slatkin est cité dans l'index ; il a déjà été invité dans le blog… Il a dirigé en France je crois…

- Deux choses : en effet, en 2012, j'avais proposé un programme de musique moderne Yankee sous sa direction, dont le célébrissime adagio de Samuel Barber. Il a dirigé l'orchestre de Lyon de nombreuses années…

- À voir les dates de composition, je pense à des ouvrages de jeunesse… vrai ou faux ?

- Vrai ! Brahms a attendu très longtemps avant de composer sa première symphonie publiée en 1876 par peur de paraître ridicule par rapport à Beethoven… Néanmoins, il expérimenta bien avant l'art de l'orchestration avec ces deux jolies sérénades !


Brahms en 1855

Entre 1857 et 1859, Johannes Brahms occupe déjà une place non négligeable dans le gotha des compositeurs. Je ne dirais pas dans l'univers romantique comme Schumann ou encore plus Liszt qui l'ont aidé à gravir les échelons du destin de compositeur. Il serait de manière posthume agacé par cette remarque. Il ne se reconnait pas vraiment dans la remise en question, notamment par Liszt, des modèles acquis de l'époque classique et du début du romantisme beethovénien. Brahms se revendique du postclassicisme, ce qui ne signifie en rien qu'il compose à la manière de Mozart, de Haydn ou du jeune Beethoven… Preuve en est le 1er monumental concerto pour piano de 1859 opus 19, d'essence symphonique (ce qu'il devait être pendant un temps), où le piano ne dialogue pas de manière concertante avec l'orchestre mais fusionne avec lui tel le héros d'un drame lyrique.

Petit rappel : né à Hambourg en 1833, Brahms y suivra ses études musicales. Son père lui-même musicien supervise l'apprentissage du cor, du piano et du violoncelle... Dès sept ans il perfectionne son jeu de piano avec Otto Friedrich Willibald Cossel (un virtuose de l'époque dont on ne trouve pas trace dans le web !). Sa réussite comme compositeur est due à un petit maître encore connu grâce à d'évidents talents pédagogiques, Eduard Marxsen (1806-1887). Mes recherches sur ce pianiste compositeur conduisent à une conclusion : une maîtrise magistrale du solfège, du contrepoint et de l'art de l'écriture en général, mais hélas pour lui, une inspiration modeste l'ayant conduit à un oubli quasi complet ; on ne trouve qu'un seul disque consacré à des sonates chez CPO. Un homme généreux puisque son enseignement sera bénévole…

Brahms joue dans les brasseries huppées pendant son adolescence pour assurer le viatique pour lui-même et sa famille. Il recrute son père comme contrebassiste. Ses premier concerts officiels datent de 1848 et 1849, le jeune homme a seize ans. Au programme Bach, Beethoven – évidemment – et quelques variations de son cru. Il faut attendre 1853 pour la composition de ses premières sonates. François-Frédéric Guy nous a offert une intégrale pleine de verve en 2016 que j'avais chroniquée (Clic). Sans doute des partitions imparfaites mais qui dénotent déjà un esprit fougueux et romanesque. La roue tourne. En 1853, rencontre avec Joseph Joachim, de 13 ans son aîné, violoniste virtuose dont s'entiche toute l'Europe. Une amitié de toute une vie débute, le magnifique concerto pour violon de 1878 lui sera dédié. Certes, il y aura d'autres pièces conçues à son intention et quelques embrouilles… Ah les artistes 😊. L'opposition au wagnérisme les réunira, tout comme les critiques envers Bruckner, l'une n'allant pas sans les autres.


Brahms et Joachim

 

Ah 1853, la rencontre avec Schumann, l'idole de Brahms, et de son épouse Clara Wieck-Schumann. Nous entrons dans l'histoire de la musique revue par Alexandre Dumas. Il est invité à séjourner chez le couple. Bien qu'âgé de quarante trois ans, le compositeur a déjà à son catalogue la quasi intégralité de son œuvre : les pièces pour piano jouées par Clara (Robert était handicapé d'un doigt à force d'exercice d'assouplissement de son invention mais inappropriés), de nombreux lieder et surtout les quatre symphonies, genre qui terrorise tant Brahms. Mais les nuages noirs de la tragédie s'amoncellent. Dès 1854, Schumann est pris de crise de démence qui ne feront que s'accentuer. Après une tentative ratée de suicide par noyade dans le Rhin, il devra être interné, il mourra en 1856. Clara lui survivra quarante ans. Dire que la proximité avec Brahms est forte est un euphémisme. Mais la pianiste et compositrice préféra poursuivre sa vie de veuve en osmose avec la musique. Brahms restera son ami pour toujours, aurait-il souhaité plus après le deuil, possible… Ils voyageront ensemble un temps, longeant le Rhin, visitant la Suisse, au retour Clara s'installera à Berlin et Johannes à Hambourg. Abordons le sujet du jour en précisant que la seconde sérénade est dédiée à Clara.

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La fin tragique de Schumann coïncide avec le début de cette période pendant laquelle Brahms tente d'exorciser ses craintes face à la composition d'œuvres symphoniques. Ô, il n'est pas le seul musicien à exprimer cette appréhension depuis la mort du grand Beethoven achevant son parcours orchestral novateur avec la 9ème symphonie9ème avec chœur créée une vingtaine d'années après le coup de tonnerre de la 3ème symphonique "héroïque" qui inaugure définitivement l'ère romantique inspirée de l'esprit libertaire voire révolutionnaire du siècle des lumières (45 minutes, une marche funèbre poignante, un final dépassant le simple rôle de conclusion obligée pour celui de récit épique). Schubert qui avait porté le cercueil du génie en 1827 exprima les mêmes doutes. Il passa outre avec audace dans les trois dernières sonates. Citons Schubert déjà inquiet lors de ses quinze ans en 1812 (7 symphonies déjà publiés dont la terrifiante 5ème) "Mais que peut-on encore faire après Beethoven ? ", interrogation qui trouve son écho chez Brahms "Vous ne savez pas quelles sensations nous, les compositeurs, nous éprouvons lorsque nous entendons derrière nous les lourds pas d'un géant comme Beethoven.". Brahms patientera et murira pendant deux décennies sa première symphonie. Une réussite totale de 1876 que le maestro pourtant admirateur de Wagner et de Liszt Hans von Bülow évaluera comme la "10ème symphonie de Beethoven" ! 


Clara Wieck-Schumann (1853)

Vers 1853, Schumann incite le jeune Brahms de vingt ans à écrire pour l'orchestre. Dès 1854, l'apprenti compositeur jette des esquisses d'une symphonie qui deviendra le concerto pour piano N°1 mentionné plus haut. Cet ouvrage, pour ceux qui l'apprécient, garde à mon sens les traces de sa destinée initiale. La forme est celle des concertos de Mozart et des trois premiers de Beethoven, soit : 3 mouvements vif-lent-vif avec cependant une introduction orchestrale volcanique de 3:30 minutes. Une introduction dont la thématique complexe le ton colossal, les reprises et quelques variations rende inattendue l'entrée timide du piano ! On attend plutôt la seconde section d'un allegro vivace de symphonie ; j'évoque parfois cet opus 15 comme "symphonie avec piano obligé" au risque de faire hurler les musicologues diplômés 😊.

Son mentor Schumann mort en 1856, Brahms décide de composer des pièces orchestrales moins ambitieuses. C'est ainsi que naîtront les deux sérénades lors d'un séjour à Detmold, ville moyenne de la Rhénanie du nord qui bénéficie de la présence d'un orchestre.

Sérénade : d'après la définition N°5 du petit Larousse : "Pièce instrumentale en plusieurs mouvements. (Mozart, puis Brahms et Tchaïkovski en ont fait une œuvre symphonique.)" À ne pas confondre avec le preux chevalier poussant la chansonnette, accompagné d'une mandoline sous le balcon de sa damoiselle. Les années passése, nous avions écouté les deux grandes sérénades de Mozart "Hafner" en 8 mouvements de 1776 et "cor du postillon" en 7 mouvements de 1779. La "petite musique de nuit" de 1787 en 4 mouvements ne dure qu'une vingtaine de minutes et ne sollicite que les cordes. Le genre disparait avec Mozart et l'âge classique, les musiques festives de cour n'ont plus la cote…

Le genre évolue mais les productions se font si rares qu'entre la mort de Mozart en 1791 et les deux partitions de Brahms, on ne compte aucune sérénade de type instrumentale : l'heure est au dramatisme de la symphonie. Une exception, sublime, la Sérénade Ständchen, (chant du cygne) D.957 est l'ultime lied-sérénade amoureuse lyrique de Schubert en 1827 pour piano et voix. Liszt en proposera un arrangement pour petit orchestre, une dizaine de minutes de grâce... La sérénade nouvelle manière croisant la route de la suite symphonique mais avec légèreté inspirera de nouveau de grands compositeurs tels Dvorak, Tchaïkovski et même Chostakovitch


Leonard Slatkin (vers 1990)

Il est louable qu'un jeune compositeur, un écrivain ou tout autre créateur débutant choisisse de dimensionner et d'user d'un style qui lui paraît accessible sans chercher d'emblée à en mettre plein la vue à son public au risque de le faire somnoler 😊. Brahms offre ainsi deux belles sérénades orchestrales plutôt qu'une grande symphonie obscure et brouillonne. Il saura nous montrer qu'il a atteint cette capacité deux décennies plus tard…

Sérénade n° 1 en ré, op. 11

Initialement, Brahms conçoit sa partition sous forme d'un nonette en six mouvements. N'oublions pas que le musicien produira un grand nombre d'œuvres de chambre recourant à des combinaisons instrumentales très variées, le piano étant toujours de la fête, et que dans ce domaine, les partitions de peu d'intérêt n'existent pas !!! Il déclinera la sérénade pour orchestre de chambre puis pour grand orchestre suivant en cela l'effectif beethovénien.

Pour le nonette : 1 flûte, 2 clarinettes en la, 1 basson, cor, violon, alto, violoncelle, contrebasse. Il existe peu d'enregistrements hormis celui du Chelsea chamber ensemble pour Vanguard version couplée avec celle pour grand orchestre du maestro et musicologue américain Léon Botstein, (CD Rare, aucune vidéo YouTube de cette gravure, mais un live par Mistral Chamber Music.)

Pour l'orchestration symphonique : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes (comme dans le nonette), 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, timbales, cordes ad libitum sans excès.


Nonette vs Grand orchestre

À l'image des grandes sérénades de  Mozart, l'opus 11 comporte six mouvements :

    1.   Allegro molto

    2.   Scherzo. Allegro non troppo - Trio. Poco più moto

    3.   Adagio non troppo

    4.   Minuet 1 — Minuet 2

    5.   Scherzo. Allegro - Trio

    6.   Rondo. Allegro

Dès les premières mesures, nous savourons l'univers coloré de Brahms : style bucolique et élégiaque ne faisant pas appel à une thématique dramatique. Le climat mélodique se révèle robuste et très aisé à suivre ; normal pour un allegro orchestré mais issu d'un nonette de chambre. Inutile de trop commenter cette partition respectueuse de la forme sonate. Un exemple, à [3:23], Brahms propose une reprise quasiment in extenso de la vibrante et dansante exposition… On appréciera les jeux d'orchestration opposant bois et cors tels des chants d'oiseaux, la composition chorégraphique et bon enfant. Post classique Johannes ? Mouais... Brahms en utilisait les règles compositionnelles certes, tout cela n'échappe pas à quelques redites un poil systématiques, mais on notera que le thème initial rend hommage à ceux de la "Pastorale" de Beethoven… elle, très romantique.

Certaines éditions discographiques comportent des danses hongroises…  Brahms nous fait partager les charmes de la campagne (écoutez le premier scherzo à ¾, je me dois d'imaginer l'influence d'un rythme de valse). 



Sérénade n° 2 en la, op. 16

Composée en 1859, la 2ème sérénade sera dédiée à Clara Schumann. Il semble qu'une version pour grand orchestre ait vu le jour initialement mais soit perdue après sa création à Hambourg en 1860. Elle est transcrite en 1875 pour un orchestre allégé, sans doute par nostalgie des orchestrations de Mozart… son effectif définitif comprend :

Piccolo, 2 flutes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, altos, violoncelles, contrebasses (l'absence de violons est inhabituelle.) L'œuvre comporte 5 mouvements :

1.   Allegro moderato

2.   Scherzo. Vivace

3.   Adagio non troppo

4.   Quasi menuetto

5.   Rondo. Allegro

Moins ambitieuse et plus courte (30 minutes au lieu de 45), la réjouissance et l'omniprésence aigrelette de l'harmonie caractérise cet ouvrage guilleret pour carrousel 😊.

Leonard Slatkin propose une direction fine sans coquetterie. L'Orchestre de Saint-Louis connait l'une de ses meilleures périodes même s'il ne fait pas la une médiatique comme d'autres grandes phalanges américaines. (4ème symphonie de Chostakovitch de légende par sa cohésion.)

 

Les disques réunissant les deux sérénades sont rares et se trouvent en complément des intégrales des symphonies ou des rééditions en double album avec les danses hongroises (par exemple : Abbado - DG). Le jeune violoncelliste et chef, Victor Julien-Laferrière et son Orchestre Consuelo fondé en 2021 a eu la riche idée de graver ces deux sérénades. La direction parait plus fofolle que celle des grands maîtres (Haitink, Kertesz) mais elle rend bien justice à ces ouvrages de jeunesse de Brahms.


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 


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