- Mais Claude, la jaquette de ce CD n'indique que la sérénade N°2 et
des compléments… Pourquoi parles-tu aussi de la première ?
- Bonne remarque Sonia. Slatkin l'a gravée pour un second CD et la
pochettes est moche… En général, les deux figurent sur un seul CD, mais
le maestro américain a fait un choix différent…
- Leonard Slatkin est cité dans l'index ; il a déjà été invité dans le
blog… Il a dirigé en France je crois…
- Deux choses : en effet, en 2012, j'avais proposé un programme de
musique moderne Yankee sous sa direction, dont le célébrissime adagio de
Samuel Barber. Il a dirigé l'orchestre de Lyon de nombreuses années…
- À voir les dates de composition, je pense à des ouvrages de jeunesse…
vrai ou faux ?
- Vrai ! Brahms a attendu très longtemps avant de composer sa première symphonie publiée en 1876 par peur de paraître ridicule par rapport à Beethoven… Néanmoins, il expérimenta bien avant l'art de l'orchestration avec ces deux jolies sérénades !
![]() |
Brahms en 1855 |
Entre 1857 et 1859,
Johannes Brahms
occupe déjà une place non négligeable dans le gotha des compositeurs. Je ne
dirais pas dans l'univers romantique comme
Schumann
ou encore plus
Liszt
qui l'ont aidé à gravir les échelons du destin de compositeur. Il serait de
manière posthume agacé par cette remarque. Il ne se reconnait pas vraiment
dans la remise en question, notamment par
Liszt, des modèles acquis de l'époque classique et du début du romantisme
beethovénien.
Brahms
se revendique du postclassicisme, ce qui ne signifie en rien qu'il compose à
la manière de
Mozart, de
Haydn
ou du jeune
Beethoven… Preuve en est le 1er monumental
concerto pour piano
de 1859 opus 19, d'essence symphonique (ce qu'il devait être pendant
un temps), où le piano ne dialogue pas de manière concertante avec
l'orchestre mais fusionne avec lui tel le héros d'un drame lyrique.
Petit rappel : né à Hambourg en 1833,
Brahms
y suivra ses études musicales. Son père lui-même musicien supervise
l'apprentissage du cor, du piano et du violoncelle... Dès sept ans il
perfectionne son jeu de piano avec
Otto Friedrich Willibald Cossel
(un virtuose de l'époque dont on ne trouve pas trace dans le web !). Sa
réussite comme compositeur est due à un petit maître encore connu grâce à
d'évidents talents pédagogiques,
Eduard Marxsen
(1806-1887). Mes recherches sur ce pianiste compositeur conduisent à
une conclusion : une maîtrise magistrale du solfège, du contrepoint et de
l'art de l'écriture en général, mais hélas pour lui, une inspiration modeste
l'ayant conduit à un oubli quasi complet ; on ne trouve qu'un seul disque
consacré à des sonates chez CPO. Un homme généreux puisque son
enseignement sera bénévole…
Brahms
joue dans les brasseries huppées pendant son adolescence pour assurer le
viatique pour lui-même et sa famille. Il recrute son père comme
contrebassiste. Ses premier concerts officiels datent de 1848 et
1849, le jeune homme a seize ans. Au programme
Bach,
Beethoven
– évidemment – et quelques variations de son cru. Il faut attendre
1853 pour la composition de ses
premières sonates.
François-Frédéric Guy
nous a offert une intégrale pleine de verve en 2016 que j'avais
chroniquée
(Clic). Sans doute des partitions imparfaites mais qui dénotent déjà un esprit
fougueux et romanesque. La roue tourne. En 1853, rencontre avec
Joseph Joachim, de 13 ans son aîné, violoniste virtuose dont s'entiche toute l'Europe.
Une amitié de toute une vie débute, le magnifique
concerto pour violon de 1878 lui sera dédié. Certes, il y aura d'autres pièces conçues à
son intention et quelques embrouilles… Ah les artistes 😊. L'opposition au
wagnérisme les réunira, tout comme les critiques envers
Bruckner, l'une n'allant pas sans les autres.
![]() |
Brahms et Joachim |
|
Ah 1853, la rencontre avec
Schumann, l'idole de
Brahms, et de son épouse
Clara Wieck-Schumann. Nous entrons dans l'histoire de la musique revue par
Alexandre Dumas. Il est invité à séjourner chez le couple. Bien
qu'âgé de quarante trois ans, le compositeur a déjà à son catalogue la quasi
intégralité de son œuvre : les pièces pour piano jouées par
Clara
(Robert
était handicapé d'un doigt à force d'exercice d'assouplissement de son
invention mais inappropriés), de nombreux lieder et surtout les quatre
symphonies, genre qui terrorise tant
Brahms. Mais les nuages noirs de la tragédie s'amoncellent. Dès 1854,
Schumann
est pris de crise de démence qui ne feront que s'accentuer. Après une
tentative ratée de suicide par noyade dans le Rhin, il devra être interné,
il mourra en 1856.
Clara
lui survivra quarante ans. Dire que la proximité avec
Brahms
est forte est un euphémisme. Mais la pianiste et compositrice préféra
poursuivre sa vie de veuve en osmose avec la musique.
Brahms
restera son ami pour toujours, aurait-il souhaité plus après le deuil,
possible… Ils voyageront ensemble un temps, longeant le Rhin, visitant la
Suisse, au retour
Clara
s'installera à Berlin et
Johannes
à Hambourg. Abordons le sujet du jour en précisant que la
seconde sérénade
est dédiée à
Clara.
~~~~~~~~~~~~~~~~
La fin tragique de Schumann
coïncide avec le début de cette période pendant laquelle Brahms
tente d'exorciser ses craintes face à la composition d'œuvres
symphoniques. Ô, il n'est pas le seul musicien à exprimer cette
appréhension depuis la mort du grand Beethoven
achevant son parcours orchestral novateur avec la 9ème symphonie. 9ème avec chœur créée une vingtaine d'années après le coup de tonnerre de la 3ème symphonique "héroïque" qui inaugure définitivement l'ère romantique inspirée de l'esprit
libertaire voire révolutionnaire du siècle des lumières (45 minutes, une
marche funèbre poignante, un final dépassant le simple rôle de conclusion
obligée pour celui de récit épique). Schubert
qui avait porté le cercueil du génie en 1827
exprima les mêmes doutes. Il passa outre avec audace dans les trois
dernières sonates. Citons Schubert
déjà inquiet lors de ses quinze ans en 1812
(7 symphonies déjà publiés dont la terrifiante
5ème) "Mais que peut-on encore faire après Beethoven ?
", interrogation qui trouve son écho chez Brahms "Vous ne savez pas quelles sensations nous, les compositeurs, nous
éprouvons lorsque nous entendons derrière nous les lourds pas d'un géant
comme Beethoven.". Brahms
patientera et murira pendant deux décennies sa première symphonie. Une réussite totale de 1876
que le maestro pourtant admirateur de Wagner et de Liszt Hans von Bülow évaluera comme la "10ème symphonie de Beethoven" !
![]() |
Clara Wieck-Schumann (1853) |
Vers 1853,
Schumann
incite le jeune
Brahms
de vingt ans à écrire pour l'orchestre. Dès 1854, l'apprenti
compositeur jette des esquisses d'une symphonie qui deviendra le
concerto pour piano N°1 mentionné plus haut. Cet ouvrage, pour ceux qui l'apprécient, garde à mon
sens les traces de sa destinée initiale. La forme est celle des
concertos
de
Mozart
et des trois premiers de
Beethoven, soit : 3 mouvements vif-lent-vif avec cependant une introduction
orchestrale volcanique de 3:30 minutes. Une introduction dont la thématique
complexe le ton colossal, les reprises et quelques variations
rende inattendue l'entrée timide du piano ! On attend plutôt la seconde section d'un allegro
vivace de symphonie ; j'évoque parfois cet
opus 15
comme "symphonie avec piano obligé" au risque de faire hurler les musicologues diplômés 😊.
Son mentor
Schumann
mort en 1856,
Brahms
décide de composer des pièces orchestrales moins ambitieuses. C'est ainsi
que naîtront les
deux sérénades
lors d'un séjour à Detmold, ville moyenne de la Rhénanie du nord qui
bénéficie de la présence d'un orchestre.
Sérénade : d'après la définition N°5 du petit Larousse : "Pièce instrumentale en plusieurs mouvements. (Mozart, puis Brahms et Tchaïkovski en ont fait une œuvre
symphonique.)" À ne pas confondre avec le preux chevalier poussant la
chansonnette, accompagné d'une mandoline sous le balcon de sa damoiselle.
Les années passése, nous avions écouté les deux grandes sérénades de
Mozart
"Hafner" en 8 mouvements de 1776 et "cor du postillon" en 7 mouvements de 1779. La "petite musique de nuit" de 1787 en 4 mouvements ne dure qu'une vingtaine de minutes et ne
sollicite que les cordes. Le genre disparait avec
Mozart
et l'âge classique, les musiques festives de cour n'ont plus la cote…
Le genre évolue mais les productions se font si rares qu'entre la mort de
Mozart
en 1791 et les deux partitions de
Brahms, on ne compte aucune sérénade de type instrumentale : l'heure est au
dramatisme de la symphonie. Une exception, sublime, la
Sérénade Ständchen, (chant du cygne)
D.957
est l'ultime lied-sérénade amoureuse lyrique de
Schubert
en 1827 pour piano et voix.
Liszt
en proposera un arrangement pour petit orchestre, une dizaine de minutes de
grâce... La sérénade nouvelle manière croisant la route de la suite
symphonique mais avec légèreté inspirera de nouveau de grands compositeurs
tels
Dvorak,
Tchaïkovski
et même
Chostakovitch…
![]() |
Leonard Slatkin (vers 1990) |
Il est louable qu'un jeune compositeur, un écrivain ou tout autre créateur
débutant choisisse de dimensionner et d'user d'un style qui lui paraît
accessible sans chercher d'emblée à en mettre plein la vue à son public au
risque de le faire somnoler 😊.
Brahms
offre ainsi deux belles sérénades orchestrales plutôt qu'une grande
symphonie obscure et brouillonne. Il saura nous montrer qu'il a atteint
cette capacité deux décennies plus tard…
Sérénade n° 1 en ré, op. 11
Initialement,
Brahms
conçoit sa partition sous forme d'un
nonette
en six mouvements. N'oublions pas que le musicien produira un grand nombre
d'œuvres de chambre recourant à des combinaisons instrumentales très
variées, le piano étant toujours de la fête, et que dans ce domaine, les
partitions de peu d'intérêt n'existent pas !!! Il déclinera la sérénade
pour orchestre de chambre puis pour grand orchestre suivant en cela
l'effectif beethovénien.
Pour le
nonette
: 1 flûte, 2 clarinettes en la, 1 basson, cor, violon, alto, violoncelle,
contrebasse. Il existe peu d'enregistrements hormis celui du
Chelsea chamber ensemble
pour Vanguard version couplée avec celle pour grand orchestre du
maestro et musicologue américain
Léon Botstein, (CD Rare, aucune vidéo YouTube de cette gravure, mais un
live
par
Mistral Chamber Music.)
Pour
l'orchestration symphonique
: 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes (comme dans le nonette), 2 bassons, 4
cors, 2 trompettes, timbales, cordes ad libitum sans excès.
![]() |
Nonette vs Grand orchestre |
À l'image des grandes sérénades de
Mozart, l'opus 11
comporte six mouvements :
1.
Allegro molto
2.
Scherzo. Allegro non troppo - Trio. Poco più moto
3.
Adagio non troppo
4.
Minuet 1 — Minuet 2
5.
Scherzo. Allegro - Trio
6.
Rondo. Allegro
Dès les premières mesures, nous savourons l'univers coloré de Brahms : style bucolique et élégiaque ne faisant pas appel à une thématique dramatique. Le climat mélodique se révèle robuste et très aisé à suivre ; normal pour un allegro orchestré mais issu d'un nonette de chambre. Inutile de trop commenter cette partition respectueuse de la forme sonate. Un exemple, à [3:23], Brahms propose une reprise quasiment in extenso de la vibrante et dansante exposition… On appréciera les jeux d'orchestration opposant bois et cors tels des chants d'oiseaux, la composition chorégraphique et bon enfant. Post classique Johannes ? Mouais... Brahms en utilisait les règles compositionnelles certes, tout cela n'échappe pas à quelques redites un poil systématiques, mais on notera que le thème initial rend hommage à ceux de la "Pastorale" de Beethoven… elle, très romantique.
Certaines éditions discographiques comportent des danses hongroises…
Brahms
nous fait partager les charmes de la campagne (écoutez le premier scherzo à
¾, je me dois d'imaginer l'influence d'un rythme de valse).
Sérénade n° 2 en la, op. 16
Composée en 1859, la
2ème sérénade
sera dédiée à
Clara Schumann. Il semble qu'une version pour grand orchestre ait vu le jour initialement
mais soit perdue après sa création à Hambourg en 1860. Elle est
transcrite en 1875 pour un orchestre allégé, sans doute par nostalgie
des orchestrations de
Mozart… son effectif définitif comprend :
Piccolo, 2 flutes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, altos,
violoncelles, contrebasses (l'absence de violons est inhabituelle.) L'œuvre
comporte 5 mouvements :
1.
Allegro moderato
2.
Scherzo. Vivace
3.
Adagio non troppo
4.
Quasi menuetto
5.
Rondo. Allegro
Moins ambitieuse et plus courte (30 minutes au lieu de 45), la réjouissance
et l'omniprésence aigrelette de l'harmonie caractérise cet ouvrage guilleret
pour carrousel 😊.
Leonard Slatkin
propose une direction fine sans coquetterie. L'Orchestre de Saint-Louis connait l'une de ses meilleures périodes même s'il ne fait pas la une
médiatique comme d'autres grandes phalanges américaines. (4ème symphonie
de
Chostakovitch
de légende par sa cohésion.)
Les disques réunissant les
deux sérénades
sont rares et se trouvent en complément des intégrales des symphonies ou des
rééditions en double album avec les danses hongroises (par exemple : Abbado
- DG). Le jeune violoncelliste et chef,
Victor Julien-Laferrière et son
Orchestre Consuelo
fondé en 2021 a eu la riche idée de graver ces deux sérénades. La
direction parait plus fofolle que celle des grands maîtres (Haitink,
Kertesz) mais elle rend bien justice à ces ouvrages de jeunesse de
Brahms.
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
|
|
INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire