vendredi 11 avril 2025

BLACK DOG de Hu Guan (2025) par Luc B.



Dès le premier plan on se dit qu’on va en prendre plein les mirettes : immense panorama, en scope, le désert de Gobi, filmé depuis une hauteur, et au loin un minibus qui avance pépère sur une route. Soudain, des centaines de chiens dévalent la montagne, coupent la route du bus, qui zigzague et se renverse sur le côté. Est-on dans MAD MAX, LA COLINE A DES YEUX, ou une attaque d'indiens chez Ford Ford ?

Les passagers, éberlués, appellent les secours. Les flics arrivent, remettent le bus sur ses roues, le remorque jusqu’à la prochaine ville. Parmi les voyageurs il y a Lang. Il sort de prison, a purgé 10 ans pour homicide. On le connaît en ville, Lang, c’était une vedette locale, on apprendra plus tard qu’il était acrobate en moto. Il doit pointer au commissariat, se réinsérer, on lui propose un boulot : débarrasser les chiens errants qui ont envahi la ville. 

Nous sommes en Chine, en 2008, année des Jeux Olympiques. La ville est au trois quarts en ruine, abandonnée, des promoteurs immobiliers s’apprêtent à tout raser pour reconstruire du neuf, mais la présence intempestive des cabots n’incitent pas à investir...

BLACK DOG c’est d’abord un choc visuel. Ces images du désert, les couleurs bleuâtres, verdâtres, grisées, la lumière du crépuscule, la composition des plans et les lents mouvements de caméra. Mais aussi cette ville en sursis, agonisante, quadrillée de superbes travellings, aux immeubles vacants, monstres de béton vides, des gravas partout, un paysage d’apocalypse. Comme ce zoo déserté, il ne reste qu’un tigre dans sa cage. Ou ce loup échappé, qui trône en haut d'une colline, qui semble observer ce monde à bout de souffle. Film visuel aussi car il y a très peu de dialogues. Lang ne parle pas, du genre mutique le gars, il se déridera vers la fin, quelques mots, l’essentiel, mais ce qui est étonnant, c’est que tout le monde lui parle, le questionne, et lui ne répond jamais, visage fermé.

Lang va devoir se réacclimater, reprendre contact avec son père, et surtout éviter les problèmes, ne pas répondre aux provocations. Le caïd qui tient la ville - ce qu’il en reste - c’est Hu, le boucher, qui fournit en bidoche le secteur, qui élève des serpents aussi. Il veut venger la mort de son neveu dont Lang a été jugé responsable. Lang doit faire face aussi aux petits mafieux qui organisent la lucrative chasse aux chiens. Notamment un chien noir, squelettique, peu causant aussi, qu’on dit atteint de la rage. Lang découvre par hasard sa cache, le capture, touche la prime, puis le libère et s’en fait un compagnon.

On voit bien ce qui les rassemble, le chien et Lang, des pestiférés, victimes de préjugés. On voit aussi la parabole politique qui se cache derrière cette intrigue, en filigrane, car le cinéma chinois est soumis à censure. Alors on filme des chiens, des animaux en cage… Deux figures, à deux ou quatre pattes, qui s'observent, se tolèrent, s’apprivoisent, s’entraident. On comprend pourquoi Lang ne parle pas, les habitants n’appartiennent plus à son monde, débris d’humanité, à part quelques uns (le vieux cancéreux, l’artiste du cirque qui débarque en ville), et puis avec le chien pas besoin de causer, la communication se fait autrement.

Je pense à Chaplin, avec ces deux vagabonds laissés pour compte (UNE VIE DE CHIEN, LE KID), le quasi muet, cette image finale du type qui tracera la route laissant derrière lui un monde inhabitable et un futur qui ne peut qu'être meilleur. Et aussi dans cette mise en scène très simple, qui ne puise pas sa force dans la virtuosité, mais dans le dépouillement. Il y a une très belle scène, quand Lang est pris dans une tempête, son camion renversé, le chien apeuré dans sa cage, qu’il tente de mettre à l’abri, dans ses bras. On sourit aussi avec les scènes d’apprentissage, et avant la manière dont Lang fait sortir le chien noir de sa cachette, en pissant sur un mur pour l’attirer ! Ou ses tentatives d’acrobaties à moto, il a un peu perdu la main, et se viande plus d’une fois.

On aperçoit au détour d’un plan une affiche de Pink FlyodLang porte un tee-shirt floqué au nom du groupe, sur sa bécane il installe un lecteur de cassettes préhistorique qui passe « Hey you » en boucle. Contraste saisissant entre la musique de Pink Flyod (aussi au générique de fin) et ce décor chaotique, les installations de fête foraine en ruine, rouillées, la salle de spectacle à l’abandon. Il y a deux scènes extraordinaires. Une éclipse de soleil, avec le tigre qu’on a libéré de sa cage (Lang avait attrapé un lapin pour le nourrir, le fauve ne sachant pas quoi faire avec !) qui arpente les rues. Et puis ce moment où Lang en side-car, en plein désert, fait face à une meute de chiens. Il descend de moto, arrête le moteur bruyant, pousse l’engin, humblement : les chiens s’écartent sur son passage.

Le film est touchant par moment, notamment les scènes à l’hôpital avec Lang et son père mourant d’une cirrhose, qui lui mouille les lèvres à l’alcool frelatée. Touchant mais pas mélo. Ce n’est pas un film psychologique, davantage contemplatif, les portraits ne sont pas très fouillés, quelques trous dans la raquette niveau scénario (quid de la danseuse de cirque ?). Il s’agit surtout d’intégrer des figures dans un décor en décrépitude, univers de fin du monde, de civilisation perdue, comme si ces ruines (la Chine ?) étaient le véritable héros de l’histoire.


Couleur - 1h50 - format scope 2:39 

4 commentaires:

  1. Musique de Pink Floyd ? Je m'attendais plutôt à Led Zep...
    Sinon, cela m'évoque un film de clébard que j'ai adoré : "Red Dog" 👉🏼 https://ledeblocnot.blogspot.com/2013/11/red-dog-2011-film-australien-par-rockin.html

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  2. Cela m'évoque aussi, malheureusement, un triste épisode du Covid en Chine, où on avait ordonné d'abattre tous les animaux domestiques
    de personnes atteint du virus...

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  3. Led Zep, Black Dog... bien vu ! A part le générique de fin, la musique de Pink Flyold n'est entendue que via le radio cassette du gars, une relique, une bande usée jusqu'à la trame. Mais ça va très bien avec le film. Ici il n'est pas question d'abattre les chiens, mais officiellement, de les "déporter" dans la ville d'à côté.

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  4. De Pompéi au désert de Gobi en passant par La Vallée et Zabriskie Point, le Floyd se plaît là où il n'y a pas grand monde ...

    L'abattage des chiens, on a ça aussi dans la superbe (mini)-série Chernobyl qui rétrospectivement fout bien les jetons niveau gestion de crise ...

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