jeudi 10 avril 2025

Carl STAMITZ – 3 Concertos pour clarinette (1778-1790) – Sabine MEYER & Iona BROWN (1993) - par Claude Toon


- Ah… Nouveau compositeur dans le blog Claude… Laisse-moi deviner : une perruque, un foulard style lavallière… et la clarinette récemment inventée en vedette. Deuxième moitié du siècle des lumières, un contemporain de Mozart… ?

- Parfait Sonia ! Tu peux tenter le bac option musique… Carl Stamitz est un pur compositeur de la période classique, un peu plus jeune que Wolfgang et mort à seulement 56 ans avant la révolution romantique lancée par Beethoven…

- C'est chouette sa musique, vivifiante, pas prise de tête, peut-être pas assez, hihihi… Et Sabine Meyer, quelle artiste !!!! Iona Brown, connais pas…

- Une violoniste et maestro anglaise disparue trop jeune… Donc un superbe CD entre femmes…

 

 

Carl Stamitz (1745-1801)

Lors d'un apéro chez Sonia, Nema m'a demandé  pourquoi je n'avais jamais chroniqué d'œuvre de Stamitz dans le blog ? Elle venait de classer des disques et d'exhumer des sinfonias concertantes de ce compositeur. Le nom ne m'était pas inconnu, mais j'avoue que le personnage ne m'évoquait que dalle sur les plans historique et artistique…

Je me tuyaute et constate qu'une fois de plus Carl Stamitz fait partie des compositeurs éclipsés par les trois géants du siècle des lumières dont deux au zénith : Mozart et le jeune Beethoven. Certes il y a un outsider de taille, Joseph Haydn, qui semble toujours en retrait. On peut expliquer cela par le fait que Haydn n'a pas eu la vie rocambolesque voire tragique de ses deux concurrents. Notamment, il ne se fâcha jamais jusqu'à la rupture avec ses mécènes. Ces épisodes de discorde conduisaient des créateurs de l'époque à tirer le diable par la queue. Sa vie affective n'a jamais défrayé à outrance les chroniqueurs des tabloïds du temps. Pas très séduisant, petit et malingre car dénutri dans son enfance, Joseph épousera Ana Keller, une femme laide, peu cultivée, détestant la musique - de plus -, acariâtre et jalouse quoique infidèle 😊… Pas très rock n'roll le couple qui n'existe que pour la bienséance, se rencontrant peu et qui n'aura pas d'enfant… Joseph connaîtra de discrètes aventures n'inspirant guère les cinéastes friands de biopics… Et il est plutôt débonnaire et en bon terme avec tout le monde, principalement ses élèves et amis… Mozart et Beethoven ! (source : Vienne-Match de 1786)

De nos jours, un retour à un statut de géant a rendu grâce à  Haydn et l'on parle volontiers de la "trinité classique viennoise" regroupant les trois compositeurs…

Si un arbre peut en cacher un autre (ce qui s'applique aussi aux trains), cette "trinité" éclipse nombre de compositeurs méritant plus qu'un petit strapontin de second couteau, pire, de tâcheron, de l'époque classique…


En investiguant à propos de Stamitz, j'ai découvert un surprenant article Wikipédia (Clic) dans lequel je constate avec effroi que l'auteur dudit article a répertorié 266 compositeurs nés et actifs à l'époque classique 😊 ! J'ai le regret de vous annoncer que, statistiquement, mon espérance de vie ne me permettra pas de consacrer un billet à chacun de ces musiciens, si tant est qu'il existe au moins un disque leur rendant honneur. Le classement a lieu par pays et par ordre chronologique, quasiment tous bénéficient d'un sous article Wiki !! Luc aimerait que je fasse parfois plus court dans le blog. Exemple pour lui faire plaisir:

([Début de chronique brève]. En France, une Mademoiselle Guerin (née vers 1739-?) aurait écrit un opéra parait-il… de facto aucun enregistrement possible. [fin de chronique brève.].) 😅

Si on exclut la "trinité", je m’enorgueillis de la rédaction ces dernières années de chroniques à propos d'œuvres à découvrir (et à écouter) de : Antonio Cartellieri, Xaver-František Dussek,  Jan Ladislav Dussek, Anton Eberl, William Herschel (l'astronome 🔭), Johann Nepomuk Hummel,  Josef Myslivecek (il y a un mois), Johann Baptist Vanhal et Georg Philipp Telemann… Ce dernier, né en 1681, donc à l'époque baroque a vécu jusqu'en 176786 ans…. Étant le premier de  la liste des musiciens allemands, il précède Johann Melchior Molter (1696-1765). Un musicien que j'adore* depuis l'enfance et qui a parfaitement sa place dans le contexte de ce billet en étant le premier à avoir écrit six concertos pour clarinette en 1743 ! J'écoute le disque sur YouTube, une musique à la fois brillante et galante, dommage que le recours à une clarinette d'époque au son de klaxon souligne le trait parfois prosaïque de ces morceaux – Vidéo).

- (*) Ô le baratineur, le gros mytho !!! Tu ne le connaissais pas, hihi. Au fait Stamitz, tu nous en parles ou pas ? Je ne veux pas mettre la pression... mais bon !!

- Enfin Sonia, un peu de respect et de patience !! Oui, ça vient, mais c'est dingue cette liste… d'oubliés pour la plupart… [...] Heuuu oui Pat ? une question ?

- Non rien mais j'ai entendu Sonia parler de bière pression... désolé je sors... 


Sabine Meyer

Carl Stamitz voit le jour en 1745 à Mannheim. Son père Johann (1717-1757) est violoniste et compositeur et originaire de Bohème. Carl aura un frère, Anton, né en 1750, également compositeur. De la famille Stamitz, Carl restera le plus connu par son rôle dans la transition entre le baroque tardif (mort de Bach en 1750) et la période classique.

À noter que son père, Johann, avait fixé la norme de la symphonie en quatre mouvements encore souvent appliquée de nos jours… Par ailleurs Johann fut le fondateur en 1743 de l'École de Mannheim. Ce mouvement innovera grandement dans le formalisme des genres de composition, mais aussi créera un orchestre de solistes brillants, formation préfigurant les effectifs modernes : bois, cuivres, cordes s'organisent en groupes bien spécifiques. Cette initiative attirera des compositeurs venus d'Allemagne, de Bohème, de Moravie et d'Autriche. L'école intègre des classes de violon et de composition. Cette aventure prendra fin en tant que telle en 1778, date à laquel l'École de Mannheim sera transférée à Munich suite à des nouvelles alliances politiques.

Carl commence sa formation avec son père puis la poursuivra avec plusieurs maîtres présents à Mannheim. Sa carrière débute très logiquement comme second violon de l'orchestre de Mannheim.

En 1770 il part pour Paris invité comme compositeur de Cour chez le Duc de Noailles. Il rencontre François-Joseph Gossec, musicien de renom national dans le royaume. Le duc, grand militaire, est un proche de Louis XV. Les deux hommes sont passionnés de botanique et de mots d'esprit. Le film Ridicule montrait l'importance de maitriser "les vannes" à l'époque : frivolité verbale non sans danger… Carl Stamitz s'installera de 1772 à environ 1779 à Versailles où il commence la composition d'un catalogue de 80 symphonies.

 

Iona Brown (1941-2004)
 
 

La vie privée de Carl Stamitz est d'une tristesse absolue. Il épousa en première noce Marie Anne Françoise Xavière, fille de l'un de ses professeurs à Mannheim. Elle meurt en 1782 à Bruxelles. En 1791, Stamitz épousa Maria Josepha Pilz. Le couple aura quatre enfants, tous morts en bas âge. Quant à Maria, elle meurt en janvier 1801.

La biographie du compositeur est assez floue. Il a occupé des postes dans de nombreuses villes : Dresde, Prague, Halle puis à Nuremberg. À partir de 1794, Stamitz dirige les concerts académiques d'Iéna. Les dernières années dans cette ville, il travaille peu ; il s'adonnait à l'alchimie dit-on… sans grand succès à l'évidence ! Il meurt dans la misère, peu de temps après Maria, en novembre 1801. Ses faibles biens sont saisis pour rembourser nombre de créanciers, beaucoup de manuscrits ont disparu suite à cette infortune, notamment les partitions de deux opéras.

Son legs musical comporte des œuvres instrumentales : symphonies et concertos pour la plupart des instruments et diverses pièces de musique de chambre.

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La discographie dédiée à Stamitz n'est pas mince. J'ai eu un coup de cœur pour trois concertos pour clarinette qui, de vous à moi, n'ont que très peu de chose à envier au célèbre concerto de Mozart (Clic). Stamitz en a composé onze, leur numérotation prête à caution, détail sans importance. Le plus joué est le N°11. Nous écouterons aussi les N°3 et 10. Ayant parcouru Youtube pour choisir une interprétation de qualité, Sabine Meyer l'a emporté.

Sabine Meyer : une immense artiste jouant sur un instrument moderne et qui était déjà la vedette lors de l'écoute des concertos de Weber, compositeur réputé dans ce registre (une chronique de 2013, bigre douze ans !). Les amateurs savent que Sabine Meyer appartient à la communauté des meilleurs clarinettistes au monde. Herbert von Karajan ne m'aurait pas contredit, le maestro autrichien qui l'imposa pendant un an comme soliste de la Philharmonie de Berlin, la première instrumentiste féminine de son histoire… La misogynie des machistes majoritaires dans l'illustre phalange mettra fin à cette expérience.

Pour cet album original, elle était accompagnée par une cheffe, Iona Brown. En cette fin du XXème siècle, les dames n'accédaient qu'avec parcimonie à la direction d'orchestre. Le beau parcours de Iona, hélas contrarié par la maladie, rappelle celui de Jacqueline Dupré. Née en 1941 à Salisbury, Iona Brown suit une brillante formation de violoniste qui la conduira à intégrer le Philharmonia de 1963 à 1964. Elle est engagée comme violon solo de l'Academy of St. Martin in the Fields. Les anglais semblent moins phallocrates que leurs confrères germaniques. En 1974Neville Marriner, président à vie de cette institution, cède le poste de cheffe à Iona.

En 1980, elle devient l'une des première maestra à plein temps, dirigeant de nombreux orchestres. En 1998, atteinte d'arthrite, elle abandonne définitivement le violon. Puis elle entame un combat contre un cancer qui l'emporte en 2004, à seulement 63 ans 😞. Son répertoire tant comme violoniste et cheffe était très vaste tout comme sa discographie. Pour cet album Stamitz , elle dirige l'Academy of St. Martin in the Fields.


Mannheim vers 1750 - Martin Engelbrecht

Johann Stamitz innovera en invitant la clarinette comme pupitre de vent dans l'orchestre de Mannheim. On doit son invention vers 1690 au facteur de vent de Leipzig, Johann Christoph Denner. Techniquement il s'agit d'une déclinaison d'un vieil instrument nommé chalumeau et possédant une anche simple… Denner ajoute une clé, mais comme les flûtes à bec, les notes sont émises en bouchant de simples trous de jeu… la perce est cylindrique et non conique comme celle du hautbois… De fait il est possible de faire "quintoyer" une clarinette (en un mot provoquer des sauts d'une ou plusieurs quintes avec célérité).

Lors de son séjour parisien, Stamitz rencontre Johann Joseph Beer, clarinettiste virtuose originaire de Bohème. On peut supposer que les onze concertos datent de cette période.

Un siècle après son invention, d'améliorations en perfectionnements, la clarinette possède désormais cinq clés (une idée de Beer) et surtout cette sonorité agreste dans les aigus et sensuelle dans les graves qui charme les compositeurs tels Mozart, Stamitz fils, ou encore Weber. La tessiture devient complètement chromatique (il y avait à l'origine quelques notes impossibles à jouer sur douze) et s'étend sur plus de trois octaves.

 

Johann Joseph Beer

Par leur durée d'une vingtaine de minutes et leur forme en trois parties, les concertos appliquent à la lettre les normes de l'École de Mannheim. Des esprits chagrins estimeront que l'on ne retrouve pas la profondeur psychologique inhérente aux ultimes concertos pour piano de Mozart ou même de son concerto pour clarinette de 1791. Mouais, mais si Mozart commençait déjà à jeter les bases du romantisme, Stamitz nous offre des œuvres d'une grande profondeur en cette époque classique. L'émotion, notamment dans les mouvements lents est très présente. La clarinette joue la diva instrumentale grâce à une richesse mélodique marquée et la virtuosité pour le moins exigeante requise de l'interprète.

Commenter savamment ces concertos n'aurait que peu d'intérêt en l'absence d'un contexte historique et intimiste déterminé. Stamitz travaille à la cour de Louis XV et ne partage pas ses états d'âme ; la clarinette, nouvelle venue, est à la mode.

L'orchestration conserve un petit air baroque en privilégiant les cordes auxquelles s'ajoutent simplement deux hautbois (sauf N°11) et deux cors.

Ayant interverti l'ordre des concertos dans la playlist par rapport au CD, nous débutons l'écoute par l'allegro du concerto N°11 à titre d'exemple du talent imaginatif de Stamitz. Respectueux de la forme sonate et d'une certaine tradition, Stamitz nous régale d'une longue introduction orchestrale. Le premier motif, réjouissant, virevolte à la manière des meilleurs divertimentos de Mozart. Le thème utilisé en leitmotiv permettra à la clarinette de faire son entrée en le jouant in extenso. Le second motif allègre, ludique, exploite toutes les possibilités concertantes d'un orchestre de cordes plus fourni qu'à l'époque baroque.

 

Demandez le programme de la playlist :

Concerto N° 11 mi bémol majeur

1.   Allegro

2.   Aria (Andante moderato)

3.   Rondo alla Scherzo (Allegro moderato)

Concerto N° 3 si bémol majeur

4.   Allegro moderato

5.   Romanze

6.   Rondo

Concerto No. 10 en si bémol majeur

7.   Allegro

8.   Andante moderato

9.   Rondo

 

 

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 


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