Quand on mentionne le nom de "Journey" (dans une discussion à bâtons rompus sur la musique "rock"), on pense immédiatement au Rock-FM, ou Hard-FM. A la période faste des concerts dans les stades, des collections de hits et d'albums d'or et de platine. Un sujet d'admiration pour les uns et de dénigrement pour les autres. Dont la presse qui l'avait jeté dans leur casier crade et rouillé. Celui où elle entrepose ses têtes de Turc et autres cibles malheureuses qu'elle ressort à l'envie. Pour se défouler, apaiser ses frustrations, ou déverser son fiel. Mais, les uns comme les autres réduisaient généralement la carrière de ce quintet à la période Steve Perry, occultant la première phase du groupe, lorsqu'il évoluait dans une sorte de rock-progressif lustré d'où pouvaient jaillir autant des séquences de jazz-rock incandescent ponctué de fulgurants plans hendrixiens que des fulgurances hard-rock. Loin des gros tubes de Hard chromé et heavy-pop.
Même s'il y a quelques menues concordances dans la musique de la première mouture avec celle d'avec Steve Perry, les différences sont suffisamment prégnantes pour en faire deux entités distinctes. Chacune ralliant un public d'amateurs pas nécessaire miscible. On peut par ailleurs s'interroger sur les raisons qui font évoluer une troupe vers des compositions nettement plus commerciales. Soit plus facilement et rapidement accrocheuses, dénuées d'introduction pouvant induire en faux l'auditeur impatient, à la durée ne dépassant pas un plafond, aux sonorités policées, et faisant fi de toutes paroles politiquement incorrectes (à ce titre, on remarque que dans l'Amérique puritaine - les USA -, les sujets salaces passent mieux que les réquisitoires contre la guerre ; du moins lorsqu'elle est menée, de près ou de loin, par une administration nationale). Certains artistes ont osé avancer, une fois retirés du système, que le combat avec leur label, voire même le management, était constant. Un chantage permanent jusqu'à ce qu'on finisse par céder, de crainte de tout perdre ce qu'on a difficilement acquis, de se retrouver à la rue, sans perspectives. N'est-ce pas Joni Mitchell qui avait dit, il y a déjà plus de vingt ans, que désormais les boîtes (les majors ?) ne recherchaient plus de talents, mais seulement des "belles gueules" obéissantes ?
On sait que Journey a subi une très grosse pression de la part de sa maison de disques, qui réclamait à cor et à cri un tube, une chanson ayant les attributs requis pour en faire un single - suivant les critères de la boîte, car rares sont les artistes à pouvoir faire ce choix. Après leur troisième album, "Next", il aurait subi de plein fouet l'ultimatum : celui d'une dernière chance avant d'être "remercié" (traduire par "foutu à la porte"). Bien possible que cela explique le changement radical de Journey, marqué par l'arrivée d'un chanteur supplémentaire en la personne de Steve Perry. Cependant, s'il s'avère que ce tournant soit le fait d'une quelconque soumission, cela n'enlève rien à la qualité de leurs disques "commerciaux". Bien que souvent moqué, - ou jalousé ? - Journey avait le talent nécessaire pour trousser de formidables et mémorables chansons, naviguant entre une pop mélodique et un heavy-rock lustré.
Cependant, le deuxième album, "Look Into the Future", semble déjà ouvrir une porte par laquelle on peut apercevoir un possible futur plus mainstream, plus facile d'accès, du groupe. Ainsi "On a Saturday Nite" et la reprise de "It's All Too Much" de George Harrison (album "Yellow Submarine"), qui représentent les premiers prémices de ce qui va faire le succès de l'album "Infinity" en 1978. Même si ces deux morceaux sont encore empreints d'une certaine âpreté, ils dévoilent un besoin de toucher un public plus large - peut-être moins exigeant, mais plus rémunérateur. Néanmoins c'est une très bonne entrée en matière, chargée d'enthousiasme et d'envie. Du bon, du solide, mais un heavy-rock assez conventionnel, certes fort agréable, flattant les esgourdes, mais pas spécialement transcendant. Le Rock progressif teinté de jazz et d' (apparentes) improvisations Santano-henrixiennes semble désormais révolu. Du moins jusqu'au superbe "Anyway" qui, dans un mouvement nonchalant, parfois proche de la ballade, marie l'énergie radioactive d'un Robin Trower à des humeurs floydiennes.
"She Makes Me (Feel Alright)", lui, montre les dents. Journey, rageur et vénère, démontre qu'il peut être aussi teigneux et lourd que ses compatriotes de Kiss ou d'Aerosmith. Aussi lourd - et bourrin ? - que Bachman Turner Overdrive et aussi expansif que Granicus. Presque une version personnelle de Led Zepellin par Journey. Certainement le titre le plus lourd jamais réalisé par le groupe. "You're On Your Own" joue avec les contrastes et les humeurs, passant soudainement de l'apathique à une soudaine ébullition de hard-blues vaguement psyché. On pense à Cheap Trick, alors qu'en fait c'est simplement une habile refonte du "I Want You (So Heavy)" des Beatles. Malin.
Il serait bon de savoir si Journey a tourné avec Frank Marino, tant "Midnight Dreamer" résonne comme un morceau du Québécois. C'est à s'y méprendre, même au niveau du chant. Avec une première et courte partie volcanique, crachant de corrosifs flots de heavy-blues hendrixien, et une seconde, plus jazz-rock, en voyage intersidéral ; non pas dans un cosmos froid et noir, mais dans un espace bigarré, où l'on croise comètes arc-en-ciel, soucoupes "hot-rod", Captain Marvel, Galactus, Thanos et Norinn-Radd, hilares, partant en goguette, anneaux planétaires ondulant lascivement et satellites éméchés. A l'inverse, avec "I'm Gonna Leave You", c'est clairement Journey qui, déjà, a servi d'exemple, d'influence prégnante. En l'occurrence à Kansas - avec qui Journey a tourné - qui semble bien avoir retravaillé ce morceau pour l'amener plus loin et en sortir le formidable "Carry on Wayward Son".
Et puis, et puis... il y a cette magistrale chanson. L'une des meilleures du répertoire de Journey toutes période confondues : "Look into the Future". Ballade heavy-blues hallucinée où Neal Schon tourne en boucle son riff en Voicing en le ponctuant de bref chorus d'où émergent discrètement l'ombre Hendrix. Tandis que Gregg Rolie, tout en se cramponnant à son Hammond, chante avec une telle conviction qu'il ferait passer ces banalités éculées pour un beau poème d'amoureux transi et désespéré.
Sur ce perfectible deuxième album traînant ses incertitudes, on sent que Journey explore, cherche de nouvelles voies. Hésitant encore entre abandonner ses premières velléités d'un Heavy-rock progressif enlevé, agrémenté de blues et de jazz, et s'ouvrir à des champs plus ou moins mainstream, relativement plus académiques. D'où la reprise des Beatles, et les divers emprunts et sources d'inspiration. Tout en prenant soin de ne pas s'approcher du terrain miné par Santana. Même si Gregg Rolie et, dans une moindre mesure, Neal Schon, ont été jusqu'à "Caravanserai" des acteurs actifs en matière de composition. Il n'empêche que ce "Look Into the Future" n'a quasiment rien perdu de son charme et devrait être réhabilité dans une discographie généralement focalisée sur la période "Steve Perry".
No. | Lyrics | Music | ||
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1. | "On a Saturday Nite" | G. Rolie | Rolie | 3:59 |
2. | "It's All Too Much" | G. Harrison | Harrison | 4:03 |
3. | "Anyway" | Rolie | Rolie | 4:11 |
4. | "She Makes Me (Feel Alright)" | Alex Cash, Rolie | Neal Schon | 3:12 |
5. | "You're on Your Own" | Rolie | G. Tiockner, Schon | 5:53 |
No. | Lyrics | Music | ||
---|---|---|---|---|
6. | "Look into the Future" | Diane Valory, Rolie | Schon | 8:10 |
7. | "Midnight Dreamer" | Rolie | Schon | 5:13 |
8. | "I'm Gonna Leave You" | Rolie | Schon, Rolie, Tickner | 7:00 |
🎶🌌
Pour sûr que le groupe pâtit de cette filiation hard-rock-FM (Kansas, Boston, Styx...etc) imposée par les compagnies à une époque, fin des années 70 - début des années 80, où tout, et pas seulement en musique, commençait à prendre mauvaise tournure. Mais malgré la présence de pointures comme Rolie et Schon, la solution, c'était quoi? La fusion, un avatar de Santana? Les doigts entre deux manches, ça ne donne rien en général. J'ai longtemps hésité à en acheter un ou deux sans franchir le pas. En revanche, j'ai un BTO, Not fragile (brouhahas, sifflets dans la salle).
RépondreSupprimer"Les doigts entre deux manches, ça ne donne rien en général" 😊
SupprimerCe qui fut malheureusement le cas pour un certain nombre de groupes de Southern-rock. A l'exception, peut-être, de The Outlaws qui avait su se réinventer et sortir un bel album : "Soldiers of Fortune"
Bachman Turner Overdrive, "Not Fragile". Absolument aucun rapport avec Journey 🤣, mais un classique du groupe et du heavy-rock (de bûcheron) canadien.
SupprimerJ'ai aussi longtemps hésité à en acheter quelques uns de ce groupe , mais j'ai finalement franchi le pas , avec l'acquisition du coffret bon marché "Original Album Classics" regroupant les disques de la période 1978 à 1986 . Résultat , pas vraiment convaincu malgré comme dit Shuffle la présence de Rolie et Schon . Duo capable de fulgurance comme le groupe éphemere Abraxas Pool , découvert il y a quelques années grâce à l'excellent Philou sur ce blog!
RépondreSupprimerLe package "Original Album Classics" contient ce qui est généralement considéré comme l'âge d'or du groupe. Soit les cinq premiers avec Steve Perry.
SupprimerEt "Infinity" est effectivement l'un de leurs meilleurs albums. Mais aussi une période où dès "Evolution", Gregg Rolie est moins impliqué, jusqu'à quitter la troupe l'année suivante. Ce qui correspond à une immersion plus profonde dans des eaux dites "FM".
Le problème avec les "Original Album Classics", c'est qu'il n'y a pas eu la moindre "remasterisation" sur les disques. On se retrouve ainsi avec des CD dignes des rééditions des années 80-90. Soit bien compressés, manquant de relief. On peut le comprendre pour des groupes plus ou moins obscurs, mais c'est absolument incompréhensibles pour des entités telles que Journey, ou Molly Hatchet, Jeff Beck, Yes, Chicago, Toto, Alice Cooper, Jethro Tull, Foreigner. Bref, des groupes qui ont bien suffisamment vendu pour être choyés par leur maison de disques (aux caisses pleines) et qui vendent encore.
Certes, ça reste un bon et peu onéreux moyen pour connaître un groupe, mais, à notre époque, il me semble qu'on moindre effort serait plus respectueux envers les "consommateurs". après, faut pas se plaindre du téléchargement
- "Petit coup de gueule du matin : chagrin", Confucius, épître 25, chapitre 12, an -531
Les maisons de disque font effectivement n'importe quoi, notamment avec les rééditions. J'ai acheté un Original albums classics du J Geils Band uniquement pour avoir Ladies invited, indisponible depuis un bon moment. Qu'elles en profitent, après les bons c.... comme nous, il n'y aura plus personne pour acheter de disques. Et la niche du vinyle ne doit pas faire illusion;
SupprimerIdem pour "Johnny Dawson Winter III" et "Flirtin' with Disaster". En désespoir de cause, j'ai fini par me retourner vers ces "Original Album Classics" 🥴
SupprimerQuant aux achats physiques, si le CD accuserait bien une baisse historique, les vinyles afficheraient un chiffre digne des années 80... au point d'avoir dépassé les ventes de CD.
Peut-être un effet d'annonce, un coup de pub. Car, ils sont bien gentils, mais un vinyle reste encore plus cher qu'un CD. Sans compter qu'une bonne platine vinyle coûte un bras et qu'il faut un ampli compatible, et/ou un préamplifacateur spécifique (pour platine).
Bref, on dirait que désormais, il y a un support pour les "aisés", un second pour les moins "aisés", et un troisième (le streaming) pour les autres. Ceux qui consomment la musique sans y prêter attention (Fast-food-music ?), en bruit de fond (sic) ou pour se couper du brouhaha urbain, ou tout simplement ceux, réellement amateurs mais qui n'ont pas d'autres moyens. Après la médecine à deux vitesses, la musique à trois vitesses ? 😁
On remarque aussi que de plus en plus de disques ne sont disponibles qu'en téléchargement.
SupprimerLes coûts de production et de diffusion peuvent se révéler insurmontables pour les jeunes groupes.
Ce qui, de suite, fausse la donne...
La platine vinyle qui coûte un bras, excellent.
SupprimerOui Shuffle et si on la vole on finit en cellule 😊.
RépondreSupprimerBlague à part. De source assez sûre, les vinyles actuelles de rééditions ou pas ont des matrices gravées à partir de source numérisées !!! Donc on écoute du numérique à prix fort, Ok, la pochette, c'est cool... C'est un peu snob mais il n'y a aucun mal à se faire plaisir… À confirmer…
J'ai une belle collection de LP d'avant le CD et une platine plutôt haut de gamme (Rega P6 + Goldring 1042 + préampli Lavardin… Bref, je suis manchot 😊, 20 ans de crédit.) J'ai surtout des disques "classique". Parfois, le son est vraiment fin, limite 3 D, parfois c'est nasillard et pourri. D'ailleurs il n'y a pas de marché nouveau dans ce style de musique hormis des Best oif par des vedettes du classqiue. On trouve des choses sympas chez des bouquinistes ou chez Discogs… Il faudrait que j'emprunte un truc pop-rock à la médiathèque…
Bye.
Shuffle Master.
SupprimerBien vu pour la cellule. Pour mon compte, j'ai la classique Thorens TD 166 et une Systemdeck (bras Linn), mais elles ne tournent pas souvent, voire quasiment jamais. Ces histoires de son (analogique, numérique...etc) c'est devenu très compliqué. Pour la source des vinyles, je ne savais pas, ça remet à leur place les ayatollahs de l'analogique. Le marché dit audiophile se réduit de plus en plus., ça va devenir une secte pour milliardaires (cf le prix des amplis à lampes nordiques par exemple, sans
Supprimerparler de McIntosh).
des McIntosh).
Thorens 166 + bras Linn... pas mal non plus !!! j'ai eu une Thorens TD 160 + TP16 acheté en 1972 qui m'a lâché en 2022 (les suspensions de la contre-platine) ! 50 ans, l'époque où l'on construisait pour "que ça dure"... Un bon ampli à transistors FET a les mêmes qualités que les tubes à prix similaires... sans l'obligation d'en changer....
SupprimerBon... c'est du sérieux... on déballe le matos... j'vais ressortir le Teppaz 😁
SupprimerLe "retour du vinyle" est une véritable arnaque, effectivement les rééditions sont pour la majorité des CD gravés sur vinyle. C'est plus cher qu'un CD et en plus il faut l'ampli, les enceintes, le diamant, le nettoyant, etc... La grande pochette ne suffit pas à contrebalancer tous ces inconvénients. Je reste donc aux CD.
RépondreSupprimerEt le disque qui était un simple à l'époque, avec cinq ou six titres par face, est devenu un double ! Y parait que c'est pour que les sillons soient moins serrés, donc le son plus ample... Je n'ose imaginer le nombre de galettes pour une réédition vinyle d'un live de Greatful Dead ! Pour l'aspect analogique/numérique, c'était le cas des rééditions cd quand ce format est apparu, il y avait les mentions AAD, ADD, DDD derrière, le truc était-il du 100% digital, depuis l'enregistrement, ou juste remixé, ou juste gravé. Le même genre d'imbroglio existe avec le cinéma, et les fameuses rééditons 4K de films vieux de plus de 50 ans, donc avec une matrice argentique...
SupprimerHoula ! J'avais oublié ces spécifications : AAD, ADD, DDD. Et effectivement, y'avait quelque chose, une différence. Au point où avec un pote, on évitait (autant que possible) les AAD. Mais, peut-être que de nos jours, cela n'ait plus rien de vraiment significatif.
SupprimerToutefois, dans le domaine de la réédition (de vieux machin), il peut y avoir encore un sacré fossé - et à ce titre, certaines boîtes frisent le foutage de gueule.
Alors, j'aurais pu me séparer d'un lecteur CD, mais je n'aurais pas pu, ne plus avoir de platine vinyle. Ce n'est pas dans "ma logique".
RépondreSupprimerMais c'est bien connu, diamonds are a girl's best friend ;)