il y avait le live réalisé au Carnegie Hall de 1971, il y aura dorénavant celui enregistré la même année au Center John F Kennedy de Washington. La différence entre les deux ? Le premier est la somme du meilleur d'une semaine de concerts, tandis que le second est l'intégralité d'un seul. Un unique concert donné le 16 septembre 1971, présentant ce que pouvait alors donner sur les planches le septuor Chicago. Une représentation sans filet, sans overdubs, sinon un juste travail de restauration, et de mixage des bandes. Le résultat est à la hauteur des attentes. Suffisamment pour menacer d'enterrer le " Live at Carnegie Hall - (Chicago IV)", dont certains musiciens de la troupe déploraient le rendu sonore, estimant que le Carnegie était inadéquat pour la musique amplifiée. "Le son des cuivres après avoir été "microphonés" sonnait comme des kazoos" dixit le tromboniste (et percussionniste, et choriste) James Pankow.
Menace pesant aussi sur le second live, le "Live in Japan" de 1975. Une somme de trois concerts donnés à Osaka en juin 1972, et (double-)album généralement mieux apprécié car profitant d'un enregistrement (de deux huit pistes reliés) de meilleure qualité.
Une fois de plus, les Angelins de Rhino (filiale de Warner) ne se sont pas tournés les pouces, et sont allés chercher une prestation inédite. L'intégralité d'un excellent concert démontrant que Chicago était alors un sacré groupe de scène. Et non une grosse machine à guimauve et autres sucreries, comme il le deviendra plus tard, en studio. Probablement l'un des meilleurs groupes comportant une division de cuivres, car au contraire d'une majorité, il ne s'agit pas d'une section rapportée - aux membres interchangeables -, mais bien une partie intégrante du groupe. D'autant que Lee Loughnane, trompettiste, choriste, percussionniste et accessoirement guitariste, est un membre fondateur du groupe. Tandis que James Pankow, tromboniste, percussionniste et choriste, a une part active dans la composition. Cet indéfectible trio est l'un des rares groupements de cuivres à être aussi impliqué et soudé à la musique de son groupe. Il procure avec une rare élégance, du corps et de l'ardeur, avec un sens de l'harmonie qui l'amène parfois à se mêler aux voix, presque comme un énième chanteur. Loin d'être cantonné à un simple rôle d'accompagnateur, d'enjoliveur, ce commando de cuivres et bois se présente parfois comme l'épine dorsale des morceaux.
Le présent enregistrement est la première programmation à connotation "rock" du John F. Kennedy Center. Ouvert au public depuis seulement huit jours, il a été initialement inauguré par la pièce théâtrale musicale "Mass" de Leonard Bernstein, puis par des concerts classiques et par la gentille soul (aux qualités soporifiques) de The Fith Dimension. Et si le septuor a déjà commencé la mue qui va progressivement l'amener à étouffer ses velléités rock - ça commence vraiment à déraper à partir du "Chicago "VI" -, il en est encore tout autre chose en concert, où la formation prend des intonations franchement robustes, plus en phase avec une tonalité "rock", voire même avec celle des formations de heavy - progressif ou rock - de l'époque.
La guitare incendiaire de l'excellent feu-Terry Kath en est la principale responsable. Kath est d'ailleurs l'élément fondamentalement rock du groupe. Même plus tard, quand Chicago se complaira dans une musique plus ou moins mièvre, Kath se fera fort de placer une ou deux pièces bien rock, parfois aux intonations "heavy". Probablement que sans lui, le groupe se serait noyé dans une mélasse de doucereuses comptines pop-jazzy. Et si les cuivres sont un élément essentiel et distinctif de Chicago, la guitare rude, sans artifice et énergique de Kath, en est alors le socle monumental, - monolithe fabuleux -, sur lequel reposent les fondations du groupe, donnant à ce dernier sa couleur "rock" - parfois presque "heavy". Même dans des morceaux plus sensiblement jazzy, tel que "A Hit by Varèse", son attaque franche, sa tonalité, maintient solidement le groupe dans une atmosphère résolument Rock (1). Et même quand la troupe s'embarque dans des pièces plus pop/soul, Kath, tel un lutin espiègle, sort quelques gargousses. Ainsi, sur le réjouissant "Lowdown", il finit par dégainer une wah-wah épaisse, plongeant alors un instant la troupe dans un trip Creamien. Ce qui n'est pas une règle absolue ; avec "Goodbye" ou "Beginnings", il se contente de suivre humblement les lignes de l'orgue de Robert Lamm. En fait, Kath n'intervient, ne perce le mix qu'à bon escient. C'est ce qui le distingue des "guitar hero" corrompus par leur ego. Oublié, mésestimé, le décès de Terry Kath sera une intense peine pour Chicago - qui d'ailleurs, profondément meurtri par la tragédie - avait failli raccrocher.
Par contre, son chant peut manquer de puissance lorsqu'il fait face aux vigoureux assauts des cuivres. Il se montre plus à l'aise sur des morceaux plus sobres, comme "Colour My World", où une fragilité perce sous une carapace de vieil ours. Néanmoins, il se révèle être un beau contrepoint quand il partage le chant avec celui nettement plus maîtrisé de Peter Cetera et/ou de Robert Lamm. De toute façon, les chansons reposent sur une pluralité de chanteurs. Sur sept, seul Danny Seraphine, le batteur, ne chante pas. Kath, Lamm et Cetera se partagent le chant lead, alternant parfois - à deux ou trois voix (comme sur cette première version de "Dialogue") - sur la même chanson. Et si parfois, les tonalités "blue-eyed soul" de Lamm et de Cetera peuvent être assez semblables, Kath se distingue généralement par un aspect relativement plus sauvage, à la fois frustre et faillible. Tandis que derrière, les cuivres, Loughnane, Pankow et Parazaider, forment aussi une solide section de choristes, qui donnent une coloration entre soul et jazz.
La prestation recouvre les trois premiers disques du groupe. Ce qui pourrait paraître relativement restreint pour nourrir une prestation dépassant aisément les deux heures, si, en fait, il ne s'agissait pas de doubles albums. A cela s'ajoutent trois inédits, "Dialogue", "A Hit by Varèse" et "Saturday in the Park", qui seront inclus dans une version peu ou prou différente sur le "Chicago V". Ce qui donne vingt-six morceaux généreux, où les Chicagoans s'en donnent à cœur joie. Bien que débutant relativement timidement, - ou prudemment -, en s'appuyant sur quelques (déjà) classiques du répertoire (également premiers hits), avec quelques présentations s'interposant entre chaque morceau, de suite, dès "Dialogue", une chaleur communicative imprègne ces pièces lumineuses. Il y a quelque chose de réellement positif, de réjouissant, d'optimiste, d'insouciant, qui émane de ce répertoire. Et cela va crescendo, fusionnant superbement la légèreté de la Pop avec l'emphase de la soul et la rudesse d'un rock appuyé ; le tout parfois coloré de vifs éclats de Jazz. Le groupe, affûté, fait corps, enchaîne les morceaux sans défaillir. Kath ponctuant parfois le propos de soli corrosifs, saupoudré de wah-wah fuzzy, les cuivres clamant leur joie de vivre. C'est un véritable festival. Le groupe semble inatteignable. Il a parfois été écrit qu'à ses débuts, Chicago était un groupe de rock-progressif puisant dans le Jazz. Pas faux si on se réfère à un morceau tel que "West Virginia Fantaisies", mais ça reste minoritaire - toutefois, il est vrai qu'en studio, l'élément progressif est (était) d'actualité. Et en concert, l'engouement des musiciens les amène plutôt à développer les ingrédients rock et soul.
"Fancy Colours" (qui débute le deuxième CD) paraît accuser le coup, se traînant ; mais ce n'est qu'un leurre, la troupe enchaînant subitement sur une ambiance festive d'une chaude soirée d'été à la Nouvelle-Orléans - avec une flûte espiègle de lutin farceur et une wah-wah bondissante. Et puis arrive la pièce de bravoure : "It Better End Soon". Une pièce de dix-huit minutes un brin poussive sur disque, qui, avec l'effervescence de la scène prend une dimension plus proche du style de Rare Earth. Toujours scindée en cinq mouvements, elle alterne entre des épisodes incandescents et d'autres plus posés, de recueillement, avec notamment un solo de flûte traversière, enchaîné à une envolée de saxophone débridé.
Cependant, hélas, la dernière partie accuse le coup. Jusqu'à "In The Country", rencontre improbable de Delaney & Bonnie (with Clapton) avec les Beatles, les Chicagoans tutoient l'excellence, mais semblent ensuite rincés, exsangues. Avec notamment l'insupportable "A Song for Richard and His friends", blâme contre l'administration de Nixon, à faire fuir les plus tolérants, et la suite pénible de la longue et barbante intro de "Does Anybody Really Know What Time It Is ?" au piano lourd, martelé n'arrange pas les choses. Et s'ils se ressaisissent merveilleusement, il faut bien admettre que la reprise du "I'm A Man" du Spencer Davis Group, autre instant de bravoure scénique, longtemps indissociable de leurs concerts, ne suit pas la comparaison avec celle du "Live In Japan". Même la captation paraît alors plus touffue. Tandis qu'avec "Free", on sent qu'ils donnent tout ce qu'ils ont, puisant leurs dernières forces, peinant à maintenir une cohésion - le saxo se lance dans un ultime solo free, pendant que la rythmique a du mal à garder la cadence échevelée. Et puis, finalement, pour clôturer le set, comme pour un barouf d'honneur, la troupe reprend le dessus et envoie un "25 or 6 to 4" en mode bombardier.
![]() |
Le groupe en 1971 |
Ainsi, les éditeurs auraient pu faire l'impasse sur une bonne partie de cette dernière tranche - qui fait l'objet d'un troisième CD. En se limitant aux deux premiers disques, ça en aurait fait l'un des meilleurs exposés live de 1971 - et plus. Mais c'est le parti pris, celui de présenter un témoignage sans retouche d'un concert intégral de Chicago. Cela n'en demeure pas moins une réjouissante surprise. Quand, actuellement, tant d'enregistrements live aux qualités douteuses, médiocres, sortent et ternissent l'image de groupes et d'artistes, il est des plus agréable de tomber sur un document de cette qualité. Suffisamment pour s'insérer parmi les meilleures pièces du septuor.
(1) Terry Kath est l'un des guitaristes indissociables de la Fender Telecaster (la sienne est modifiée). Toutefois, à ses débuts, succombant à l'influence de Jimi Hendrix, il adopte une Stratocaster. Guitare qu'il ressortira longtemps à l'occasion, notamment pour l'instrumental "Free for Guitar". On le voit aussi aux débuts du groupe avec une Gibson SG custom 63 (à trois micros). Mais au début de la décennie, il se fait remarquer avec une gratte peu commune : une Gibson Les Paul Recording. Une Les Paul initialement conçue pour le studio, équipée de deux micros à faible impédance placés en diagonale. Outre le sélecteur trois positions habituel, la guitare est équipée d'un commutateur (façon Fender Mustang) pour mettre les micros en phase ou hors-phase, un sélecteur rotatif "decade" censé donner la possibilité d'émuler les précédents modèles Les Paul, un potentiomètre de volume, un pour les graves et un autre pour les aigus, et un sélecteur d'impédance des micros. Lester W. Polsfuss lui-même, alias Les Paul, utilisera longtemps cette guitare.
On ne peut pas nier une chose : ça joue, et ça joue bien ! Roboratif. J'avoue avoir un faible pour cette musique "de musiciens", musique collective, c'est vrai que les cuivres sont bien placés, pas que des back, mais intègrent l'ensemble. Le CD 3 ne m'a pas scandalisé plus que ça (mais je ne connaissais pas les originaux), c'est juste que ça devient un peu longuet, on a du mal parfois à voir la différence entre deux titres, le paysage musical ne varie pas tant que ça (ou plutôt la configuration dans laquelle les morceaux sont joués).
RépondreSupprimerSi, dans l'ensemble, le septuor transcende ses morceaux en déployant une belle énergie communicative, sur le 3ème CD, il paraît exténué. Il donne alors une prestation quelque peu brouillonne, en-deçà des originaux.
SupprimerLa "song for Richard et ses potos" est une bouse inédite en studio qui aurait gagné à être raccourcie à sa partie chantée, tandis que l'intro (déjà pas folichonne) de "Does Anybody Really know..." est inutilement rallongée.
Sinon, tu n'a pas tort au sujet d'une configuration parfois assez similaire. Notamment sur le second tiers du 1er CD.