vendredi 14 février 2025

A REAL PAIN de Jesse Eisenberg (2025) par Luc B.


A REAL PAIN est le deuxième film écrit et réalisé par l’acteur Jesse Eisenberg qu’on avait découvert dans THE SOCIAL NETWORK de David Fincher, le gars y jouait le rôle de Zukerberg avec un débit de parole à la mitrailleuse, à côté duquel Eminem passerait pour un proche cousin de Jean Pierre Darroussin.

Le sujet pourrait paraître plombant, mais le ton et l’énergie en font un film très plaisant. Deux cousins, David et Benji, qui viennent de perdre leur grand-mère, rescapée des camps nazis, décident d’un road trip en Pologne, aux sources familiales juives. A Varsovie, ils intègrent un petit groupe de touristes, tous liés par la Shoah.

Ca commence à toute allure, en mode comédie survoltée. Dès qu’un type stressé, qui parle vite, fraye dans les rues newyorkaises, on pense à Woody Allen (avec qui Eisenberg a tourné deux fois). Première scène clé : David inonde la messagerie de Benji en mode « j’arrive dans 30 mn, rappelles moi ». Quand David arrive à l’aéroport, Benji y est déjà depuis plusieurs heures. Car il aime l’atmosphère du lieu. Les multiples messages reçus ? Pas entendus. Il n'avait pas allumé son portable. Hum, bizarre quand on a rendez-vous pour prendre l’avion…

Benji s’est fait envoyer à l’hôtel de Varsovie un gros paquet d’herbe (faudra m'expliquer comment y fait... pas pour moi, pour un copain), séance fumette sur le toit qui ravive les souvenirs d’enfance. On les sent très liés, David le pragmatique, Benji l’hurluberlu, adorable boulet. Mais on perçoit au fil des scènes des fêlures, un type meurtri, remonté contre une société égoïste, qui se drape en victime. Benji est sans filtre. Agressif même, quand il reproche au guide de ne leur faire visiter que des ruines, mais jamais interagir avec la population locale.

Très belle scène dans le train qui mène le groupe vers Lublin, logé en première classe. Benji pète un plomb : ses aïeux juifs, eux, sur le même parcours, étaient entassés dans des wagons à bestiaux. Pour lui, la situation est d'un cynisme intolérable, il quitte le compartiment, suivi par David, s'installent plus loin, s’endorment, ratent la gare, doivent reprendre un train dans l’autre sens, donc sans billet, tentent d’échapper au contrôleur en se cachant… dans les premières classes ! Cette séquence témoigne de la qualité d'écriture, qui mêle le cocasse, l'absurde, l'humour, autant que la gravité sous-jacente du propos, et donc, la réflexion. Lubitsch n'est pas loin.   

Gravité accentuée lorsque le guide les emmène visiter un camp d’extermination, forcément, ça calme. Il prévient que ce genre de pèlerinage peut remuer les sentiments, les consciences, faire ressurgir un passé familial, chacun y réagit à sa façon. Pour Benji, c’est l’outrance, les moqueries déplacées ou des crises de larmes. Le soir au restaurant, il invective le groupe, rote bruyamment, boit trop, se réfugie aux toilettes. Moment très gênant pour les convives autant que pour le spectateur, un silence pesant soudain brisé un air de piano qui résonne dans l’auberge : c’est Benji, calmé, serein, qui joue. Là encore, le réalisateur joue sur deux registres à la fois. 

Ce personnage de Benji est vraiment intéressant, merveilleusement interprété par Kieran Culkin, qui a décroché le Golden Globe cette année (frère de Maucauley Culkin, le gamin de MAMAN J’AI RATÉ L’AVION). Le réalisateur aurait pu s'attribuer ce rôle central et les lauriers qui vont avec, mais a choisi de rester en périphérie. Une humilité rare à Hollywood. 

Jesse Eisenberg concentre son film sur ce voyage initiatique (inspiré de sa propre histoire) et la relation fusionnelle entre les deux cousins, sans doute au dépend des personnages secondaires, moins caractérisés. Il y a cette belle quinqua divorcée joué par Jennifer Grey (celle que Patrick Swayze faisait virevolter dans DIRTY DANCING), qu'on aurait voulu connaitre davantage. Comme Elage, rescapé du génocide rwandais converti au judaïsme par solidarité !

Autre jolie scène où les deux cousins retrouvent la maison de leur grand-mère, déposent des pierres devant l’entrée, rite juif, mais engueulés par le voisin « virez vos trucs, la vieille qui habite là va se casser la gueule en sortant ! ». Eisenberg mêle habilement la comédie et le drame, le cocasse et l'émotion, son film arrive à être léger et grave quasiment au sein du même plan, ça rappelle aussi un peu Chaplin.

Je ne vais pas vous dire ce à quoi j’ai pensé à l’issue de la dernière scène, au retour à l’aéroport de New York, où Benji refuse le taxi que lui propose de partager son cousin. J’ai eu comme une révélation, et en repensant à plusieurs détails disséminés dans le film (et ce dès les premières minutes) je pense que j’ai raison… Si c’est la cas, c’est tout le film qui prend une autre dimension et qui explique beaucoup de choses. On a affaire à un scénario sacrément bien troussé, jamais lourdingue malgré le sujet.

Bercé intégralement par des œuvres de Chopin (un polonais), A REAL PAIN est un très joli film, sensible et plus profond qu'on ne le croit, à la mise en scène enlevée, rythmée, souvent drôle (la scène des photos devant le monument), qui doit beaucoup à l’énergie communicative des acteurs. 

Allez zou : coup de coeur de cette nouvelle année cinoche (en attendant le prochain). 

NB : vu en avant première, le film ne sortira que le 26 février dans les salles, ce qui laisse le temps de s'organiser, faire garder les gamins, annuler un diner chiant...

Couleur - 1h30 - format 1:1.85 

4 commentaires:

  1. Shuffle Master14/2/25 09:05

    Si, si, tu vas nous le dire à quoi tu as pensé. Question reformulée pour les jeunes (nombreux) qui passent le bac de français cette année et qui (non moins nombreux) lisent Le Déblocnot: en utilisant vos références cinématographiques, littéraires ou théâtrales, repérez et analysez les prolepses figurant dans le film. ChatGPT verboten.

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  2. Bon d'accord... Mais ceux qui veulent voir le film, ne lisez pas ce qui suit. Le fait que le gars ne réponde pas à son téléphone dans un moment pareil, que plus tard il prétende ne pas avoir d'appli musique sur son portable pour emprunter celui de son cousin, etc... je pense que le gars n'a plus les moyens de payer son forfait, qui a été suspendu. On le voit à l'aéroport dès le début (il prétend aimer y trainer des heures regarder les gens) et à la fin, ses arguments pour ne pas prendre un taxi sont vaseux, comme cette histoire de bus qui ne passe pas dans son quartier, tout ça sonne faux. Dans le dernier plan, on le voit assis sur une banquette, exactement comme au début. Ca + ça + ça... je pense que le Benji a été viré de son boulot, n'a plus d'argent, pas de logement (donc pas d'adresse à donner au taxi) bref il est sdf, vit dans l'aéroport, ne l'a dit à personne, et ment pendant tout le film, dont quelques scènes, du coup, s'éclairent différemment. Ce qui est remarquable, c'est que rien n'est dit, explicité (donc rien de mélo, on ne s'apitoie pas puisqu'on ne sait pas) c'est juste la lecture de certaines scènes qui l'induit.

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    1. Shuffle Master.14/2/25 16:56

      Merci, mais.... Si on (en réalité, je) me prend(s) comme exemple, je ne réponds pas au téléphone fixe (je laisse sonner ou je décroche sans rien dire), je n'ai pas d'appli musique sur mon portable (d'ailleurs, je n'ai pas de portable non plus), quand on était gamins, la distraction c'était d'aller à Orly prendre les escalators et passer les portes coulissantes, et je n'aime pas les taxis, qui comme chacun sait sont, soit des escrocs, soit des indicateurs de police, et parfois les deux. Malgré tout ça, je ne figure pas das le film, qui perd de facto, toute crédibilité (ainsi que ton hypothèse). Voilà.

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    2. Alors là, effectivement, ma théorie tombe lamentablement à l'eau. Je n'avais pas prévu d'inclure ton profil dans l'équation. Profil qui échappe à toutes statistiques. Bonne nouvelle : tu ne seras jamais dans les bases de données Chatgpt.
      Aller s'amuser sur les escalators d'Orly ? Je me contentais de ceux des Galeries Lafayette, en province. C'est vrai que c'était rigolo.

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