On a entendu ici ou là que ANORA
revisitait le PRETTY WOMAN de Garry Marshall. Comme L'ARMEE DES OMBRES a été inspirée de LA GRANDE VADROUILLE? Le film avec Julia Roberts en cuissardes et tout sourire était une comédie romantique à l’eau de rose bien formatée, la prostituée était filmée comme une Cendrillon de
conte de fée, propre sur elle, on ne la voyait jamais au turbin. Le film de Sean Baker, lui, est une vision ultraréaliste d’un monde cabossé, sa caméra plonge illico au plus près du sale
boulot de ses filles, gogo danseuses, qui se trémoussent langoureusement pour
quelques billets glissés dans leur string.
Les 25 premières minutes paraissent complaisantes, voyeuristes, mais il fallait ça pour monter le décor. Anora a
bien compris que le fric est nécessaire pour survivre, le
réalisateur ne pose aucun jugement moral sur son héroïne. Quand
elle danse pour Ivan, fils à papa d’un oligarque russe, qui lui
propose de la privatiser, une soirée, puis une semaine, Anora saute
sur l’occasion. Il propose 10000 dollars, elle en négocie 15, il lui dit, le sourire goguenard, qu’elle aurait du demander 40. Là encore,
scènes de débauches à répétition dans la maison du papa, snif, baise, snif, baise, puis virée à Las Vegas, en jet privé. Les couleurs
saturées, les néons, plans ultra courts, montage en jump-cut, la
mise en scène épouse la frénésie et la vulgarité de cette
jeunesse friquée. Baker filme en caméra épaule (ou à la dolly, mais sans rail de travelling), ça va vite,
regardez comme le gamin ne marche pas, mais glisse en chaussettes sur
le marbre de la maison.
Et puis ce plan, fixe, long, sur Anora au pieu, qui
écoute l’inconsistant Ivan lui proposer de l’épouser. La caméra se pose car l'instant est important pour Anora. Blague potache, énième démonstration de cynisme, délire sous substance, ou réel aveu ? Pour
elle, c’est peut être un avenir meilleur, une rente à vie, même
si elle sait que le prince n’a rien de charmant. Pour lui le moyen
d’échapper à ses parents, voire obtenir la nationalité
américaine. Mariage à Vegas, la fiesta recommence. Puis une première rupture de ton, de décor.
Une église orthodoxe, un baptême, des types patibulaires au téléphone. On comprend que les frasques du gamin étaient surveillées de
près par Toros, l'homme de main de l'oligarque russe. Les parents exigent l'annulation du mariage. Toros engage deux sbires, Garnick et Igor, pour
retrouver les tourtereaux…
La séquence qui suit devrait rester dans
les annales. Dans le salon de la baraque du père, Garnick et Igor,
puis Toros (qui a lâché sans prévenir le baptême,
et le bébé avec !) essaient de convaincre Anora d’annuler le
contrat de mariage. Les mecs, qu’on imaginait être
des mafieux violents (référence au cinéma de genre) sont totalement dépassés par la réaction d’Anora. Ca dure 20 bonnes
minutes, crescendo hystérique, le décor ne s’en remettra pas, c’est dantesque !
Sean Baker
a pas mal improvisé au tournage, les comédiens aussi, on sent que les prises ont été filmées dans la
durée (10 jours pour cette séquence). Mais intelligemment, Baker a coupé dans sa matière, a saisi des instants, dynamisé son montage, joué sur l’apaisement et le fracas, pour provoquer la surprise et le rire.
Puis le
film s’engage dans une course poursuite nocturne, pour retrouver
Ivan qui a foutu le camp. Les trois pieds nickelés parcourent un
Brooklyn interlope, glacial, les manèges de Coney Island désertiques, comme dans ATLANTIC CITY de Louis Malle, ils questionnent, menacent,
vocifèrent, et tentent de maîtriser la tornade Anora que rien ne
semble amadouer. ANORA verse alors dans la farce burlesque.
Ce sont
ses ruptures de tons qui font la qualité du film, à l’image du
superbe long dernier plan. On se souvient alors des premières scènes, la
certaine complaisance avec laquelle Sean Baker filmait les filles sous
des lumières crues et stroboscopiques. On finit avec une caméra
stable, un travelling très lent dans l’habitacle d’une voiture,
avec Igor et Anora, et cette fois la caméra va
recadrer lentement son visage, ses larmes, dans la grisaille du petit
matin. Plan bouleversant.
Et de se demander : Anora est-elle victime
du système patriarcal, une bête de foire jetée aux hommes, qui
tente de s’élever, trouver un peu d’oxygène et d’amour
(est-elle amoureuse où cherche-t-elle à s’en convaincre?) ou une
intrigante qui a repéré le pigeon friqué, qui assume
parfaitement ses choix ?
L’autre grande qualité, c’est l'écriture des personnages, et l'interprétation qui va avec. Le malheureux Garnick semble sortir d’un Blake
Edwards. Igor le taiseux bas du front est comme un gamin paumé, merveilleuse scène
où il dit à Anora que la veille c’était son anniversaire. Avec Toros on hésite entre parrain mafieux, employé de base, ou bon homme paternaliste. Et
Anora bien sûr, époustouflante Mikey Madison (repérée chez
Tarantino) d’une justesse de jeu dans tous les registres, un feu d’artifice de
tous les instants.
Sean Baker a toujours filmé des marginaux, des
laissés pour compte (THE FLORIDA PROJECT, TANGERINE) des gens qu’on
ne montre pas, en posant sur eux un regard très humain. Il retrouve
cette vibration du cinéma américain indépendant des 70’s
(pellicule Kodak, zoom, l’apprêté des décors réels newyorkais comme dans
FRENCH CONNECTION, MACADAM COWBOY) qui interrogeait le rapport de
classe, à l’argent, au sexe, montrait la terrible solitude des
protagonistes. Il s'est inspiré aussi de la comédie italienne, de Godard (la longue séquence du salon rappelle l'idée de la dispute centrale du LE MEPRIS, le jump -cut) s'amusant aussi des codes du film de gangsters, de mafia.
On pourrait objecter une durée excessive (2h20) tout en
saluant l’énergie folle qui contamine le film, sa fraîcheur, le rythme débridé des
slapstick, que vient interrompre des respirations mélancoliques
qui désarçonnent. Je ne sais pas si c'est au niveau d'une Palme d'Or, mais c'est un grand film, certainement, et une Palme qui fait rire est une exception à saluer.
Je m'y ferai jamais à cette procédure (nom, puis commentaire). Enthousiaste, le type... Comme la majorité de la critique. Effectivement, ça donne envie. Ça sent pas un peu les Cohen bros, quand même?
Si tu as un compte Google, au moment de déposer un commentaire, tu choisis cette option ("ajouter un commentaire en tant que : ...) , sinon, tu communiques en mode "anonyme". Je ne savais pas qu'il fallait d'abord laisser son nom, puis le commentaire dans un second message. Ca pourrait, dans la seconde partie, être une histoire des frères Coen, avec les trois gangsters patibulaires, mais à l'image c'est beaucoup plus trash, il n'y a pas de vernis hollywoodien.
Tu penses bien que je n'ai pas de compte Google. Ni Facebook, ni Instagram, ni le reste. Et je n'ai toujours pas de téléphone portable. Ça devient de plus en plus difficile de faire sans, mais je résiste vaillamment.
Créer une adresse gmail (donc Google, par exemple shuffleanglaistatouéàcasquette@gmail.com) est assez simple, et ensuite c'est avec ça que tu te connectes. Je n'aurais pas tout cela non plus s'il n'y avait le blog, donc une connexion pour administrer le blog, donc Facebook pour mettre les liens vers les articles le matin, donc un espace de conversation entre chroniqueurs, etc... Mais si à ton grand âge tu as réussis à t'en passer, le plus dur est fait ! Le plus pénible c'est lorsque que tu synchronises les différentes machines entre elles (erreur que j'ai faite) car tu es abreuvé de notifications toutes les trois minutes. Mais bon, le mode silencieux est une merveilleuse invention...
Pourquoi pas, ce film m'intrigue. Le "Titane" primé il y a trois ou quatre ans, m'avait bluffé au départ, mais ennuyé ensuite, limite grotesque. On verra...
Shuffle Master.
RépondreSupprimerJe m'y ferai jamais à cette procédure (nom, puis commentaire). Enthousiaste, le type... Comme la majorité de la critique. Effectivement, ça donne envie. Ça sent pas un peu les Cohen bros, quand même?
RépondreSupprimerSi tu as un compte Google, au moment de déposer un commentaire, tu choisis cette option ("ajouter un commentaire en tant que : ...) , sinon, tu communiques en mode "anonyme". Je ne savais pas qu'il fallait d'abord laisser son nom, puis le commentaire dans un second message. Ca pourrait, dans la seconde partie, être une histoire des frères Coen, avec les trois gangsters patibulaires, mais à l'image c'est beaucoup plus trash, il n'y a pas de vernis hollywoodien.
SupprimerTu penses bien que je n'ai pas de compte Google. Ni Facebook, ni Instagram, ni le reste. Et je n'ai toujours pas de téléphone portable. Ça devient de plus en plus difficile de faire sans, mais je résiste vaillamment.
SupprimerCréer une adresse gmail (donc Google, par exemple shuffleanglaistatouéàcasquette@gmail.com) est assez simple, et ensuite c'est avec ça que tu te connectes. Je n'aurais pas tout cela non plus s'il n'y avait le blog, donc une connexion pour administrer le blog, donc Facebook pour mettre les liens vers les articles le matin, donc un espace de conversation entre chroniqueurs, etc... Mais si à ton grand âge tu as réussis à t'en passer, le plus dur est fait ! Le plus pénible c'est lorsque que tu synchronises les différentes machines entre elles (erreur que j'ai faite) car tu es abreuvé de notifications toutes les trois minutes. Mais bon, le mode silencieux est une merveilleuse invention...
SupprimerEn parlant de Cannes et de 2h20... The substance, prochain sur la liste ?
RépondreSupprimerPourquoi pas, ce film m'intrigue. Le "Titane" primé il y a trois ou quatre ans, m'avait bluffé au départ, mais ennuyé ensuite, limite grotesque. On verra...
SupprimerIl y a à peu près unanimité sur ce film, tout comme le parallèle-antithèse avec "pretty woman". Oui, ça donne envie.
RépondreSupprimerBien vu le
Anonyme
Shuffle Master
Si en plus c'est involontaire, hats off ...