Dans LA CAGE AU FOLLE, scène fameuse, la seule à avoir été captée, Jean Poiret
recommande à Serrault : « Imagine Gabin dans sa locomotive » pour se créer un profil
viril. Serrault, en nuisette pailletée, monte sur un tabouret, lance
un « tchou tchou », puis pousse un cri en clignant de l'oeil : « une escarbille !! ». Le film s’ouvre sur une série de plans ferroviaires, caméra embarquée sur une locomotive lancée à toute allure : la Lison. Que son conducteur Jacques Lantier bichonne comme une princesse. Images impressionnantes qui permettent surtout à Renoir d’inscrire son personnage dans son cadre, son métier. On jurerait que Jean Gabin savait conduire un train. Ce qui est d’ailleurs le cas, puisqu’il a appris pour le film ! La compagnie de train (ça ne s’appelait pas encore la SNCF) a mis à la disposition du réalisateur toutes les machines nécessaires, y compris des tronçons de rails pour le tournage. Ce qui frappe d’entrée, c’est la vision très réaliste du film, quand les mécanos frappent les bielles, huilent les rouages.
Une fois le décor posé, on découvre les personnages. Roubaud (excellent Fernand
Ledoux), le sous-chef de gare, un type pataud, qui courbera le dos
sous le poids de la tristesse et du remord tout le film, écartelé dans sa condition sociale, pas un prolo, mais pas non plus un bourgeois (« On sait que des gens comme nous, on ne tue pas pour le profit »). Au
début il est très fier de sa jeune et jolie femme Séverine (Simone Simon,
jolie minois, bonne actrice, mais un ton en dessus par rapport au
casting masculin). Lorsque Roubaud rentre chez lui, son visage
s’éclaire d’un grand sourire. Renoir le montre en plan de coupe. Car l’information est d’importance, ce sourire va s’effacer
très vite... Le mari, la femme, l’amant. Y'en a un de trop. Roubaud fomente le meurtre du vieux parrain, Séverine sera sa complice. Ca se passera évidemment dans un compartiment de train. Renoir introduit la scène avec une fumée noire de locomotive, funeste augure, et des inserts sur Roubaud qui manipule son couteau. Rien ne se dit, mais les images parlent. Jean Renoir qui d’ordinaire travaille avec de longs plans et d’amples mouvements de caméra, adopte ici un style plus découpé. Avec un jeu constant sur les regards croisés des personnages, qui disent la complicité, le désir, la tristesse, les remords, sans passer par les dialogues.
Plus tard, Séverine demandera à Lantier pourquoi il a menti pour elle : « - Vous me l’avez demandé – Mais je n’ai rien dit... - Si, vous me l’avez demandé, pas avec des mots, avec vos yeux – Vous me croyez coupable ? - Oui ». Sublime !
Lantier aussi a des envies de meurtres. Dans la saga de Zola, il est le fils de Gervaise, une lignée d’alcoolique. Entre deux voyages, il passe voir sa marraine qui lui demande comment il va : « Tu souffres encore de ce mal qui te rongeait le crane ? ». Lantier marmonne un « oh oui, c’est fini, c’est complètement passé » mais le regard de Gabin dit l’inverse. On y sent la souffrance, la rage contenue, prête à exploser. Il y a cette scène terrible où il recroise sa jeune cousine, Flore. Elle a grandi, devenue pulpeuse, il l’étreint, elle se débat (« pourquoi tous les hommes me regardent comme ça ? »), il pèse de tout son poids, la force, l’étrangle. Un train qui passe le réveille de son délire.
Renoir utilise merveilleusement la profondeur de champ, sa spécialité, il laisse la prise tourner, ses acteurs bouger, il y a toujours une porte ouverte, une perspective vers un palier, un escalier, ou dans la séquence du bal, une figuration grouillante. Chez Renoir, on ne se déplace pas seulement de droite à gauche, mais plus souvent de l’avant à l’arrière, donc dans la profondeur.
LA BÊTE HUMAINE est sans doute le film le plus sombre de Gabin, plus encore que LE JOUR SE LÈVE de Carné, autre drame criminel. Gabin et Renoir ont tourné quatre films ensemble, l’acteur a davantage travaillé avec Carné ou Duvivier. Ils ne s’entendaient pas trop. Le versant antisémite de Renoir au moment de la guerre avait fait dire à Gabin dans une interview mémorable : « Renoir dans le cinéma c’est un génie, dans la vie c’est une pute ».
Renoir a changé l’époque du roman, qui est devenu un film contemporain, et il a sérieusement dégrossi l’intrigue. Le pessimisme, la montée des tensions, la noirceur, l’engrenage mortifère du héros, à l’image de sa Lison filant à toute vapeur, annonce, comme LA RÈGLE DU JEU l’année suivante, le conflit mondial qui se profile.
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Au générique on peut voir aussi Marguerite Renoir, l’épouse monteuse, Claude Renoir le neveu cadreur, Alain Renoir, le fils assistant !







Je crois bien ne l'avoir jamais vu ... trop échaudé par le calamiteux Germinal de Berri, je me méfie des adaptations de Zola à l'écran.
RépondreSupprimerMais je connais le bouquin. Vers la fin de la série des Rougon, un peu une pièce rapportée, deux thèmes en même temps (les pulsions criminelles et la justice), et un personnage principal sorti de nulle part (Jacques Lantier a été inventé pour l'occasion, il n'était jamais mentionné jusque là dans les précédents).
L'autre personnage principal du bouquin, c'est la Lison qui est "humanisée" par Zola, comme le puits de mine du Voreux dans Germinal, ou l'alambic du père Colombe dans l'Assommoir ... Je pense que ça doit pas être très facile à rendre au cinéma, les locomotives généralement, ça fait pas l'Actors Sudio ...
Bonne fête 🍻🥂🍄🎂🍰
RépondreSupprimerMerci !
SupprimerC'était un des films préféré de mon père (normal pour un cheminot !) et qu'y lui donnera son seul regret de ne pas avoir pu passer le stage vapeur ( Les Mikadotype 141 et les pacific 231 commençaient a disparaitre quand il rentrera à la SNCF)
RépondreSupprimerShuffle Master.
RépondreSupprimerC'est un peu le problème avec Zola, on risque d'être déçu. Il y a aussi Nana, pas terrible. Je ne sais pas si ça a été fait, mais à notre époque de spéculation forcenée, La Curée ou L'Argent, mériteraient de passer sous forme de scénario.
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