« Dans les ports d’Amsterdam Y’a des marins qui chantent Des rêves qui les hantent »
Ce soir-là les marins avaient déserté depuis bien longtemps, remplacés par la masse froide d’une foule hétéroclite. Elle dut pourtant le sentir cette masse, ce conglomérat de junkies du divertissement, que la soirée qu’elle s’apprêtait à vivre ne serait pas comme les autres. On lui avait d’abord annoncé la venue de Joe Bonamassa, le stakhanoviste du blues, celui qui atteint le sublime aussi péniblement qu’un mineur atteint le charbon. Pour un « The ballad of John Henry », il lui fallut produire pléthore d’exercices de style pompeux. C’est qu’il était autant fan que musicien, de là venait son génie autant que ses pires erreurs. Trop soucieux de ne pas outrager ses aînés, ses disques semblaient parfois les singer. Sur scène, les choses étaient différentes, il s’y libérait de ses références en les honorant.
A mi-chemin entre la grâce nonchalante de BB King et la puissance du Swinging London, ses chorus soignaient les esprits et enfiévraient les corps. Il était un autre avatar de la fièvre nostalgique secouant le rock depuis plus de 20 ans, mais cette fièvre-là reste féconde et enthousiasmante. Ce soir-là pourtant, cette fine lame n’était qu’un second couteau, le messager au service d’une nouvelle reine. La salle elle-même avait des airs de palais ou de théâtre antique, elle avait la grandeur de ces monuments élevés pour honorer une beauté sacrée. Cette beauté, ce soir-là, ce fut celle de ces femmes ayant hurlé leur blues devant des foules conquises. La tradition des chanteuses de blues n’était pas neuve, elle servit même de fond sonore à l’âge d’or américain. La lutte pour la couronne fut féroce, l’intensité dramatique de Billie Holiday s’opposant à la douceur presque juvénile d’Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan luttant pour se faire entendre lors d’improvisations grandioses.
Quelques années plus tard, pour répondre aux hurlements autoritaires de grands fauves du delta, Big Mama Thornton prédit l’arrivée du rock d’une voix rageuse. La musique d’Elvis eut elle aussi ses divas, dont la plus populaire fut sans doute Janis Joplin. Influencée par la froide douleur de la solitude, celle-ci fit le lien entre le lyrisme poignant de Lady Day et la rage de Thornton. Dans la vie comme dans la musique, la grâce féminine est une force obligeant les hommes à s’adapter. Un peu trop simplet pour souligner la beauté de ce timbre aussi émotif que puissant, Big Brother and the holding Company fut remplacé par le trop sous-estimé Kozmic blues band. Janis fut une comète qui marqua à jamais le blues, une nouvelle genèse pour une musique qui ne cessa de pleurer sa perte.
Robert Plant, David Coverdale, Beth Hart, tous sont les enfants spirituels de Janis Joplin. Beth Hart, qui sortit son premier disque en 1993, est sans doute une de ses plus dignes descendantes. Son parcours est d’ailleurs semblable à tant d’artistes post hippie, une vie d’errance marquée par la décadence narcotique et sauvée par la clairvoyance d’un producteur aux dents longues. Sorti en pleine invasion grunge, son premier disque se vendit si mal qu’il est devenu un objet de collection vendu à un prix prohibitif. Rugissante sans être agressive, la guitare y suit un tempo ressuscitant l’allégresse des sixties. Puis il y’a cette voix, cri d’une âme semblant sans cesse au bord du gouffre, expression de cette sensibilité qui est le véritable génie féminin. Le temps d’une reprise de « Lucy in the sky with diamond », elle unit la douceur rêveuse du psychédélisme à la puissance orgiaque d’un boogie blues irrésistible. Plus consensuel, « Immortal » montra comment le blues pouvait se régénérer à l’heure des Cranberries.
Mieux produit que son prédécesseur, « Immortal » contint son lot de riffs abrasifs portant la puissance d’une voix euphorique. Voguant du blues au rock en passant par le jazz, Beth Hart fit de sa force vocale une énergie imposant la grande musique au sommet des ventes. Le public a malheureusement l’esprit étroit et l’analyse réductrice et, après un « Fire on the floor » ravivant le brasier d’un mojo tonitruant, le doux « War on my mind » fit fuir ces hordes barbares. Cette finesse mélodique fit pourtant toujours partie de la grâce de cette grande dame. Elle fit la grandeur bouleversante de ballades telles que « Spiders on my bed », « Leave the light on » et j’en passe. C’est surtout cette finesse mélodique qui fit la beauté jazzy de « Bang bang boom boom », l’album où elle surclassa le swing de l’ultra populaire Amy Winehouse. Porté essentiellement par sa voix et la douceur cristalline du piano, « War on my mind » est un oasis de sobriété gracieuse dans un monde de vulgarité tonitruante. Avant la sortie de ce dernier grand disque, le public d’Amsterdam put admirer cette grande dame le temps d’un concert historique. Les ténèbres de sa brune chevelure annonçaient des voluptés rêveuses, comme le souvenir nostalgique de celles qu’on a étreint sans pouvoir les posséder.
Puis venait cette minceur, donnant à cette femme une fragilité pleine de grâce. Les amateurs de formes généreuses manquent de poésie, ils oublient que l’attrait est d’abord une affaire d’imagination. Les femmes montrent superbement que le corps et l’âme sont deux éléments indissociables, les défauts et qualités du premier nourrissant les joies et névroses du second. Ce soir-là, comme Lady Day avant elle, Beth Hart chanta les petits bonheurs et les grandes peines de la vie avec l’intensité de celle qui en a gardé quelques glorieuses cicatrices. Puissance grave, sa voix sautilla furieusement sur les tressaillements du rhythm’n’blues, caressa la chaleur des cuivres, enlaça passionnément les chorus de Bonamassa. Cette voix exprima des bonheurs extatiques et des tristesses magnifiques, la profondeur de l’amour et la trivialité du sexe, la grandeur d’un archaïsme toujours moderne, cette voix honora la vie comme peu surent le faire avant elle. Si l’homme généreux a le cœur sur la main, la grande chanteuse l’a dans le larynx.
Et c’est ainsi que Beth Hart est grande.
Beth Hart bof bof! La chanteuse énervante et maniérée sur scène. A part ses collaborations avec Joe Bonamassa , rien de bien transcendant ! Son "Tribute to Led Zeppelin" de l'an passé frise le ridicule . L'exemple même de l'exercice vain et insignifiant.
RépondreSupprimer