R.I.P Catherine Ribeiro (1941 – 2024) - par Pat Slade

Elle fut pour certains une chanteuse libertaire, une pasionaria rouge et pour d’autres une grande prêtresse de la chanson française.

Des Alpes au passage en solitaire

Née en 1941 à Lyon, ses parents sont des immigrés portugais. Elle monte sur Paris au début des années 60 où elle  suit des cours d’art dramatique. On dira d’elle : ”elle ressemble à la Magnani et en a le tempérament“. Ses débuts se feront comme actrice,  elle jouera le rôle de Cléopâtre dans le film ”Les carabiniers“ de Jean-Luc Godard. Elle rencontre Patrice Moullet qui tient le rôle principal et avec qui elle fondera le groupe Alpes. 

Elle était l’égérie du rock underground français des 70’, l’héritière de Léo Ferré, une chanteuse que l’on ne peut pas voir vieillir, l’image de la brune mystérieuse qui restait toujours dans l’ombre. Une image d’elle qui fera qu’elle sera boycottée des médias. Elle restera la figure française de la musique expérimentale et engagée des années 70. Elle sort son premier EP Chez Barclay en 1965 ”Dieu me pardonne“. Elle a sa période yéyé et enregistre une quinzaine de titres, des créations originales ou des reprises de Bob Dylan. Ses disques se vendent bien. Le public découvre une jeune femme aux yeux noirs, à la frange brune et à la voix suave.  Elle apparaît en avril 1966 en une du magazine Salut les copains, sur la fameuse photo du siècle de Jean-Marie Perrier qui réunit toutes les stars montantes de la chanson à l’époque. Mais Catherine Ribeiro est une artiste tourmentée Victime d’un viol en 1962 et elle n’en parlera qu’en 2017, elle fera plusieurs tentatives de suicide, dont une qui la voit passer Mai 68 à l’hôpital. Elle refuse de tomber dans la chansonnette. Elle opte alors pour l’avant-garde et s’oriente vers des sonorités à mi-chemin entre le psychédélisme et le rock progressif, entre la musique minimaliste et le jazz.       

Avec le groupe Alpes, qu’elle a créé avec Patrice Moullet, elle sort neuf albums. Ses chansons témoignent de ses multiples engagements : pour la Palestine, pour les réfugiés chiliens, contre la guerre au Vietnam, pour l’écologie, contre le président Valéry Giscard d’Estaing…Elle est l’héritière de Colette Magny et de Léo Ferré, son militantisme lui vaut d’être surnommée la pasionaria rouge. Jugée trop rebelle, elle est boycottée par les médias. Tout en continuant sa route avec Alpes,  elle entame sa carrière solo avec un album de reprise des chansons d’Edith Piaf ”Le Blues de Piaf“  récompensé d'un grand prix de l’Académie Charles-Cros. Alpes c’est le groupe formé par Patrice Moullet ou Catherine composera la quasi-totalité des textes et Patrice la musique avec des instruments de sa création comme le cosmophone et le percuphone qui ont largement participé à définir le son Alpes. Alpes est un projet libertaire singulier,  le fond qui va lui donner un supplément d’âme, et le différencier de tous ces autres groupes. 

1979 grève de la faim

En 1977 elle est présente à la première édition du Printemps de Bourges. En 1979 elle entame une grève de la faim pour exiger que la société Phonogram accepte de faire mention, sur la pochette de son disque, de la censure dont elle a été victime. Un comité de soutien est crée avec beaucoup d’artistes et de personnalités politiques dont le futur président de la république François Mitterrand qui viendra lui rendre visite avec Jack Lang. Par la suite il ne la perdra pas de vue et en 1982 quand elle remplira Bobino pendant trois semaines, il se glissera discrètement dans  la salle.

Son dernier album studio date de 1993. En 2002 elle décide de reformer le groupe Alpes mais le projet n’aboutira pas. Après un dernier live en 2007 ”Catherine Ribeiro chante Ribeiro Alpes“, et la mort de son mari en 2009, elle part pour l'Allemagne vers 2016 où elle vit de sa retraite d'intermittente du spectacle, elle prépare une autobiographie qui ne sera jamais publiée. Elle est victime d’un AVC en 2020. Elle meurt dans la nuit du 22 au 23 août 2024, à 82 ans. Les morts successives de son mari Claude et de sa fille Ioana l'avaient conduite à s’enfermer peu à peu chez elle, dans une maison dans les bois, à la frontière franco-allemande. 

Elle arrivait sur scène les poings tendus, en noir des pieds à la tête avec une frange qui lui mangeait les yeux. Elle était la Ribeiro, sœur des sans-grades. Entre Janis, Nico et Grace Slick, celle qui se considérait comme : ”Libre et libertaire sans jamais accepter un clan plutôt qu'un autre“ a su rester fidèle à ses convictions.