lundi 19 août 2024

LES RÈGLES DU MIKADO de Erri De LUCA (2024) - par Nema M.


 

Un petit bruit de craquement agace Nema. "Crac, crac, crac…" : c’est Sonia qui grignote des Mikados, ces petits biscuits tout fins au deux-tiers recouverts de chocolat.  

- Pff, tu fais quoi encore, dit Nema qui essaie de rêvasser, nonchalamment allongée sur un fauteuil relax à l’ombre d’un prunier ;

- Bah, je mange des Mikados ! répond Sonia comme si c’était une évidence,

- Il devrait y avoir des règles pour manger les Mikados en silence rétorque Nema... Marrant, cela me fait penser au roman d’Erri De Luca intitulé "Les règles du Mikado"

- Ah ? Le héros mange des biscuits ??? répond Sonia

- NO COMMENT… (Nema soupire.) 

 

Non, pas de biscuits dans ce roman. Il s’agit du "Mikado", le jeu d’adresse japonais. Bon. Personnellement, maladroite comme je suis, pas la peine d’essayer. Quoique, peut-être, juste pour voir…  Le jeu est constitué de 41 baguettes longues et fines, pointues aux deux extrémités, mesurant environ 20 cm. On prend dans une main le paquet de bâtonnets et on les lance sur la table. Il en résulte un tas irrégulier, le jeu consiste alors à retirer un bâtonnet sans faire bouger les autres. Les bâtonnets ne sont pas tous les mêmes. Le Mikado est celui qui rapporte 20 points, il est identifiable par la couleur noire en général. Les baquettes Samouraï rapportent 10 points etc. Bon. Le livre n’est pas le récit d’une succession de parties de Mikado, je vous rassure.

 

Ce roman, à la construction originale, est comme tissé à partir d’un fil de trame solide et tendu. Ce fil c’est "Elle". Pas de prénom, pas de nom. Juste une gitane, ou romanichelle, ou tzigane, peu importe. Gilda ou Esméralda si cela vous chante. Elle, petite gitane de 15 ans, se sauve de Slovénie pour échapper à un mariage convenu par son père. Épouser un homme de 50 ans n’a rien de réjouissant quand on n’a que 15 ans.


Alors elle part dans la montagne, dans les Alpes et passe la frontière avec l’Italie. Elle rencontre "Lui". Pas de nom, pas de prénom. Juste un campeur solitaire, un homme déjà un peu âgé qui va lui offrir un petit coin dans sa tente car il pleut, il fait froid, il fait nuit. Et tout démarre. Avec Lui, le personnage numéro 2, le récit se tisse, récit de vie dévoilée petit à petit à cause, ou plutôt, grâce au jeu de Mikado révélateur d’adresse mais aussi de concentration, de stratégie et de patience.

Elle sait lire les lignes de la main. Elle sait jouer de l’accordéon et faire des numéros avec un ours. Elle sait dresser les corbeaux. Elle est issue d’une famille de forains. Lui est un horloger qui a été très renommé : montres ou horloges anciennes, mécanismes précis et précieux remis en état avec doigté. Il a ainsi acquis une belle fortune et créé une fondation pour aider des personnes dans le besoin. Et son passe-temps favori est le camping solitaire, plusieurs semaines en montagne, tout seul, tranquille.

 

Tranquille la montagne ? Pas tant que ça. Il y aura la visite du père sur les traces de sa fille, il y aura la venue des douaniers qui traquent les immigrants clandestins. Lui, il possède une arme. Et sait s’en servir. Elle, la ruse et l’habileté pour se cacher lui permettent d’affronter bien des dangers.

Ils vont quitter la montagne pour découvrir la mer. Elle veut quitter le monde des gitans définitivement. Elle découvre la pêche, la plongée sous-marine pour ramasser des coraux. Elle change de look en se faisant couper les cheveux très courts : fin de la longue chevelure noire nattée ou attachée. Et puis elle décide d’apprendre à lire.

Il retourne à ses affaires mais, comme une expérience douloureuse, lui si habile au Mikado se rend compte un jour que sa main tremble. Il vieillit. Triste constat alors que ce n’est pourtant qu’une inéluctable réalité pour chaque être humain. Quelques réflexions autour de ce changement. Souvenir de parties de Mikado quand il était adolescent et essayait de séduire une jolie copine par une ruse pour la faire gagner. Hélas, la tromperie n’est pas le meilleur chemin pour s’attirer l’amitié de cette dernière. Il la croisera de nouveau bien plus tard.

 

Elle se marie et a des enfants. Ils s’écrivent, puis un beau jour, elle n’a plus reçu de ses nouvelles. Alors elle écrit à la fondation qu’il avait fondée et présidée pendant de nombreuses années. Finalement, on découvre derrière cette apparence d’une rencontre fortuite puis d’une amitié épistolaire, d’autres vies pour Lui et pour Elle. Ah oui ?... Lisez et vous saurez 😊.


Ce roman est certes très court. Mais il permet à l‘auteur d’exprimer des réflexions sur le cours de la vie avec une poésie gracieuse : "Il arrive qu’un évènement se fiche comme un clou dans le bois au cours d’une brève période détachée du flux de la vie. Ce point oriente ensuite tout l’espace environnant.  C’est un centre qui, au moment où il se produit, ne prévient pas qu’il sera immuable." C’est la rencontre entre Elle et Lui qui est cet évènement.

 

Erri De Luca est né en 1950 à Naples. Communiste à 16 ans, ouvrier à la FIAT, écrivain engagé, poète, traducteur… Il qualifie sa jeunesse de "pas très heureuse" et avoue que ses romans ont un fondement autobiographique. Il obtient de nombreux prix dont le prix européen de littérature en 2013.

 

Bonne lecture !

 

Gallimard NRF Du Monde entier

154 pages

 


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