vendredi 19 juillet 2024

THE BIKERIDERS de Jeff Nichols (2024) par Luc B.

On a déjà causé trois fois de Jeff Nichols, ce qui sous-entend que j’apprécie plutôt le gars, à propos de TAKE SHELTER (2011, son meilleur ?), MUD (2012) et MIDNIGHT SPECIAL (2016). Un scénariste et réalisateur qui donne à son cinéma d’auteur des allures de films grand public, parmi ses références, il cite volontiers Terrence Malick ou John Ford, on pourrait rajouter Spielberg à la liste, surtout après le visionnage de MIDNIGHT SPECIAL.

Voir Nichols s’attaquer à un film de motards, voilà qui était intriguant et propre à aiguiser mon appétit. De cinéma, pas de motos. Le casting est de premier choix, ce qui ne gâte rien. Je parle des acteurs, pas des engins qui pétaradent pendant deux heures, je ne connais en deux roues que mon vieux et fidèle biclou. Mais les fétichistes de la Harley devraient y trouver leur compte.

L’idée du film est venue à Nichols après la lecture d’un livre de photos de Danny Lyon paru en 1967, instantanés à partir desquels il a écrit son histoire. On retrouve à la fin du film plusieurs photos des réels personnages, Jeff Nichols a recrée dans son film quelques clichés du bouquin, et les enregistrements de Danny Lyon se retrouvent dans 70% des dialogues du film. THE BIKERIDERS se situe sous le double patronage de L’EQUIPEE SAUVAGE (1953) que le personnage de Johnny Davis (Tom Hardy) regarde à la télé, et de EASY RIDER (1969), dont on voit le nom au fronton d’un cinéma, devant lequel Funny Sonny (Norman Reedus) est relégué tristement en guise d’attraction pour attirer le chaland.

à gauche le cliché original, à droite la réplique filmée par Nichols

 

L’histoire se déroule entre 1964 et 1972, elle est racontée via plusieurs flashbacks. Danny Lyon, reporter photographe, interviewe Kathy Cross, la femme de Benny Cross (Austin Butler), le plus charismatique de la bande des Vandals. Des fanas de motos qui montent un club, font vrombir leurs pétrolettes pour faire chier le bourgeois et effrayer les filles, dont la réputation va grandir, attirant au fil des années de plus en plus d’adeptes que le boss Johnny Davis aura du mal à contenir. Ah, les jeunes...

Le début du film est formidable. Benny dans un rade, accoudé au bar, le travelling avance dans son dos, deux clients l'encadrent et le menacent, en mode on ne veut de type comme toi chez nous. Ça va mal finir... Plus tard la jeune Kathy qui s'encanaille au QG des Vandals, elle ressort outrée avec cinq belles empreintes de main pleine de cambouis aux fesses, effrayée autant que fascinée par le beau et ténébreux Benny. On peut la comprendre, Austin Butler est juste beau comme un dieu, taiseux romantique, regard oblique, il lui reste de son rôle d'Elvis*, capable de rester 12 heures assis sur sa bécane en face de chez Kathy à attendre qu’elle se décide à l’enfourcher (sa bécane).

Visuellement, le film est très réussi, Nichols utilise pleinement le format scope, c'est tourné en pellicule, couleurs vintage, les plans où la horde motorisée nous passe devant de profil renouvellent un peu le genre. C'est un film de potes, de groupe, donc beaucoup de plans larges pour cadrer tout le monde ensemble. Chaque personnage a son petit moment, comme lorsque Zipco raconte au coin du feu sa tentative d’enrôlement dans l’armée, refusé sur ce simple argument : « On ne veut pas de vous ». L’acteur Michael Shannon fait passer en quelques secondes la frustration de ces types à se sentir chez eux nulle part, paria de la route, sa haine des gauchos, ces jeunes sortis des universités lancés vers une vie formatée.

Michael Shannon est de tous les films de Nichols, c’est amusant de voir comment il s'insère dans le récit, d’abord en simple figuration, on peine à le reconnaître sous sa fausse barbe. Autre personnage intéressant, Cockroah (le cafard) qui voudra quitter les Vandals pour intégrer la police de la route, être payé pour faire de la moto, mais surtout retrouver une vie sociale plus aux normes lorsque l'ambiance tourne au vinaigre. Tout le sujet est là, comment concilier sa vie de biker anarchiste, de marginal, avec une vie de famille, car la plupart d'entre eux sont mariés, ont des gosses, des boulots. D’où le petit suspens à propos du personnage de Benny l’irréductible.

Le souci est que Jeff Nichols n’a pas grand-chose à nous montrer qu’une série de focus sur les uns ou les autres. Il n’y a pas de véritable intrigue, sauf vers la fin lorsque Johnny Davis voit son autorité remise en cause par des p’tits jeunes. Le petit club de potes du Midwest, rapidement dépassé par les évènements, qui s’enrichit de chapitres** aux quatre coins de l’Etat, menace de devenir un gang mafieux vivant de meurtres et de trafics. Il y a un parfum nostalgique dans ce film, de rêves de liberté brisés sur l’autel d’un mercantilisme naissant, de gars qui n'arrivent pas à rentrer dans le moule, qui n’est pas sans rappeler le superbe SEULS SONT LES INDOMPTÉS (1962, Kirk Douglas).

L’absence d’une ligne narrative claire est encore brouillée par la construction temporelle du film, inutilement compliquée. Je n’ai pas compris pourquoi le reporter Danny Lyon s’obstine à interroger Kathy Cross sur l’histoire des Vandals, puisqu’on le voit pendant tout le film circuler avec la bande, parfaitement intégré, accepté par eux. Le film est resté deux ans dans les tiroirs, lâché par son studio, sans distributeur, repris par d’autres, à se demander si Nichols a eu vraiment la main sur son montage, qui désoriente un poil.  

Le souci d’un film choral est qu’aucun personnage ne se dégage réellement de la masse, les portraits restent un peu grossiers. Côté comédiens, chacun semble surjouer son personnage. Austin Butler imprime l’écran en gravure testostéronée, magnétique, marmonne ses répliques. Tom Hardy fait du Tom Hardy***, monolithique, variation de son personnage mal dégrossi dans DES HOMMES SANS LOI (2012), reprenant ici la diction fluette et les chuintements de Marlon Brando dans L’EQUIPEE SAUVAGE. La surprise vient de Jodie Comer (la série KILLING EVE), pétillante avec ses grands yeux apeurés, son accent de ouf (elle est anglaise), la seule à avoir quelque chose à défendre.

Au final, THE BIKERIDERS séduit par ses scènes attendues (virées, grands espaces, musique rock 60’s, grand fauves urbains, code d'honneur, amitiés viriles) mais pêche par un manque de profondeur et une narration foutraque. Jeff Nichols tenait à faire un film de motos depuis des années, c’est fait, mais de la part de cet auteur, on attendait un peu plus que des règlements de compte aux crans d’arrêt et des bitures à répétition. 

* Jeff Nichols avait choisi Austin Butler avant de le voir dans "Elvis".

** Article en lien, celui de Pat sur les Hell's Angel : LES ANGES DE L'ENFER

*** Jeff Nichols disait que lorsqu'on a Tom Hardy à son casting, on le prend comme il est, on le laisse faire son truc, ce qui rappelle un peu Brando dans le genre tête de lard.   


Couleur  -  1h55  -  format scope, pellicule 35mm    

 

4 commentaires:

  1. Shuffle Master.19/7/24 09:51

    Le film a fait l'unanimité (souvent déférente, et assez gonflante) chez tous les critiques, avec un dossier spécial Jeff Nichols dans Positif. Curieusement, personne n'a évoqué une ligne narrative faiblarde, alors que beaucoup ont mis l'accent sur l'espèce de triangle amoureux Kathy/Benny/Johnny. Bien que motard, je ne supporte pas les films de motards et tout le mythe qui va avec (rebelle, rock and roll...etc). Les gangs de motards sont un ramassis de sombres crétins réacs souvent mafieux. Je mets à part Easy Rider qui n'est pas un film de motards. D'abord, ils sont que 2, ce qui les empêche de tomber dans tous les travers du groupe, et tout ne tourne pas autour des bécanes. C'est comme si on disait que Délivrance est un film sur le canoé-kayak.

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  2. Le triangle amoureux... Je n'en ai pas vu le début d'un angle. Mais cela aurait pu être une piste à exploiter, le Johnny est davantage paternaliste dans ses relations avec les deux autres. A part le Benny, électron libre, les autres sont effectivement assez crétins, mais sous leurs blousons, ils ont un coeur.

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  3. Suivant la bande annonce, on dirait un abrégé de "Sons of Anarchy". Ou un préquel.

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  4. A priori un film sur des motards, ça m'intéresse pas, je crois bien que j'ai jamais vu L'équipée sauvage (bonjour Alzheimer ) ... Sauf si La grande évasion, Fury Road (les Mad Max en général), Terminator 2, c'est des films de motards ...

    J'ai vu les trois films de Nichols que tu cites, de bons films certes avec dans mes souvenirs une préférence pour Mud, mais bon, je les considère pas comme incontournables ...

    D'accord avec shuffle, Easy Rider, c'est un film sur deux mecs (trois si on rajoute Nicholson) qui se déplacent à moto, pas un film sur les motards ...

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