Nema rentre d’un week-end avec Charles-Henri. Sans un mot, elle ouvre son sac à dos et vide sur le canapé son contenu. Sonia, qui sait très bien que la relation de Nema avec Charles-Henri est légèrement… comment dire… tumultueuse, reste coite. Mais son attention est attirée par un vieux bouquin broché, tout jauni, dont le titre est « La consultation ». Elle ne peut pas s’empêcher de dire :
- Waouh ! un cadeau de Charles-Henri ? Alors ça s’est bien passé ce week-end ?
- Bof, ce n’est pas vraiment un cadeau, mais il m’a laissé prendre ce livre. Je l’ai trouvé super intéressant.
- Charles-Henri ???
- Mais non ! le livre !
Roger Martin du Gard (1881-1958)
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Les Thibault. Une saga familiale écrite par Roger Martin du Gard. «
La consultation
» en est la 4ème partie. Quand j’ai ouvert ce roman, je me suis
demandée s’il n’y aurait pas trop d’allusions aux volumes précédents de la
saga et si le récit serait bien autonome. En fait non. L’histoire de ce
volume est relativement indépendante. Bien sûr, il reste à la fin de la
lecture une petite envie de savoir ce qui s’était passé avant et ce qui se
passera après…
Antoine Thibault, jeune médecin de 32 ans a installé son cabinet médical au rez-de-chaussée
d’un vieil immeuble à Paris. L’immeuble appartient à la famille
Thibault. Le père d’Antoine, médecin également, habite à l’étage avec
Gise, une jeune fille métisse adoptée par les
Thibault.
«
La consultation » correspond à peu près à deux jours de la vie d’Antoine, sous forme d’un récit de ses faits et gestes et de ses réflexions.
Tout d’abord, Antoine rencontre deux jeunes adolescents,
Robert et
Loulou, devant sa porte et soigne le plus jeune d’un phlegmon à l’avant-bras. Ce
type d’infection nécessite une intervention chirurgicale, laquelle sera
effectuée dans le « laboratoire » du docteur
Antoine Thibault. En effet, nous
sommes en 1913, et à l’époque un généraliste a une salle de soins dans son
cabinet. Antoine s’intéresse à
son jeune malade et à son frère et découvre leur vie d’orphelins
débrouillards. Robert est une
vrai Titi Parisien…
Et puis, les patients vont se succéder. Il y a le père d’Antoine
qui est bien malade mais qui ne veut pas croire que ses jours sont comptés.
Gise et une Sœur sont là pour le
veiller et l’aider à se nourrir.
Antoine exprime en pensées la
complexité d’être à la fois fils et médecin. Comment dire les choses,
comment répondre aux interrogations du malade dans ce cas ? Il y a cette
ambiguïté face à la réalité d’une situation de fin de vie qu’on ne peut voir
(et que l’on ne voudrait pas voir) de la même manière que lorsque le patient
n’est pas un membre proche de la famille.
Antoine saute dans un taxi,
file à l’hôpital rejoindre le Patron, son maître, le
Docteur Philip. Le Docteur Philip représente
le savoir, la compétence et surtout l’expérience humaine. D’autres anciens
élèves viennent le solliciter pour des avis sur tel ou tel protocole de
soins. Antoine suit son Patron
dans les visites des patients hospitalisés. Les cas les plus graves traités
à domicile par Antoine sont
évoqués. Le temps presse : les rendez-vous sont planifiés par le fidèle
Léon, homme à tout faire d’Antoine. Retour au cabinet pour la suite des consultations.
Cabinet de consultation à l'ancienne
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La pause déjeuner est très brève et
Antoine se permet tout juste de
lire le journal en même temps qu’il prend une collation, préparée et servie
par Léon. Il y a tout ce qui est prévu et il y a en plus des demandes impromptues
auxquelles Antoine ne se dérobe
pas. Ainsi, il recevra les deux sœurs, fille de la vieille cuisinière de son
père pour une consultation « entre deux portes ». La vie de
généraliste à l’époque est finalement comme aujourd’hui : des patients
nombreux, des maladies et des souffrances diverses, un besoin d’exprimer son
mal et son mal-être et d’avoir en retour la réponse apaisante…
Heureusement, il y a des maladies pour lesquelles des traitements
antibiotiques existent aujourd’hui. Mais à l’époque, quand
Antoine détecte un
mal de Pott chez Huguette, la fille de
Madame de Battaincourt, cette forme grave de tuberculose osseuse qui atteint la colonne
vertébrale, pas vraiment de remède si ce n’est des plâtres, de la
chirurgie… Et
Madame de Baittaincourt qui ne
voit rien, qui ne pense qu’à aller à la chasse, ou au bal, ou à d’autres
mondanités où elle exhibe sa beauté. Il faut du tact et de la délicatesse
pour gérer ce type de situation, et en même temps il faut éviter certains
pièges (car Antoine est beau
gosse si on comprend à travers les lignes).
Parmi les patients, un homme politique arrogant en façade, tout petit en
malade. Et surtout, une toute petite fille, un bébé, opéré d’un bec de
lièvre, en très grande souffrance et donc sous morphine au domicile de ses
parents Monsieur et
Madame Héquet. La culpabilité d’avoir engendré un enfant anormal. La recherche de la
cause et de la faute. Ces questions-là sont de tous les temps, les
tentatives de réponses aussi, et leur traduction dans ce roman à travers le
récit du père et le soutien d’Antoine
reflète un humanisme sans excès ni fioriture.
Antoine réussira-t-il à
accompagner la fin de ce pauvre enfant en respectant les principes de la
médecine qui empêche de mettre fin à la vie ?
Le personnage principal d’Antoine
allie jeunesse et enthousiasme avec une certaine profondeur de réflexion sur
la vie et la souffrance. Parfois frivoles, parfois angoissés ou affolés, les
autres personnages nous sont tous sympathiques, car finalement ils sont tous
très humains.
Si Roger Martin du Gard est tombé dans les oubliettes, c’est bien
dommage. Cet écrivain né en 1881,
prix Nobel
de Littérature en 1937 et mort en 1958, nous a laissé une
œuvre importante. Un style à la fois simple et riche de mon point de vue.
Un propos d’une clarté et d’une humanité exceptionnelles. Camus qui
a entretenu une correspondance avec Roger Martin du Gard,
appréciait « l’expérience d’un généreux aîné apte à conseiller, à comprendre sans
condamner.
»
Bonne lecture !
NRF Gallimard – Folio - 209 pages
Tombé dans les oubliettes, c'est le cas de dire. Comme Anatole France, par exemple. On ne peut que conseiller de se plonger dans les premiers volumes. J'ai commencé dans une collection ancienne et incomplète chez ma belle-mère, puis acheté le tout dans La Pléiade (2 volumes). Mais qui va être capable de lire ça aujourd'hui?
RépondreSupprimerLes auditeurs de Jul et d'Aya, peut-être ?
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