vendredi 1 mars 2024

LA BÊTE de Bertrand Bonello (2024) par Luc B, avec un B comme Beast.

« Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port ». (Jul, à moins que ce soit Corneille, je n’sais jamais).

« Nous pénétrâmes à trois dans cette salle obscure, et j’en ressortis seul, ô dieu, quelle sinécure ! » (Mézigue, Mémoires, tome 4, page 857, en bas)

Ca commençait pourtant très bien. Léa Seydoux dirigée par une voix-off s’avance face caméra dans un décor de cinéma entièrement vêtu de vert. On lui indique où se repérer : à droite y’a une table, là-haut les escaliers, ici la croix au sol marque l’emplacement de la bête. C’est là que tu devras regarder… On est happé par cette scène étrange, abstraite. Puis on saute en 1910. LA BÊTE se passe sur trois époques, entremêlées, 1910, 2014, 2044. La même histoire s’y répète, celle de Gabrielle et Louis, qui ne parviendront jamais à s’aimer.

La première séquence, en costumes, se passe dans un riche hôtel particulier. Un élégant travelling à la steady-cam suit Gabrielle parmi les invités, et sa rencontre avec un homme, Louis. Qui lui avoue l'avoir déjà rencontrée, en Italie, par le passé. Le mystère plane. Les deux s’attirent, visiblement. Gabrielle revoit Louis, lui fait visiter la fabrique de poupées que gère son mari. Bertrand Bonello y passe beaucoup de temps, trop, filme longuement les gestes, à la manière d'un reportage. Il ne s’y dit pas grand-chose. L’ennui nous guette, tout semble amidonné, comme les scènes extérieures où se battent en duel deux malheureux figurants.

Belle scène de l’incendie à l’atelier de poupées, qui contraint les deux amoureux à fuir en plongeant dans la cave du bâtiment et tenter de ressortir par un soupirail. La Seine est en crue, inonde rues, caves, rez de chaussée, tout est sous la flotte. Séquence réalisée sans trucage, un décor plongé dans l'eau, belle image des corps inertes, les cheveux flottants dans l’onde. 

Hop, on passe en 2044, le format de l’image change (on passe au 1:1.37), Gabrielle est face à une intelligence artificielle, un cousin proche du Hal 9000 kubrickien, même voix douce et crispante. On ne pige pas trop ce qui se passe, un entretien à la DRH, la voix invite Gabrielle à purifier son ADN, assainir les sentiments trop forts, pour éviter les émotions, avoir une vie calme et lisse. En sortant, elle croise Louis.

En 2014, Gabrielle est apprentie comédienne, mannequin, à Los Angeles. Elle déambule de boites en boites, croise trois jeunes femmes hautaines (scène dupliquée dans une autre époque), passe des castings. On n’y croit pas trop, Léa Seydoux a presque 40 balais et se retrouvent en compagnie de mannequins presque pubères d’1,80m… Elle habite une somptueuse maison, pas la sienne, elle l’occupe, la garde. Elle devient la cible d’un psychopathe qui veut se venger des femmes, qui se confit sur les réseaux sociaux sur les tortures qu’il leurs affligera. C’est Louis. Que Gabrielle tentera t’attirer à elle, en vain.    

Il y a beaucoup de belles idées visuelles dans LA BÊTE. Bertrand Bonello est un merveilleux filmeur, on ne se contente pas de regarder ses images, on les ressent. Son L’APOLLONIDE (2011), son SAINT LAURENT (2014) étaient superbes. Un metteur en scène exigeant, à rapprocher d’un Léos Carax (encore plus ici avec les scènes de poupées, voir ANNETTE), il est aussi musicien, compose ses musiques de films.

Son film est très référencé. On pense souvent à MULHOLLAND DRIVE de David Lynch, Los Angeles, les actrices, cette boite de nuit au décor rouge, les mondes parallèles. On pense à 2OO1 pour l’intelligence artificielle, ce monolithe (rouge, pas noir) ou à ALPHAVILLE de Jean Luc Godard. Le point commun entre ces trois films ? On pouvait n’y rien piger et les trouver envoûtants. Ce n’est pas le cas, hélas, de LA BÊTE, qui s’enferme dans un formalisme froid.

Les séquences à Los Angeles sont les plus supportables. Il y a un semblant d’intrigue, de beaux moments angoissants : la consultation de Mme Irma sur Internet, ces coups de fil intempestifs du propriétaire, un sentiment de parano, l’intrusion de Louis dans la maison. C’est là qu’on comprend la scène d’ouverture sur fond vert : Gabrielle / Léa Seydoux y reproduit regards et gestes. On comprend le propos de Bonello, la vie aseptisée qui nous menace, les sentiments corsetés par conventions sociales à la Belle Époque qui trouvent un écho dans un futur tout numérique. Le cinéma désincarné des fonds verts. Gabrielle tourne une pub avec ce procédé, c’est effectivement ridicule ! 

On accepte ces déambulations intemporelles, ces amants virtuels qui se croisent sans vraiment s’aimer, victimes de leur époque. Mais fallait-il que cela dure 2h30, avec ce faux rythme soporifique ? Une scène d’attaque de pigeons (qui surgissent d’une cheminée, référence évidente à LES OISEAUX d’Hitchcock) nous réveille, comme le séisme à Los Angeles. Séisme ici, inondation à Paris, Bonello filme un monde en déliquescence.

Y'a un souci avec les comédiens. Léa Seydoux est de tous les plans, objet du désir, filmée sous toutes les coutures, elle fascine autant qu'elle horripile, neutre, froide. L'anglais George MacKay, découvert dans 1917 de Sam Mendès (qui a remplacé Gaspard Ulliel, décédé en 2022) récite mécaniquement ses dialogues français, appris visiblement en phonétique. On n'y croit pas une seconde, même dans sa langue maternelle. C'est un masque de cire, on a l'impression de voir à l'écran sa statue du musée Tussauds.

Est-ce pour nous épargner 10 minutes de plus que Bertrand Bonello, en guise de générique de fin, projette un QR Code géant à l’écran, que l’on peut scanner pour avoir droit, parait-il, à des scènes supplémentaires ? Non merci.

Ça arrive parfois de passer totalement à coté d’un film. D’autres crieront au chef d’œuvre et ils auront sans doute raison. J'ai trouvé que c'était chiant, pas incarné, sans âme. La bande annonce rebutait déjà, mais j’aime bien le cinéma de Bonello, son univers, ses images. Nous étions trois spectateurs, dont deux sont sortis avant la première heure. J’avais la salle pour moi. Youpi ! Mais pour en faire quoi ?

couleur  -  2h26  -  formats 1:1.85 et 1.37 (d'après "La bête dans la jungle" de Henry James)

7 commentaires:

  1. "J’avais la salle pour moi. Youpi ! Mais pour en faire quoi ?"
    Dans certaines salles spécialisées (s'il en existe encore ?), j'ai la réponse...

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  2. Je ne suis pas certain qu'il reste des salles "spécialisées" et à l'époque le spectacle était autant dans la salle que sur l'écran (quand j'étais petit, en sortant de l'école je passais devant l'ABC aux affiches affriolantes, que le maire très réac - Jean Royer - parti en croisade contre le stupre, a fait fermer, alors qu'il aurait fallu l'élever au rang de patrimoine culturel) mais dans certains lieux "spécialisés" il y a des cabines individuelles. La chair est moins drôle. Enfin... y parait, c'est un copain qui me l'a dit...

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    1. Il semble en effet que le fameux "Beverley" fût la dernière...
      Une boutade pas si incongrue finalement, lorsqu'on sait que Bonello tourna en 2001 "Le pornocrate" (pas vu)...

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    2. "Le Pornographe", vu à l'époque, très bon film dans mon souvenir, avec un Jean Pierre Léaud azimuté, et une sacrée distribution, dont des 'hardeurs' pour les scènes loin d'être suggérées.

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  3. Deux personnages à trois époques différentes ... ç'est le même pitch que The fountain d'Aronofsky, qui par contre lui était ... pas génial.

    Jean Royer très réac ? Pléonasme ... Il dérangeait même dans son parti (le rpr ? l'udf ?) ... Vu les réacs d'aujourd'hui, il passerait maintenant pour un modéré ...

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  4. Suffle Master.2/3/24 08:58

    Comme c'est une adaptation d'un pensum d'Henry James, il y avait de fortes chances que ce soit très laborieux.

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  5. Pinaise, sans rapport mais ils viennent déjà de faire le biopic sur Winehouse, qui sort prochainement... C'est de plus en plus rapide...

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