La semaine dernière nous causions de la femme d’Elvis. Cette fois, c’est la femme de Pierre Bonnard, grand cinéphile, il disait souvent à Marthe : « ce soir on s’fait une toile ? » (arf arf, voilà, ça c’est fait).
Derrière chaque grand homme il y a une femme, dit-on. Marthe Bonnard a été à la fois son modèle, sa muse, sa maîtresse puis sa femme, son intendante. Le générique de fin nous apprend que sur près de 2000 toiles, un tiers représente sa femme. La dame qui se lave dans une bassine ou prend son bain, c’est elle. D’ailleurs le réalisateur Martin Provost (dont j’avais aimé la comédie LA BONNE ÉPOUSE en 2020) s’amuse à recréer les circonstances de tableaux, comme lorsque qu’on voit Marthe se laver dans une bassine, et que Bonnard crayonne sur son carnet de croquis ce qui deviendra « Cabinet de toilette au canapé rose », mais il y en a eu beaucoup dans cette série.
La rencontre, due au hasard, remonte à 1893, Marthe est repérée dans la rue, et accepte être le modèle du peintre, qui sitôt la séance finie lui saute dessus. Une gifle d’abord, une étreinte ensuite, et les voilà inséparables. La première partie du film est plutôt enjouée, tout en mouvements, les amants sont jeunes, libres. Martin Provost les filme en train de courir, accompagnés de travellings rapides, comme s’il y avait urgence à jouir tout ce qu’il y a à portée de main, dont d’innombrables bains dans la Seine. Marthe n’est pas qu’un corps à peindre, mais aussi une femme de tête (elle peindra aussi sur la fin). Elle s’étonne : « Pourquoi ce sont toujours les femmes qui posent nues, jamais les hommes ? » d’où le tableau « L’homme et la femme ».
La séquence où Pierre et Marthe découvrent une maison abandonnée à Vernon, est très réussie. Surpris en balade par la pluie, paumés en pleine campagne, ils investissent une belle et grande maison. En ouvrant les volets, la caméra s’avance pour cadrer le paysage, superbe, la lumière, la nature, la Seine qui passe. Ils vont y vivre longtemps, y travailler, se disputer, y inviter leurs amis. Jolie scène où, en voisin, Claude Monet (André Marcon) arrive en barque de Giverny pour un déjeuner qui réunit aussi le peintre Vuillard (Grégoire Leprince-Ringuet, insipide hélas) et la mécène Misia Sert, grande composition de folle dingue d’Anouk Grinberg.
L’actrice apporte le piment, la folie, l’extravagance, lors de la scène de l’expo où Marthe refuse d’apparaître car elle craint d’être reconnue par le tout-Paris qui l’admire nue en tableaux, ou la dispute avec Marthe, lorsque les deux femmes s’enfoncent dans la Seine.
Mais la scène du déjeuner est finalement à l’image du film. On les regarde manger, mais on n’a pas envie de s’attabler avec eux. On reste à l’écart. Un manque de proximité avec les personnages. Une séquence comme celle-ci filmée par le Jean Renoir d’UNE PARTIE DE CAMPAGNE ou le Duvivier de LA BELLE ÉQUIPE, nous aurait illico donné envie de les rejoindre partager une cuisse de poulet rôti. Il manque ce truc qui faisait mouche chez le Tavernier de UN DIMANCHE A LA CAMPAGNE, ou le Pialat du sublime VAN GOGH.
Ce n’est pas faute de soigner l’image. La photographie de Guillaume Schiffman est superbe, il recréé les jeux de lumières à travers les feuilles d’arbres, le style impressionniste. Et Martin Provost trouve souvent de bonnes idées de mise en scène, esthétique sans être ostentatoire. Il filme le geste du peintre, les touches de couleurs, la texture. On voit beaucoup de toile en construction (des copies réalisées pour le film) notamment le « Nu dans le bain ». Bonnard retravaillait sans cesse, y compris parait-il en retouchant ses tableaux dans les musées !
Si le film s’appelle BONNARD, PIERRE ET MARTHE, c’est qu’il se focalise sur le couple, leur amour immodéré comme les tensions. Les infidélités de Pierre avec Renée Monchaty (Stacy Martin) jolie blonde qui embarquera le peintre en Italie. Belle scène du cauchemar à Vernon, filmée comme une série B fantastique, orage, éclairs et contre-jour, belle scène à la gare quand Marthe y accompagne Pierre prendre son train et s’aperçoit depuis le quai que Renée est dans le compartiment voisin.
Renée
qui pensait s’approprier son idole, et le castrera. Pierre rejoindra finalement sa femme, socle indispensable à sa création. Provost filme une scène de
rêve où Bonnard poursuit deux femmes, une brune, une blonde, qui s’avèrent les mêmes, Marthe. Car il ne peut se passer d’elle, quand elle mourra, à ses neveux
il dira « je ne suis pas triste, je suis en colère ». C’est Marthe
qui le console quand il apprend le suicide de Renée. Le dévouement et l'effacement de Marthe n’a
pas de limite, jusqu’à sombrer dans la folie. Les dernières scènes au Cannet, plus sombres, sont assez réussies, avec l'épisode de l'amandier en fleur.
Alors
d’où vient ce froid, cette distance entre le spectateur et les protagonistes ? Un
certain académisme tout de même de la mise en scène, trop propre, peu en adéquation avec le style du peintre. Si Cécile de France a l’insouciance, la gouaille du personnage et
un jeu très en retrait sur la fin qui sied au personnage, je serai plus réservé sur Vincent Macaigne, plus convenu que la palette de
couleur du peintre qu'il interprète. A moins que (même souci que PRISCILLA) le sujet choisi pour ce film soit certes talentueux, mais sans aspérités.
BONNARD reste un bon film, de qualité française comme disaient les critiques de la Nouvelle Vague, sa première qualité est de donner envie de courir au musée regarder les toiles de Bonnard. Mais la passion intense des protagonistes, puisque tel était le sujet, peine à se traduire à l’écran.
Suivent quelques toiles évoquées dans l’article : « Cabinet de toilette au canapé rose » ; « L’homme et la femme » ; « Portrait de Renée »
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Pas vu, mais la présence de Cécile de France est rédhibitoire pour moi. Même si tu en dis du bien.
RépondreSupprimerJe sais, tu l'avais déjà épinglée quand j'ai parlé du dernier Dupontel !
RépondreSupprimerj'adore Cécile de France!!!!!!!
RépondreSupprimerUn homme de goût.
SupprimerTrès bonne dans "La confiance règne" de Chatiliez :-)
RépondreSupprimerDonc Bonnard, c'est pas bonnard, j'ai aucun avis particulier sur Cécile de France, j'ai rien vu de Provost ...
RépondreSupprimerPar contre, j'ai un avis sur le rock sudiste, mais n'étant pas d'humeur belliqueuse aujourd'hui, je le donnerai pas ...
Tu peux éventuellement compléter les commentaires sous "Winter break" ?
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