Ce n’est pas la première fois que Woody Allen fait une infidélité à New York, depuis MATCH POINT tourné à Londres, d’autres à Rome, Barcelone, et Paris déjà en 2011 avec MINUIT A PARIS et quelques scènes de TOUT LE MONDE DIT I LOVE YOU (1996, la superbe chorégraphie sur les bords de Seine). Cette fois, COUP DE CHANCE est un film presque 100% français, financement oblige. Si la typo du générique, la musique jazz qui l’accompagne (le "Cantaloup" d'Herbie Hancock rythme le film, que du bonheur) et le casting qui défile dans l’ordre alphabétique nous renvoient direct à l’univers du plus célèbre binoclard joueur de clarinette, dès la première scène, y’a un truc qui coince : ça cause français. La petite musique n’est pas tout à fait la même dans la langue de Molière.
Mais pour ce qui est de la matière auscultée, des thèmes abordés, on est bien chez Woody Allen, qui rentre dès le premier plan dans le vif du sujet. Fanny Fournier se rend à son travail, et croise Alain, un ancien copain de lycée. Qui ne lui cache pas avoir été amoureux d’elle à l’époque. Ils se revoient en douce, un déjeuner par-ci (des sandwiches-baguette au Jardin des Plantes, on est à Paris !) un cinq à sept par-là. Le mari, Jean, suspicieux, engage un détective privé...
Hasards et coïncidences nourrissent le cinéma de Woody Allen. Comme dans MATCH POINT, cette rencontre due au hasard va faire basculer la vie des protagonistes. La première partie semble dilettante, Allen installe ses personnages, deux progressions parallèles, Fanny et son amant, Fanny et son mari, c’est presque vaudevillesque. Si tout est beau et propre sur soi, décors et acteurs, on sent que le vent peut tourner et le ciel s’assombrir.
Comme souvent, nous sommes chez les riches, appartement chic, résidence secondaire à la campagne, on boit du très bon vin. Toutes les conversations tournent autour du fric, de la difficulté de trouver le bon domestique. Une aura mystérieuse flotte autour de Jean Fournier, qui se justifie sans cesse sur ses activités : « je rends les riches plus riches ». On n'en saura pas plus, et ça vaut mieux. Avant une soirée, il répond à sa femme qui trouve sa robe trop aguicheuse : « on n’est jamais trop sexy, comme on n’est jamais trop riche ».
Fanny se lasse un peu de cette cour qui entoure son riche mari, ces parties de chasse à Rambouillet. Elle dit à un moment : « A chaque fois qu’on parle d’une ville, ils en citent les noms des plus grands restaurants ». Elle préfère la compagnie d’Alain, écrivain bohème, qui vit sous une mansarde et se nourrit de pâtes bolognaises. Il y a aussi un mystère autour de la fortune de Fournier, qui a hérité d’une affaire après la disparition suspecte de son associé. On jase dans les dîners sur cet heureux hasard. Fournier n’a de cesse de répéter : « Le hasard, je le provoque ». Jean maîtrise tout, sa vie, ses amis, sa femme. Sa passion, les trains électriques. C’est lui l’aiguilleur en chef. (on remarquera une grande similitude avec le film L’OBSÉDÉ d’Edward Dmytryk, on en a parlé ici : clic vers l'article ).
De la comédie de mœurs, doucettement corrosive, qui n'apporte rien de nouveau sur les grands bourgeois, COUP DE CHANCE vire au drame criminel. Davantage à la manière de MEURTRE MYSTÉRIEUX A MANHATTAN (en moins génial) que dans MATCH POINT (forcément indépassable).
Avec Vittorio Storaro, son directeur photo, Woody Allen crée un Paris de carte postale, brasseries de luxe, petits troquets, parcs publics et hôtels particuliers du XVIè (arrondissement). Ça ne mégote pas sur les filtres ocres pour accentuer l’atmosphère automnale. Allen filme toujours à l’économie, chaque scène est pratiquement réalisée en un seul long plan, déplacements de caméra élégants, les focales courtes (grand angle) permettent de cadrer tous les personnages sans user de champ-contre champ, et laisser les acteurs évoluer dans les décors.
Ne parlant pas français (les dialogues ont été traduits qu'au moment du tournage), le réalisateur a donné comme consigne : réaménagez vos dialogues, faites ce que vous voulez, du moment de rester dans la ligne des personnages. Il
aime toujours positionner sa caméra de manière à filmer deux personnages dans
deux pièces différentes, créer deux espaces en un seul champ, le spectateur étant libre de visualiser l'un ou l'autre. Il y a toujours ces dialogues hors-champ, quand un personnage sort et revient, là où d'autres iraient filmer des inserts. A l’exception d’un très beau plan où Jean écoute sa
femme et sa belle-mère comploter en cuisine, son image maléfique dédoublée dans un miroir,
et là, c’est justement la juxtaposition brutale des plans qui provoque la cassure, le changement de ton.
Melvin Poupaud (le mari) excelle à jouer les âmes sombres,
grand gamin capricieux, démon maléfique, on voit comme des nuages noirs passer dans son regard en une seconde. Lou de Laâge
prête son charme à Fanny, très belle femme, une « femme trophée » que
son mari habille de bijoux pour épater son monde. La belle surprise vient de
Valérie Lemercier, qui rythme la seconde partie, elle est parfaite, débite ses répliques à la mitraillette, la seule qui sous des dehors excentriques et mondains, a la
lucidité de s’inquiéter pour sa fille. Niels Schneider, par contre, apparaît plus faiblard, pas très intéressant.
Comme dans CRIMES ET DÉLITS (1989) Woody Allen brode sur le thème du crime passionnel, figure qu’il renouvelle ici, avec un suspens efficace et une pirouette finale ironique, on pense à L'HOMME IRRATIONNEL (2015) la dernière grande réussite du réalisateur à mon sens.
On aurait aimé au choix : plus d’humour, ou plus de noirceur. Woody Allen navigue entre deux eaux, un peu plus paresseux dans son écriture, la construction du récit (qu’il maîtrise génialement d’habitude) sans doute moins à l’aise au Trocadéro qu’à Central Park. Un 50ème Woody Allen en mode mineur, moins incisif. En attendant le prochain, si y’en a un.
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Je n'ai jamais accroché à Woody Allen. J'ai commencé dans les années 70 avec Prends l'oseille et tire-toi/Tout ce que vous avez voulu....Bof...Pas pu aller au bout de Manhattan ou d'Annie Hall, puis définitivement laissé tomber. Cinéaste surfait à mon (pas) humble avis, dont il ne va pas rester grand-chose. Et puis le type tourne trop. Melvin Poupaud crédible dans ce rôle?
RépondreSupprimerIl tourne beaucoup car il tourne vite ! Et n'a pas besoin de beaucoup de sou. Manhattan et Annie Hall sont souvent cités comme ses meilleurs, justement ! Quant à la postérité, on s'en reparle dans... 30 ans, si on est toujours là !
RépondreSupprimerD'accord avec Shuffle sur Mauvaise Allen, sauf sur la postérité.
RépondreSupprimerAutant sa filmo des années 70-80 recèle de grands films (Manhattan, Annie Hall, Hannah et ses soeurs, Crimes et délits, ...), autant ce qu'il fait depuis presque quarante ans tient au mieux de l'anecdotique, du classicisme sans imagination ...
RépondreSupprimerEt puis, et surtout, comment accorder du crédit artistique à un type qui fait du jazz à la clarinette (et en tartine ses B.O), comme le premier Marcel Zanini venu ?
Mouais, tout de même... depuis les 80's La Rose pourpre du Caire, Meurtre mystérieux à Manhattan, Maris et femmes, Match Point, Blue Jasmine, L'Homme irrationnel... sont pour moi loin d'être anecdotiques, ce sont de grands, voire de très grands films. Et même des trucs plus légers comme un des derniers, Jour de pluie à NY, il faudrait trois ou quatre carrières à Danny Boon, Fabien Onteniente ou Olivier Barroux réunis pour espérer s'en approcher, en termes d'écriture et d’esprit !
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