mercredi 6 septembre 2023

Laurence JONES " Bad Luck and The Blues " (2023), by Bruno



     Après avoir été précocement promu au rang des nouveaux prodiges de la guitare Blues, option "rock", puis couronné de quelques trophées, passé un certain âge, le jeune Laurence Jones a été un peu délaissé. Non pas que ses albums plus récents soient mauvais, loin de là, mais apparemment il n'a plus eu les faveurs d'un public capricieux.  

   D'un autre côté, Laurence a eu une période où il a essayé d'élargir son public en édulcorant son Blues-rock dans l'espoir d'être plus radiophonique ; pour tenter d'être plus en conformité avec ce que les "djeuns" de son âge écoutent généralement (suivant les préceptes des "grosses" radios). Résultat, il perd la partie la plus exigeante de son public sans parvenir à convaincre les huiles des majors. N'est pas John Mayer qui veut. 


   Quelque peu dépité, le jeune Jones ronge son frein et exorcise sa déception et sa rancœur dans sa musique qui, pour le coup, prend doucement mais sûrement, du muscle et du poil (oui, une vilaine expression aux effluves misogynes, et pourtant tellement explicite). Une lente et inexorable glissade vers des territoires boueux de rock gras ; terres maudites faisant frémir d'effroi les puristes du Blues.

     Jones cherche même à se défaire de sa frimousse d'éternel adolescent, se parant désormais d'une barbe fournie et d'une nuque longue. Même sa tonalité vocale cultive les graves ; parfois en utilisant quelques subterfuges au micro pour gagner en virilité. Simple évolution, envie de changement, ou besoin impératif d'accroître sa masculinité ?

     Pour affirmer sa nouvelle direction, Jones incorpore la jeune écurie de Marshall Records (oui, c'est bien la célèbre compagnie anglaise d'amplificateurs qui a fondé cette boîte pour enregistrer et promouvoir quelques artistes - et c'est bien orienté Rock) et change de guitare pour la PRS (Paul Reed Smith) SE Sky Silver. Précisément, le modèle signature de John Mayer, mais Made in Korea (le "SE") ; soit la version économique pratiquement trois fois moins onéreuse que celle "made in USA" de 2018. Ainsi, en 2022, sort "Destination Unknow", un sympathique album aux multiples couleurs Heavy-rock teinté de Pop 70's, de Blues (of course), et de Soul sudiste (les savoureux "Tonight" et "Holding Back"). On sent même sourdre quelques réminiscences de feu-Gary Moore (dont Jones est fan). Un disque maîtrisé et plein de ressources qui est pourtant sorti dans une relative indifférence.

     Pressé, il n'attend pas une année complète pour nous envoyer en pleine face son nouvel effort. Huitième album au compteur  atteint de la maladie de Crohn, Jones a décidé de se battre mais reste dans la hantise de devoir écourter sa carrière  -. Il revient aux fondamentaux et renoue avec la formation du power-trio avec lequel il ne fait pas de chichis. Jamais jusqu'alors - du moins en studio - il n'avait envoyé du lourd de ce niveau. Cela flirterait presque avec du Queen of the Stone Age, voire du Cactus. Au placard les Sweet Baby et Green Mile et bienvenu les fuzz et Bad Monkey Digitech. Au diable le micro chevalet, et que s'expriment le central et le micro manche pour que s'épanouissent tonalités graves et médiums dans une effusion de riffs spongieux. Il y a un monde entre le "Destination Unknow" chiadé et propre et ce "Bad Luck and the Blues", postillonnant de saturations fébriles et grasses, qui nous rappelle que le "Split" de Groundhogs est un des disques de chevet de Jones. 


   Accompagné par Jack Alexander à la basse (qui a gagné ses galons au sein des bourrins de Virgil and the Accelerators) et par Ash Sheehan à la batterie (multiinstrumentiste, chanteur, trompettiste, batteur et guitariste dans son propre groupe - un duo - et ayant aussi roulé sa bosse en tant que batteur pour Glenn Hughes et Tony Iommi), Jones joue ici une musique qui a bien plus de trait communs avec le hard-blues du début des 70's qu'avec le Blues. C'est rien de le dire. 

     La chanson éponyme reste encore assez mesurée et œuvre dans un certain classicisme de très bon aloi, mais déjà "I'm Gone" se singularise par son outrage à Robin Trower en en proposant une forme sombre et gluante (stoner ?). Tandis que le vivifiant "Lonely Road" travaille dans le boogie mordant et poisseux, juste épicé d'un soupçon hendrixien relevé sur des passages où la guitare est à l'unisson de la voix. Toujours le genre boogie, dans une optique plus primale, "Woman" creuse encore plus profondément le sillon et taquine le stoner lors des mouvements où le trio rétrograde pour mettre les gaz. Sur cette pièce torride, Laurence n'est plus Laurence, c'est le loup de Tex Avery à la langue pendante et les yeux exorbités qui exprime à travers son chant et sa guitare son insatiable envie. Le slow-blues "Don't You Leave Me this Way" est une coulée de lave fusionnant Cactus avec Groundhogs, parfois proche d'un Robin Trower toxique et enfumé. C'est lourd, visqueux et Jones en fait des tonnes. Mais pourquoi se priver ? 

   Franchement plus surprenant, et forcément donc jouissif, le funk-métôl poisseux - ou Electric Boys meets Leslie West -, "Stuck in the Night", se termine sur une accélération pied au plancher trempant dans la sueur d'un Blues irradié façon Motörhead à la sauce "Fast Eddy Clarke". Dommage que cette incartade soit si courte.

     On peut légitimement arguer du fait qu'on a fait mieux dans le genre Blues-rock éruptif, proche d'un hard-blues visqueux, dégoulinant de fuzz enflammée, que l'album comporte quelques menues longueurs, que tout n'est pas du même tonneau, mais qu'importe. Y'a suffisamment du bon pour susciter l'intérêt. Et puis cela fait toujours plaisir de voir un musicien prendre des risques, sachant très bien qu'il va déchaîner l'opprobre d'une frange de son public. En l'occurrence, ceux pour qui tout terme comportant l'attribut de "hard" ou "heavy" est une injure au bon goût. Ce qui n'a nullement empêcher l'album de gravir les hautes marches des charts. Serait-ce grâce à un nouveau public ?



🎶🎸
Autre article / Laurence JONES (liens) :  👉  " What's it Gonna Be " (2015)  👉  " Take Me High " (2016)

7 commentaires:

  1. Je suis allé jeter une oreille, même les deux, sur ses disques. Pas mal du tout. J'aime bien aussi sa voix, rien d'exceptionnel, mais il sait monter le curseur quand il faut. Certains refrains sont un peu "pop" parfois, certains titres aussi d'ailleurs, un peu limites MTV, j'imagine qu'il faut un ou deux titres calibrés radio pour la promo. J'ai une préférence pour les albums avec claviers, un tapis 70's toujours bienvenu. Sur les commentaires des précédentes chroniques, notre ami SM se plaint qu'il n'y ait pas assez de shuffle, c'est pas faux.

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    1. Vous les avez récupérées, au moins (les oreilles) ? Ca peut toujours servir...

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  2. Shuffle Master.8/9/23 19:58

    "C'est pas faux", locution euphémique pour signifier que j'ai (une fois de plus) absolument raison. Rien à voir, mais le "dernier" Stills (Berkeley 1971) est excellent, surtout la partie électrique, comme sur 4 way street d'ailleurs. Lequel Stills, très raisonnablement hirsute pour cause d'alopécie, est un remarquable astiqueur de manche.

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    1. Le "dernier" Stills, de 1971...
      Serait-ce en raison d'une certaine, ou relative, pauvreté du catalogue musical actuel que, depuis quelques années, il sort quasiment tous les mois un truc - déniché on ne sait trop comment - enregistré il y a des années ? Voire des décennies.
      Ou serait-ce parce que cela cible certaines tranches d'âge qui "s'évertuent" à acheter encore des disques ?

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    2. Y'a aussi le dernier Rory Gallagher 😁 Plus récent

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    3. Shuffle Master.9/9/23 14:19

      Pauvreté du catalogue musical actuel, il doit y avoir de ça: ce qui sort ne donne pas vraiment envie. Mais "aguichage" des vieux c.... qui achètent encore des disques, c'est sûr. On devrait avoir notre place au Hall of Fame.

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