lundi 1 mai 2023

ROUSSEL / PIERNÉ / KOECHLIN / ROPARTZ - Quintettes pour harpe, flûte et cordes - par Claude Toon



- Claude, tu avais dit que 2023 serait l'année Roussel, le revoici en compagnie du trio de M'sieurs Pierné, Ropartz, Koechlin, là je ne connais pas du tout et puis la pochette mentionne aussi Debussy et Ravel absents du programme… heu... Tu m'expliques…

- Une nouvelle formule Sonia. J'ai réuni quatre jolies pièces de musique de chambre de Roussel et de trois compositeurs français dont je n'ai jamais eu l'occasion de parler… Des petits maîtres à découvrir. En vedettes : la harpe, la flûte et quelques cordes…

- Et donc tu as pioché dans deux disques différents pour ton billet… Mais pourquoi exclure Ravel et Debussy ?

- Ce sera l'occasion de proposer un épisode 2 avec notamment la sonate de Debussy et la sonatine de Ravel. L'article aurait été trop long et Luc furax…

- Ça se tient… Il y a deux ensembles et deux albums, un hollandais et l'autre canadien… des disques rares ?

- Non pas trop, le premier est ancien, des groupes d'artistes complices pour ce répertoire atypique… 


Albert Roussel

Je ne sais pas pour vous, mais en ce moment je sens des mauvaises ondes inondées nos inconscients. Je ne m'étends pas sur les causes : conflits sociaux, un exécutif dont chacun appréciera le génie politique en fonction de ses opinions (Le deblocnot n'est pas un lieu de polémiques), temps pourri ou canicule en perspective, premiers incendies de forêt en plein mois d'avril…

Mouais, pas trop la joie si on se laisse aller à la morosité, ET DONC, j'essaye avec mes maigres moyens et ma position indéterminée dans la société civile d'égayer la matinée avec de la musique sans prise de tête, à savoir : le timbre élégiaque de la flûte et celui cristallin de la harpe, les deux lovés dans des écrins veloutés de cordes…

Et grand merci aux quatre compositeurs au menu qui par leur art de la poésie me permettent de nous offrir un petit concert à l'image des soirées raffinées du début du XXème dans les salons mondains 😊 ou en concert en 1944 pour le très barbu Koechlin.

Et puisqu'il existe des disques thématiques, on en déduit que ce style de musique s'impose encore en cette époque de modernité… 

La 387ème interprétation de la 5ème de Beethoven est toujours bienvenue, si inspirée, mais bon… on se comprend…


Gabriel Pierné

Attention, nous ne parlons pas ici d'œuvrettes, voire pire, de musique de genre pour carrousel ou pince-fesse entre sénateurs. Ces pièces, au-delà de leur charme idyllique, témoignent de recherches formelles qui n'ont rien à envier à celles des ouvrages plus ambitieux et un soupçon intello d'illustres confrères. Si pour Albert Roussel, la postérité est une chose désormais entendue chez les mélomanes curieux, il devrait en être de même pour Pierné, Ropartz, Koechlin, trois créateurs qui ont été trop éclipsés par des géants comme Debussy, Ravel puis les contemporains comme Messiaen et Boulez. Des originaux à la discographie bien maigre… Donc aujourd'hui : petite présentation de ces messieurs, puis écoute de compositions d'une fraîcheur opportune et je réfléchirai à une suite à donner… Comprendre une chronique dédiée à l'une de leurs œuvres plus importantes… 


Charles Koechlin
XXX

J'avoue avoir tellement écrit à propos de Beethoven ou de Bach, que sans les ignorer (une intégralité de leur œuvre nécessiterait de donner vie au Blog pendant des siècles), "changer d'air mes valises" comme le chantait Gilbert Bécaud me motive grandement…

- Dis Claude, Guy Ropartz et sa barbe de prophète était breton je crois ? Quant à celle de Koechlin, hihihi...

- Heu… Oui ma petite Sonia… Tu as envie de manger des crêpes ou quoi ?

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1- Albert ROUSSEL : Sérénade opus 30 pour flûte, harpe, violon, alto et violoncelle

Côté biographies pour notre carré de compositeurs, je ne reviens plus sur celle d'Albert Roussel qui a déjà fait la une de trois chroniques dont deux consacrées à ses symphonies, un cycle important à une époque où la symphonie n'avait pas le vent en poupe en France. Pour ses trois compères, juste un entrefilet dans l'attente d'une chronique individualisée… Ainsi je vous invite à découvrir les grandes lignes de la carrière atypique de Roussel  de capitaine au long cours à compositeur, dans le billet commentant la 3ème symphonie. Mais Roussel a produit dans de nombreux genres, le ballet et la musique de chambre en retenant des formations instrumentales pittoresques telle celle de cette sérénade (Clic).


Guy Ropartz

La sérénade opus 30 est une œuvre composée vers la fin de sa carrière, en 1925, période où sa rédaction fait écho à d'autres ouvrages similaires sur le plan de l'inventivité instrumentale, citons : le divertissement op. 6 pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor et piano de 1906, ou encore le duo pour basson et contrebasse ou violoncelle de 1925 également. Parcourir le catalogue de musique de chambre de Roussel est amusant dans le sens où au contraire de celui d'un Haydn, on ne trouve aucune pièce à l'effectif similaire, Roussel n'était pas, à l'évidence un adepte des cycles… Il y a même une sonate pour pipeau et piano de 1934 😊 ! La sérénade enchaîne trois mouvements :

A - Allegro : évidemment très guillerette comme toujours avec cet homme, on retrouve la rythmique pétulante caractéristique de son style. Une rythmique obsédante peut-on ajouter due à l'emploi d'une écriture homorythmique (chaque instrument joue des notes de durées égales au fur et à mesure du déroulement – Partition)

B – Andante [Playlist 1 - 04:37] Dans la douce chaleur estivale, la flûte solo déroule une rêveuse mélodie. [07:37] Avec espièglerie la harpe lui vole la vedette avant de confier une sensuelle complainte aux cordes graves avant que les cinq instruments entrelacent leurs voix pour une enchanteresse conclusion.

C – Presto [Playlist 1 - 11:50] Le final se révèle entraînant, le violon et la flûte énonçant des motifs fantasques structurant une pittoresque chorégraphie de timbres. Une sérénade séduisante et souvent jouée et enregistrée… 

interprètes : Pieter Odé (flute), Peter Thoma (violon), Joke Vermeulen (alto), Henk Lambooij (violoncelle) et Joke Willing-Brethouwer (harpe).


Flutiste (Paul Emile Berthon) 

2- Gabriel Pierné : Variations libres et finale opus 51, pour flûte, violon, alto, violoncelle et harpe

Gabriel Pierné naît à Metz en 1863, l'appropriation par l'Allemagne de la Loraine en 1870 conduira la famille à Paris. Pierné dirigera sa carrière dans trois directions : organiste (il succédera à César Franck à l'Orgue de Ste Clotilde), chef d'orchestre (il succédera à Édouard Colonne à la tête de l'orchestre éponyme) et enfin, compositeur éclectique. Il composera dans tous les genres mais sans s'imposer face aux maîtres du temps, français ou germaniques. Il meurt en 1937. On lui doit de jolis ballets et oratorios dont on reparlera.

[Playlist 2] L'opus 51 est une pièce de même facture instrumentale que la sérénade de Roussel mais comporte un mouvement unique composé de variations. Une douce introduction semble vouloir donner le beau rôle à la flûte. En fait, dès la première variation notée animato, on appréciera la vitalité concertante du discours. Techniquement les variations n'offrent pas une grande inventivité d'écriture, de tempo, de transitions tonales et harmoniques ; par contre la succession des climats oniriques opposés à d'autres plus animés voire facétieux des diverses séquences offre tout le sel de cette Partition.

Les interprètes sont ceux du Netherlands harp ensemble.


3- Guy Ropartz : Prélude, marine et chanson pour flûte, violon, violoncelle et harpe

Les lecteurs doivent à juste titre s'interroger sur cette épidémie de quintettes pour harpe, flûte et trio de cordes dans les années 20 et 30, une formation instrumentale disons… intrigante… La réponse vient en cherchant des infos sur celui du breton Guy Ropartz. Une info qui complète la réponse donnée à Sonia sur l'impasse volontaire dans ce billet à propos des pièces de Debussy et Ravel présentes sur les CD… Et bien eux, ils n'ont pas composé pour cette forme inhabituelle de quintette, Ravel est l'auteur d'un sextuor par l'ajout d'une clarinette et Debussy d'une sonate.


La harpiste (Ernest Hébert)

Né en 1864 et mort en 1955 en Bretagne, Guy Ropartz aura un parcours de compositeur discret, mais une carrière d'enseignant et de maestro très prenante. Il dirigera les conservatoires de Nancy et de Strasbourg. Grand ami du symphoniste Albéric Magnard (Clic), il sera très affecté par la mort de celui-ci tué en 1914. Cette activité pédagogique, comparable à celle de Gabriel Fauré, lui laissera néanmoins le temps dans sa longue vie (91 ans) de composer une centaine d'œuvres dans tous les genres, dont cinq symphonies qui ont toutes été gravées. On en reparlera…

Dans l'hiver 1928, Ropartz reçoit une commande du Quintette instrumental de Paris fondé par le harpiste Pierre Jamet. Cet ensemble existera de 1922 à 1958, seuls le violoniste René Bas et Pierre Jamet ne seront jamais remplacés. Aux quatre compositeurs du jour, ajoutons des "quintettes" de Jean Cras (1928), Jean Françaix (1935), Vincent d'Indy (1925), André Jolivet (1945), Gian Francesco Malipiero (1934), et Florent Schmitt (1937). Encore des compositeurs, plus ou moins connus du blog, susceptibles de nourrir une suite à ce papier.

Les quintettes de Ropartz et de Koechlin sont interprétés par des membres du Montreal Chamber Players. L'œuvre comporte trois mouvements et comme toujours en écoutant ce compositeur la mer est une source d'inspiration évidente :

A - Prélude [Playlist 3] : Une courte introduction précède l'exposé du motif 1 à la flûte soutenue par la harpe. Le second motif pastoral est confié au trio des cordes. On imagine l'usage d'une harpe celtique dans cette forêt instrumentale au mille secrets…

B – Marine [Playlist 4] : Alto et flûte alternent leurs voix, évoquant les jeux de vagues (une idée), les arpèges de la harpe qui se répète obstinément évoque-t-il le ressac et les autres cordes la brise marine ?

C- Chanson [Playlist 5] : L'alto entonne une chanson populaire en tant que premier motif, la flûte plus agreste fredonne un second motif. Diverses variations concluent ce charmant tableau expressionniste… Paysage, légende bretonne et féérie animent cette gracieuse partition.


4- Charles Koechlin : Quintette "primavera" opus 156 pour flûte, alto, violon, violoncelle et harpe

Charles Koechlin voit le jour à Paris en 1867 et nous quittera dans le Var le jour de la Saint-Sylvestre 1950. Rien ne destinait ce surdoué à la musique. Il intègre Polytechnique et rêve, comme Roussel, de naviguer comme officier, ou autre idée, devenir astronome. 

La promeneuse au printemps
(Monet 1887)

Hélas la tuberculose mettra fin à ces ambitions. Qu'à cela ne tienne, il se tournera vers la musique, aidé en cela par Gabriel Fauré. Son bagage scientifique lui permet de devenir un théoricien musical de référence surnommé par le hautboïste et compositeur Heinz Holliger "l'alchimiste des sons". Ses 200 ouvrages sont très originaux et tournent le dos aux formes académiques, exemple : l'étonnante suite symphonique The Seven Stars' Symphony dont les 7 mouvements portent les noms de stars du cinéma hollywoodien : Douglas Fairbanks, Lilian Harvey, Greta Garbo, Clara Bow, Marlene Dietrich, Emil Jannings, Charlie Chaplin 😊. Vous voyez pourquoi une chronique spéciale s'imposera pour ce moderniste excentrique…

Le quintette Primavera est composé en 1936 et dédié au Quintette instrumental de Paris de Pierre Jamet. Il ne sera créé qu'en 1944. Il comporte quatre mouvements assez brefs. Parcourir la Partition est amusant dans le sens où la liberté structurelle du quintette est en totale opposition avec la forme sonate (à confirmer, mes connaissances des règles de composition sont celles d'un amateur). Le solfège semble simple quoique habité d'un chromatisme sophistiqué, et les portées mentionnent une pléthore de notations pour suggérer l'esprit attendu lors de l'interprétation. À des commentaires subjectifs, j'en citerai quelques-unes.

Je me permets de citer le musicologue François-René Tranchefort qui résumait fort bien l'essence poétique du quintette "printanier" : "L’œuvre, dont l'inspiration allie fraîcheur "naturaliste" (les ressourcements au contact de la nature) et ingénuité "populaire" (le goût des chansons françaises traditionnelles)".

A - Allegro quasi allegretto [Playlist 6] : Assez animé mais sans bousculer ; bien soutenu ; un peu en dehors ; très discrètement…

B - Adagio [Playlist 7] : doux et lié, très effacé ; planant ; à peine crescendo…

C - Intermezzo [Playlist 8] : un peu plus calme que le mouvement habituel de la sicilienne ; très tranquille d'abord ;

D - Finale [Playlist 9] : Très animé, décidé ; laisser vibrer ; solide (?) ; les attaques très douces ; calmer un peu ;


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…




1 commentaire:

  1. En tous cas, ça n'a pas été 2022, l'année Roussel... enfin, Fabien...

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