vendredi 19 mai 2023

BURNING DAYS de Emin Alper (2023) par Luc B.

La première séquence d’un film donne le ton, il faut que ce soit réussi. C’est bigrement le cas. Et en plus la dernière est elle aussi hallucinante. Entre les deux, ce n’est pas mal non plus…

BURNING DAYS est un film au choix, policier, politique, ou les deux. La trame surfe sur un modèle connu, le pot de terre contre le pot de fer. Ici un jeune procureur, Emre, qui prend son poste dans une petite ville d’Anatolie, son prédécesseur ayant mystérieusement disparu. Il travaille sur un dossier sensible, le manque d’approvisionnement d’eau, visiblement spoliée par quelques notables corrompus, dont le maire, à quelques jours de sa réélection. Les forages pour extraire la précieuse flotte provoquent des éboulements, des dolines, sortes de grands trous circulaires, des affaissements de terrains géants.

Le film commence par une séquence de chasse au sanglier, une tradition locale pour se débarrasser des bestiaux qui pullulent. Un cadavre de sanglier est traîné par une voiture qui entre en ville, suivi par la population en liesse. La caméra suit d’abord, depuis le ciel, une traînée rouge qui sillonne les rues, on découvre que c’est le sang de l’animal sacrifié, on entend les cris, les hommes tirent au fusil, ivres de joie. Deux d’entre eux se retrouvent le lendemain dans le bureau du procureur : Sahin, avocat et fils du maire et Kemal le dentiste.

La seconde séquence est un long dialogue dans le bureau du procureur. Emre rappelle la loi (« vous aussi, Sahin, vous êtes juriste, nous savons tous les deux ce qui est interdit et autorisé »), à savoir qu’on ne tire pas au fusil en ville, et surtout pas en présence d’enfants. Les deux autres se défendent mielleusement, sourires crispés. Ils ont même apporté des gâteaux. Les échanges sont calmes, respectueux, mais chacun n'en pense pas moins. On rappelle la tradition d’un coté, la loi de l’Etat de l’autre, tout l’enjeu du film se trouve là, entre ces deux notables piteusement assis sur leur chaise qui ruminent leur haine du procureur trônant derrière sur bureau.

On retrouve les mêmes plus tard, mais cette fois chez le maire. Donc Emre ne joue plus sur son terrain. Il a finalement accepté une invitation à dîner chez l’édile, la juge du district lui a dit que oui, cela se faisait d’être invité, une marque de respect. La séquence est très longue, sourires de façades, viandes grillées, olives et raki, alcool fait maison, très fort. La soirée dégénère, Emre commence à se sentir mal, de la drogue dans son verre ? La mise en scène nous fait ressentir la gêne, le trouble, en jouant sur le temps long. Plus tard, on ne sait comment interpréter les images d'un Emre titubant, qui dans un brouillard éthylique perçoit une musique, une jeune danseuse, Pekmez, invitée pour distraire les hommes. Pekmez, qu’on retrouvera le lendemain battue et violée.

Que s’est-il passé cette nuit-là ? Le procureur Emre est logiquement saisi de l’enquête, et accuse Sahin et Kemal, avec cet argument : il a un témoin visuel. Mais ce témoin, c’est lui. Témoin ou complice ? Il a un alibi, fourni par un voisin, le journaliste Murat, chez qui il aurait fini la nuit. Murat, opposé au maire, et soupçonné d’être homosexuel. Ca commence à faire beaucoup…

On est dans un thriller paranoïaque, le montage ne cesse de revenir sur les scènes de la soirée dont Emre n’a plus aucun souvenir. Ces différents points de vue malmènent la vérité. Il y a pourtant des indices tangibles, des expertises, des témoignages, mais plus le film avance est moins on est sûr de rien. Emin Alper alterne les scènes en intérieur, nocturnes, et de grandes séquences extérieures dans de somptueux paysages arides. Le trouble naît soit de l'étirement des séquences, soit du montage sec. Lorsque par exemple Emre se baigne dans un lac, Murat apparaît venu à moto dont on ne sait où, comment ne pas voir un véhicule arriver dans une telle étendue désertique ?

Avec les élections qui se profilent, la tension monte, la violence avec, le procureur devient le bouc émissaire de la populace, les menaces à son encontre ne sont plus voilées. Fabuleux plan où sa voiture est encerclée par des villageois, une longue file d’attente d’habitants des bidons à la main, presque des zombies, venus à la collecte d’eau. On ne sait plus dans quel camp se trouvent la juge, le journaliste, dont les rapports avec Emre sont de plus en plus ambigus. Puis le brasier s’enflamme, la dernière scène de poursuite dantesque, les faisceaux lumineux des phares vus du ciel, et  un dernier plan presque surréaliste, qui laisse le spectateur sans réponse.

On pense parfois à Almodovar avec ces deux personnages du juge et du journaliste à la sexualité trouble, on pense à de films récents comme LA LOI DE TEHERAN, LA CONSPIRATION DU CAIRE, au sens où ces metteurs en scène utilisent une trame de thriller pour parler de leurs pays pas trop démocratiques, du patriarcat, de la corruption endémique. Le réalisateur Emin Alper est désormais persona non grata en Turquie, ayant évoqué à demi-mots l’homosexualité potentielle du procureur, un aspect judicieusement retiré du scénario qu’il avait présenté à la commission d’avance sur recette.

Le scénario est très bien écrit, les acteurs sont formidables, il y a de grands moments de mise en scène, mais le film souffre d’un rythme qui a du mal à se poser, certains passages sont redondants, le récit aurait gagné à être resserré au montage. 


couleur  -  2h10  -  format scope 1 :2.39 

 

1 commentaire:

  1. Si le récit avait été resserré au montage, les turcs auraient pas appelé çà un film, mais un court métrage ou une bande-annonce ...
    2 h 10 pour un film turc, c'est petit bras ... sinon emin alper, inconnu total ...

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