Le plus célèbre natif de Long Branch, New Jersey, a donc rameuté deux fois 40 000 personnes (les 13 et 15 mai) à L’Aréna de Nanterre, une espèce de gros marshmallow blanc posé entre deux sièges sociaux du CAC 40. L'endroit est immense, mais intelligemment conçu, le son pourri des premiers temps (à l’inauguration par les Stones on se souvient que Mick Jagger s'était excusé pour le piètre qualité sonore) s'est franchement amélioré, rien de criard ni de saturé, mais bon, on y mettrait pas un quatuor à cordes.
On sait une chose au
sujet des concerts de Bruce Springsteen : à quelle heure ils commencent. Mais pas quand ils se finissent. Cette tournée qui a commencé en février, et
vient d’arriver en Europe, a un parfum différent. La set-list est à 80% la même selon les soirs, un show plus construit,
sans requêtes du public (qui brandit tout de même les cartons, on n'sait jamais), donc moins spontané sans doute. Avec l’âge (le noyau dur du E Street Band est né
entre 1949 et 50…) et les rhumatismes qui vont avec, il fallait alléger un peu
le baudet pour arriver au bout de la tournée ! Par contre, les versions proposées sont souvent différentes d'un soir à l'autre, dans les solos ou l'interaction avec le public, pas question de copier-coller, c'est pas l'genre du monsieur.
Un concert un peu plus court sur l'échelle springsteenienne, mais relativisons, commencé à 19h10, il s'est fini à 22h05, ce qui laisse du temps pour passer en revue quasiment tous les albums. Aucune époque n’a été oubliée, sans pour autant proposer un best-of, quelques titres emblématiques ne sont interprétés (Blinded by the light, The River, Hungry Heart, Jungleland, Darlington County, Cadillac ranch, Streets of Philadelphia...). Aller piocher ici et là dans sa riche discographie à l’avantage de donner à entendre une large palette de styles, rock, soul, rhythm’n’blues, folk. A part deux titres interprétés en solo et guitare acoustique, tout a été balancé pieds au plancher, sans pause ou presque entre les morceaux, le groupe tient la note pendant que Springteen change de guitare, one two three four et c’est reparti sur les chapeaux de roue.
Ce soir-là deux guitares électriques, l’emblématique Telecaster Fender Esquire de 1953, et une autre Telecaster sunburst tout aussi en piteux état !
Alors que la tournée débute traditionnellement par « No Surrender » (c'était aussi le cas le 13 mai) on a eu droit à deux apéritifs, « My Love Will Not Let You Down » et « Death to My Hometown » qui très honnêtement ne brillent pas au panthéon, avant donc l’énergique « No Surrender » suivi de « Ghosts », tiré de l'avant dernier album. C’est véritablement avec « Prove It All Night » que les choses sérieuses ont commencé, Springsteen y prenant deux chorus de guitare rageurs, enchaînant avec « Darkness on the Edge of Town », un classique pourtant peu joué sur scène. Le nouveau « Letter to You » passe bien la rampe du live.
Autre titre de « Darkness » (il y en aura 4) le fabuleux « The Promised Land » où Springsteen commence à se balader dans le public harmonica au bec, puis un « Out in the Street » toujours aussi festif où chacun y va de ses choeurs. Les cinq musiciens de la section de cuivres se mettent en place pour entamer une séquence très soul, avec le long « Kitty's Back » (12 minutes), là encore la vieille Fender est maltraitée dans la longue intro bluesy puis dans le second chorus. Trombone, trompettes, Hammond, piano seront aussi de la fête. Fête un peu gâchée par le son qui s’est mis à déconner, une grosse caisse soudainement envahissante, des fréquences basses qui semblaient couvrir le groupe sous un gros édredon matelassé. Du dernier album en date, on a eu la reprise des Commodores « Nightshift » bien cuivrée aussi avec les choristes à l’honneur dont Curtis King en roue libre devant un Springsteen autant étonné qu'amusé. Dans les choeurs aussi, Michelle Moore, la fille de Sam Moore. Le son s'arrange pour une version fabuleuse frisant les 10 minutes de « Mary's Place» et ses multiples changements de tonalités, le bateleur Springsteen est dans son élément, harangue la foule, mouille la chemise (« are you ready for the house party ?!! »).
Un petit détour folkeux avec la work-song « Pay Me My Money Down », un traditionnel repris dans les « Pete Seeger Session » en 2006, Max Weinberg accélère le tempo en cours de couplet, le décompte était-il trop lent pour redresser la barre ? Soozie Tyrell caresse son violon, Charles Giordano pianote son accordéon, il tient aussi l’Hammond B3 depuis la mort de Danny Federici. Retour au rhythm’n’blues avec « The E Street Shuffle », intro brass band avant l'entrée de la Fender funky, qui se termine en 4x4 entre percus et batterie, n’en jetez plus, on est lessivé.
Donc une pause acoustique avec « Last Man Standing », introduit par petit discours (traduit en français à l’écran) pour expliquer la genèse de la chanson, hommage à George Theiss qui avait fait entrer Springsteen dans son premier groupe Les Castiles en 1965, Springsteen en étant le dernier membre encore en vie (le dernier debout…) superbe titre auréolé de la trompette de Barry Danielian.
Le groupe envoie du lourd avec trois classiques enchaînés, le toujours impressionnant « Backstreets », « Because the Night » avec le chorus de Nils Lofgren et « She's the One » sur le fameux groove Bo Diddley, bon... pas la meilleure version entendue. On pardonnera cette petite baisse de régime, ainsi que le parfois brouillon « Wrecking Ball » (l’ingé son arrivait-il à gérer les 18 intervenants sur scène ?) et « The Rising ». Par contre, s’il y a un titre qui met tout le monde d’accord,qui fait vriber les murs et s'égosiller le public, c’est inoxydable « Badlands », après lequel le groupe s’offre enfin une courte pause de… 40 secondes, avant de repartir au taf.
Comme d'hab, pour la dernière ligne droite, toutes les lumières se rallument, plus de chi-chi, juste un groupe sur scène devant un public, point barre. On sait que le E Street Band va finir de nous achever.
Et boum, un « Born in the U.S.A. » rageur mais trop vite expédié, sans le crescendo et le solo final, mais le riff joué par les cuivres c’est la classe ! L’indéboulonnable « Born to Run » (on ne va pas y aller par quatre chemins, ce truc est une des dix plus grandes chansons de rock) puis un « Bobby Jean » toujours sympathique mais que je n’aurais pas joué dans cette séquence (Bruce, pourquoi n’as-tu pas joué « Rosalita » ce soir ??!!) puis le déconnant et fabuleux « Glory Days » agrémenté du classique échange entre Little Stevie et le chanteur (on connaît le truc mais on ne s'en lasse pas !) mine désœuvrée je suis crevé, on arrête là, « I think it’s quick time, do you want to go home Stevie ? » auquel la foule hurle évidemment « Nooooo », Max Weinberg derrière ses fûts est aussi sollicité, lui non plus ne veut pas rentrer tout de suite (ouf) donc le groupe balance un tonitruant « Dancing in the Dark » où toutes filles trépignent à l'idée de monter sur scène.
Springsteen présente la troupe, puis se la joue James Brown (revendiqué comme son modèle depuis le premier jour) en meneur de revue Soul pour entamer « Tenth Avenue Freeze-Out », dernière bouffée électrisante du concert, avec sur les écrans des images de Clarence Clemons et Danny Federici. Les gars sortent de scène, copieusement félicités par le patron pour la tache accomplie, Springsteen termine seul en guitare/harmonica sur « I'll See You in My Dreams » avant de quitter le plateau sous l’ovation qu’on imagine.
Certes, la voix n’atteint pas toujours la justesse d’autan, certaines notes aiguës se perdent parfois, et bien sûr Springsteen ne saute plus sur le piano de Roy Bittan, l’agilité n’est plus la même. Mais la puissance vocale est encore là, le répertoire plus solide que jamais, l’énergie et la générosité sont intactes, cette faculté de souder et diriger le groupe. Springsteen a un principe auquel il ne déroge pas, si y'a ne serait-ce qu'un seul gars dans la salle dont c'est le premier concert de rock, il doit en sortir en se disant qu'il a entendu le meilleur.
Avec ce déroulé plus construit, on pourrait penser que Bruce Springsteen ne surprend plus son public, mais l’intensité et l’exécution de la prestation sont telles, qu’on en redemanderait encore pour les années à suivre. Sauf qu’à 73 ans, il n’est pas certain qu’on revive ça un jour, le dernier titre « I'll See You in My Dreams » sonne comme un adieu...
Les vidéos sont forcément "amateur" mais donnent un bon aperçu, deux extraits dans une veine rock (le 13) puis rhythm’n’blues (le 15).
Et le prix des places... moins exorbitant qu'aux USA ?
RépondreSupprimerBien sûr, avec trois heures de concert, comparées avec les 1 heure et des poussières de certains, il convient de relativiser 😊
Bientôt, le prix des places à l'unité d'heure...
110 euros en tribune basse, situé vers le milieu. Il y avait deux autres catégories de prix en dessous, tribune haute et fausse (mon grand âge m'interdit désormais de rester debout en fausse pendant des plombes...). Oui, par rapport à un concert à la Cigale ou au Bataclan, ou à l'entrée d'un club de jazz, c'est un petit investissement. Mais c'est Springsteen, ce n'est pas tous les jours, et comme tu dis, c'est pour trois heures ! On ne lui en vaut d'autant pas que ce n'est pas lui (les artistes en général) qui détermine les prix des places.
RépondreSupprimerMouais... ça revient à moins de quarante euros l'heure, donc par rapport à d'autres où il faut débourser en moyenne 70 euros (sauf erreur, car ça va bien faire trois ans que je ne me suis plus offert un concert... 😥) pour une prestation comportant deux fois moins de musiciens et de temps - voire d'intensité - , ça reste tout de même honnête. D'autant pour une place assise.
SupprimerSurtout à côté de Metallica, presque le double ! (ils devraient remplacer le "metal" par "gold", plus approprié 😁)
En "fausse" ? Ou en "fosse", plutôt, non ?
SupprimerL'information était fausse, on parlait bien de la fosse. Honte à moi, et merci de la correction.
SupprimerSpringsteen vieux ressemble de plus en plus à Schwarzenegger jeune, et Steve "Comme J'aime.fr" Van Zandt il a bien perdu 0.05 tonne ces dernières années ...
RépondreSupprimerDésolé, c'était pour le côté visuel ... mais je suis pas sûr que ce soit une vacherie ...
Pour le son (enfin, le bruit qui accompagne les images), on dirait Lynyrd Skynyrd meets James Brown ( trente guitares et cinquante cuivres) ... et là non plus c'est pas forcément une vacherie ...
Le Boss, comme ceux de sa génération voire pire (Macca, Dylan, les Stones), ils sont à la limite physiquement. Mais ces gens-là ont quand même un sacré répertoire derrière eux, alors même si c'était mieux avant forcément, vaut mieux aller voir ceux-là que, je sais pas moi, ... qui a dit Beyoncé ? ... J'espère qu'ils sauront s'arrêter avant le changement de couches Confiance sur scène ...