mardi 14 février 2023

DELICATESSEN de J.P Jeunet et M.Caro (1991) par Pat Slade


Delicatessen“ : un film devenu culte au fil du temps avec son atmosphère et sa galerie de personnages hétéroclites et inénarrables, un hit d'humour noir.



Les délicatesses de Jeunet et Caro




J.P Jeunet - M.Caro
En cette fin de millénaire, une nouvelle sorte de cinéma verra le jour. Jean Pierre Jeunet qui avait fait ses classes dans les clips musicaux et le court métrage va se lancer, pour la première fois dans le long métrage avec ”Delicatessen“. Marc Caro, lui, vient de la bande dessinée, l’école de Métal Hurlant, Fluide Glacial, l’Écho des Savanes et Charlie Mensuel et lui aussi se tournera vers le cinéma après sa rencontre avec Jeunet et tous les deux vont faire un film cochon !  

Rufus
 Selon les pays, les Délicatessen désignent des magasins d’épiceries fines où un  restaurant-traiteur. Dans ”Delicatessen“ l’épicerie fine se transformera en boucherie. Un lieu poétique (très relatif), violent, bizarre, étrange, avec une galerie de personnages que l’on ne peut pas oublier. Bienvenue à BeaufLand avec ses ”gueules“ de cauchemars. Toute l’action se déroulera dans un quasi-hui clos, un bestiaire humain enfermé dans un vieille immeuble qui a fait son temps. Nous sommes entre un passé lointain et un futur post-apocalyptique et, à chaque étage, on rencontre une galerie de personnages cocasses, loufoques, extravagants, grotesques voire dérangés.

J.C Dreyfus

Tous sont les rescapés d’une guerre et survivent comme si de rien n'était (encore une approximation) et, en dehors de leur baraque, ce n’est que le vide et la désolation. Le pittoresque des habitants en fait une société recomposée. Plus ou moins dans l'ordre : les frères Kube (Jacques Mathou et Rufus), des fabricants de boîtes à meuh (indispensables après une apocalypse…), côtoient la famille Tapioca (Ticky Holgado), un couple de prolétaires flanqués de deus marmots espiègles et prêts à tout tant que cela remplit leurs quatre assiettes, le couple bourgeois Interligator dont la femme (Silvie Laguna) essaie mille stratagèmes foireux pour se suicider (le concours Lépine du procédé surréaliste). Et encore : Le vieux du deuxième (Howard Vernon), dans son appartement inondé, avec ses crapauds et ses escargots…et puis le pire de tous : le boucher Clapet (Jean-Claude Dreyfus) qui fait office de propriétaire et de tyran et malheur à ceux qui passent devant sa porte au risque de finir en côtelettes ou steak (de l'épaule pour les frangins Kube) pour en nourrir des habitants bien résignés mais finalement assez pervers pour s’inventer des excuses à cette consommation cannibale.     

D.Pinon - K.Viard    
 Le boucher vit avec sa fille Julie (Marie-Laure   Dougnac) myope et violoncelliste qui tombera amoureuse de Louison (Dominique Pinon), un ancien clown joueur de scie musical engagé comme factotum polyvalent. Et puis il y a aussi les troglodistes qui eux vivent dans les bas-fonds de la ville (pour ne pas dire les égouts) et sont les ”écolo-végétarien“ de l’histoire. Entre des scènes d’un humour poétique comme le test du sommier du boucher, dont un ressort couine lors des parties de bagatelle avec la compagne de ce dernier mademoiselle Plusse (Karin Viard). La demoiselle et Louison sont assis côte à côte sur le lit et, l'oreille tendue, à l'écoute du grincement suspect, ils le testent en rebondissant doucement, penchés à droite puis à gauche, étrange méthode payante sur fond de musique hawaiienne : ”Dreams of Old Hawaii“ par Lani Mcintire en 1944. Hilarant et chorégraphique...

M.L Dougnac - D.Pinon

Entre poésie, comédie et humour noir certain, on pourrait faire référence à Buster Keaton. Impossible de parler de Delicatessen sans en évoquer le jeu de couleur quasi-monochromatique entre l’orange et le vert. Une ambiance chromatique que réutilisera Jeunet avec plus ou moins de force dans quasiment l’ensemble de sa filmographie. Dans ce film ou la faim révèle la vraie nature des personnages (on se croirait sous l’occupation !) Un immeuble qui s’effondre petit à petit sur lui-même jusqu’à un déluge quasi-Biblique où presque, tous les protagonistes sont balayés par les eaux, les couleurs deviendront moins sombres et tout se terminera sur un toit avec un duo entre un violoncelle et une scie musicale. Autres personnages qui ne disent pas un mot mais qui sont une image qui apporte beaucoup au film, ce sont deux gamins qui seront les témoins silencieux des évènements et qui apporteront leurs touches d'innocence et de malice de titis à l’histoire ; n'oublions pas le facteur, un facho de première qui en pince pour Julie et fait le siège du paternel ni les troglodistes qui tenteront un casse doublé d'un kidnapping pour s'emparer des sacs de graines de Caplet, graines qui sont dans cet univers dément les bitcoins du moment… Une mise en scène et un scénario d'une densité narrative d'exception dans le cinéma de l'époque

Un premier film qui sera énormément récompensé, Caro et Jeunet nous plonge dans leurs univers proche de la bande dessinée avec des ”gueules“ du cinéma français. Un univers de personnages loufoques et parfois attachants que l’on retrouvera quatre ans plus tard dans ”La Cité des Enfants Perdus“, et dans une certaine mesure, dans "Amélie Poulain" et dans "un long dimanche de fiançailles".

 




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