”Delicatessen“ : un film devenu culte au fil du temps avec son
atmosphère et sa galerie de personnages hétéroclites
et inénarrables, un hit d'humour noir.
J.P Jeunet - M.Caro |
En cette fin de millénaire, une nouvelle sorte de cinéma verra le jour. Jean Pierre Jeunet qui avait fait ses classes dans les clips musicaux et le court métrage
va se lancer, pour la première fois dans le long métrage avec ”Delicatessen“. Marc Caro, lui, vient de la bande dessinée, l’école de Métal Hurlant, Fluide
Glacial, l’Écho des Savanes et Charlie Mensuel et lui aussi se tournera
vers le cinéma après sa rencontre avec Jeunet
et tous les deux vont faire un film cochon !
Rufus |
Selon les pays, les Délicatessen désignent des magasins d’épiceries fines où un restaurant-traiteur. Dans
”Delicatessen“ l’épicerie fine se transformera en boucherie. Un lieu poétique (très
relatif), violent, bizarre, étrange, avec une galerie de personnages que
l’on ne peut pas oublier. Bienvenue à BeaufLand avec ses ”gueules“ de cauchemars. Toute l’action se déroulera dans un quasi-hui clos, un
bestiaire humain enfermé dans un vieille immeuble qui a fait son temps.
Nous sommes entre un passé lointain et un futur post-apocalyptique et, à
chaque étage, on rencontre une galerie de personnages cocasses,
loufoques, extravagants, grotesques voire dérangés.
J.C Dreyfus |
Tous sont les rescapés d’une guerre et survivent comme si de rien
n'était (encore une approximation) et, en dehors de leur baraque, ce
n’est que le vide et la désolation. Le pittoresque des habitants en fait
une société recomposée. Plus ou moins dans l'ordre : les frères
Kube (Jacques Mathou et
Rufus), des fabricants de boîtes à meuh (indispensables après une
apocalypse…), côtoient la famille Tapioca (Ticky Holgado), un couple de prolétaires flanqués de deus marmots espiègles et prêts
à tout tant que cela remplit leurs quatre assiettes, le couple bourgeois
Interligator dont la femme (Silvie Laguna) essaie mille stratagèmes foireux pour se suicider (le concours Lépine
du procédé surréaliste). Et encore : Le vieux du deuxième (Howard Vernon), dans son appartement inondé, avec ses crapauds et ses escargots…et
puis le pire de tous : le boucher Clapet (Jean-Claude Dreyfus) qui fait office de propriétaire et de tyran et malheur à ceux qui
passent devant sa porte au risque de finir en côtelettes ou steak (de
l'épaule pour les frangins Kube) pour en nourrir des habitants bien
résignés mais finalement assez pervers pour s’inventer des excuses à
cette consommation cannibale.
D.Pinon - K.Viard |
Le boucher vit avec sa fille Julie (Marie-Laure Dougnac) myope et violoncelliste qui tombera amoureuse de Louison (Dominique Pinon), un ancien clown joueur de scie musical engagé comme factotum
polyvalent. Et puis il y a aussi les troglodistes qui eux
vivent dans les bas-fonds de la ville (pour ne pas dire les égouts)
et sont les ”écolo-végétarien“ de l’histoire. Entre des
scènes d’un humour poétique comme le test du sommier du boucher, dont un ressort couine lors des parties de bagatelle
avec la compagne de ce dernier mademoiselle Plusse (Karin Viard). La demoiselle et Louison sont assis côte à côte sur le lit et,
l'oreille tendue, à l'écoute du grincement suspect, ils le testent
en rebondissant doucement, penchés à droite puis à gauche, étrange
méthode payante sur fond de musique hawaiienne : ”Dreams of Old Hawaii“ par Lani Mcintire en
1944. Hilarant et chorégraphique...
M.L Dougnac - D.Pinon |
Entre poésie, comédie et humour noir certain, on pourrait faire
référence à Buster Keaton. Impossible de parler de ”Delicatessen“ sans en évoquer le jeu de couleur quasi-monochromatique entre
l’orange et le vert. Une ambiance chromatique que réutilisera
Jeunet avec plus ou moins de force dans
quasiment l’ensemble de sa filmographie.
Dans ce film ou la faim révèle la vraie nature des personnages (on se croirait sous l’occupation !) Un immeuble qui s’effondre petit à petit sur lui-même jusqu’à un
déluge quasi-Biblique où presque, tous les protagonistes sont balayés
par les eaux, les couleurs deviendront moins sombres et tout se
terminera sur un toit avec un duo entre un violoncelle et une scie
musicale. Autres personnages qui ne disent pas un mot mais qui sont une
image qui apporte beaucoup au film, ce sont deux gamins qui seront les
témoins silencieux des évènements et qui apporteront leurs touches
d'innocence et de malice de titis à l’histoire ; n'oublions pas le
facteur, un facho de première qui en pince pour Julie et
fait le siège du paternel ni les troglodistes qui tenteront un casse doublé d'un kidnapping pour s'emparer
des sacs de graines de Caplet, graines qui sont dans cet univers
dément les bitcoins du moment… Une mise en scène et un scénario d'une
densité narrative d'exception dans le cinéma de l'époque…
Un premier film qui sera énormément récompensé, Caro et Jeunet
nous plonge dans leurs univers proche de la bande dessinée avec des
”gueules“ du cinéma français. Un univers de personnages loufoques et parfois
attachants que l’on retrouvera quatre ans plus tard dans ”La Cité des Enfants Perdus“, et dans une certaine mesure, dans "Amélie Poulain" et dans "un long dimanche de fiançailles".
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