vendredi 24 février 2023

CONVOI DE FEMMES de William A. Wellman (1951) par Luc B.

 

Qu’il n’y ait pas de méprise. CONVOI DE FEMMES n’est pas un nanar érotico-sadique avec Laura Gemser, mais un formidable western réalisé par le non moins formidable William A. Wellman.

Situons déjà le personnage, scénariste, producteur, acteur, réalisateur (n’en jetez plus) qui est né avec le cinéma, tourne son premier film en 1920 et le dernier en 1958. Entre temps des grands succès comme LES AILES (1927), L’ENNEMI PUBLIC N°1 (1931)  UNE ÉTOILE EST NÉE (première version, 1937), L’ÉTRANGE INCIDENT (1943), AU DELÀ DU MISSOURI (1951). Wellman était un dur, il avait été pilote pendant la première guerre, il aimait que ses films soient le plus réaliste possible, mais ayant vu la mort de près il rechignait à filmer la violence frontalement. Il préférait les décors réels, les grands espaces (ici l’Utah et le désert du Mojave) il a été un des premiers à réhabiliter le rôle des Indiens dans ses westerns.

Autant de qualité qu’on retrouve dans ce CONVOI DE FEMMES qui voit apparaître au générique le nom de Franck Capra. Tiens-donc ! Le Capra de NEW YORK MIAMI, ARSENIC ET VIEILLES DENTELLES, LA VIE EST BELLE ? Oui, car le gars se passionnait pour l’histoire de l’Ouest et avait développé un scénario qu’il a cherché à réaliser, avec Gary Cooper en vedette. En vain. Capra et western sont deux termes antinomiques d’après les dirigeants de la Columbia (prétexte fallacieux : on ne tourne pas de western chez nous car on n’a pas de chevaux !!). Capra refile donc le bébé à son pote Wellman.

L’intrigue est tirée de faits réels. Pour coloniser les nouveaux territoires de l’Ouest, on faisait partir des pionniers volontaires qui bâtissaient une ville, travaillaient les champs, organisaient une société. Pour pérenniser le projet, on faisait ensuite venir des femmes, célibataires ou veuves. Il se dit que pas mal de prostituées étaient du voyage pour échapper à leur condition ou à la justice !

Le film raconte la constitution d’un convoi à Chicago, par Buck Wyatt, qui recrute d’abord une vingtaine d’hommes autoritairement briefés : si vous fricotez avec la marchandise, vous êtes mort. Car ils devront accompagner 150 femmes vers la Californie. La réunion au début est une jolie scène assez gouailleuse, ces dames sont invitées à choisir leurs maris d’après des photos punaisées au tableau. Buck Wyatt se fait volontairement odieux, pour préparer le terrain. Comme lui fera remarquer son cuistot, Ito, Buck est trop dur, trop exigeant. Mais c’est la seule façon de faire car le voyage jusqu’en Californie sera une épreuve beaucoup redoutable : « Il mourra une femme sur trois avant d'arriver » . C’est Robert Taylor qui joue le rôle, la pupille sombre, effectivement, ça ne rigole pas.

On voit déjà des caractères se dessiner parmi les voyageuses, les jeunes filles timides, craintives, les aventurières qui savent tirer au fusil (démonstration à l’appui, en intérieur, lorsque deux d’entre elles plombent une affiche électorale au mur), la fort en gueule Patience Hawley, jouée par Hope Emerson (1,88 m, 100 kg) ou la frivole Fifi Danon, interprétée par la française Denise Darcel (qu’on reverra dans VERA CRUZ). Qui dès le départ ne s’intéresse pas aux photos des pionniers mais à Buck Wyatt lui-même, avec œillades appuyées.

J’ai dit le souci de réalisme du réalisateur. Dans ce film, et c’est rare à l’époque, chaque personnage parle sa langue d’origine, comme la veuve italienne Antonia Maroni qui part avec son fils. Ito le petit cuistot est japonais. Et c’est étonnant dans un western d’entendre « En passant par la Lorraine avec mes sabots » chantonné par Fifi, qui dit une réplique sur deux en français. Echange fameux quand elle traite Buck de « sale cochon » (in french), et lui, n’y comprenant rien répond : « Don’t sale cochon me ! ».  

Mais ce sont les scènes d’action qui sont surtout empreintes de réalisme. Le convoi devra faire face à de multiple dangers, le film est un formidable récit d’aventures, rien n’est simulé, les actrices en ont réellement chié sur sur le tournage au point que la production a réalisé en parallèle un making-of (aujourd’hui banalisé) pour montrer comment 150 comédiennes ont dû apprendre à monter à cheval, claquer le fouet, conduire des charriots.

Une des scènes les plus spectaculaires est la descente de la montagne en charriot, parfaitement découpée entre plan large qui montre l’inclinaison de la pente, et gros plan sur le crochet qui retient le charriot qui se tord, se brise, précipitant l’attelage dans le ravin. Wellman n’aimait pas filmer la violence pour elle-même, démonstration en image dans au moins deux séquences. Celle du viol et du meurtre d’une des femmes, suggéré uniquement par la réplique de l’agresseur « je ne lui ai rien fait d’autres qu’elle n’avait déjà fait avant, en la bousculant peut-être un peu ». Il sera abattu sèchement comme on écrase un cafard. Autre moment de violence ellipsé, l’attaque des indiens.

Fait inédit dans un western, la scène d’action est zappée au profit d’une formidable séquence à cheval dans un canyon, Wyatt poursuivant Fifi qui a volé un cheval. Fifi épuise l’animal à l’en faire crever, Wyatt la rattrape, la gifle et… l’embrasse. Rare moment de lyrisme. Pour le trajet de retour, elle est assise derrière lui, le visage appuyé sur ses épaules, lui disant qu’elle le trouve beau avec sa barbe naissante. Quand ils reviennent au campement, ils le découvrent attaqué par les indiens. Donc Wellman occulte volontairement la fusillade, les morts seront encore une fois suggérés par la litanie du nom des victimes, prononcée dans le canyon qui fait écho, comme dans une cathédrale. Un moment magnifique et poignant. On est pas loin par moment de John Ford, les deux réalisateurs ayant souvent filmé des communautés, la solidarité, une construction de société.

Comme lorsque Antonia Maroni (dont le fils est mort) interrompra une bagarre entre deux femmes au prétexte que l'une a cassé les lunettes de l'autre : que vaut une paire de binocles lorsqu'on a perdu un fils. Autre beau moment, la scène de l’accouchement en plein désert, avec ces femmes qui tiennent à bout de bras le charriot qui a perdu une roue. Et que dire de l’arrivée dans la vallée, où les femmes exigent de pouvoir se faire séduisantes pour leurs futurs époux (Buck Wyatt réquisitionne tous les draps et tissus pour confectionner des robes !) avec cette réplique de Patience « Il sent bon l’homme, ce coquin de vent qui vient de la vallée » !

Je ne peux pas raconter les nombreuses péripéties qui jalonnent ce film très original. A-t-on déjà vu autant de personnages féminins dans un western, sans mièvrerie aucune. Buck Wyatt doute de leur solidité et pense rebrousser chemin, toutes se lèvent en mode « I am Spartacus » disant à Wyatt que c’est à elles, et à elles seules, de décider de leur destinée.

Voilà un western atypique, doublé d’un formidable film d’aventures, rugueux à souhait, remisant le spectaculaire pré-fabriqué et le lyrisme au vestiaire (quasiment pas de musique sur deux heures de film) pour s’approcher au plus près de la réalité de l’action et du sujet. C’est superbement photographié, les femmes sont souvent filmées en contre-plongée pour exacerber leur courage, passionnant à suivre jusqu’à la dernière minute.  

noir et blanc  -  1h50  -  format 1:1.37

    

4 commentaires:

  1. Elle n'a vraiment pas l'air commode, Miss Hope Emerson 😲
    "Non madame. Oui madame. Bien sûr madame. C'est comme vous voulez madame " 😁 (J'aurais été bien meilleur élève avec une instit comme elle 😄)
    Elle aurait pu jouer dans Game of Thrones. Brienne n'aurait pas fait le poids.

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  2. Je n'avais pas fait le rapprochement avec Brienne, c'est vrai qu'elle sont cousines !

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  3. Peut être le seul western doublé avec l'accent marseillais )) Un bonheur.

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  4. Il passe très souvent sur les chaînes oldies de Canalsat ... le titre évoquant un furieux nanar, j'ai jamais regardé ...
    Promis, je jetterai un œil ...

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