On en prend pour plus de trois heures dans la tronche (et les esgourdes) et finalement ça passe très bien. Damien Chazelle mène son film-monstre à un train d’enfer, un film sous coke, lorgnant vers le Scorsese de LE LOUP DE WALL STREET, auquel on pense évidemment, aussi par son thème : rise and fall of…
Chazelle évoque le cinéma de la fin des années 20, le passage au parlant. Une époque qu'on imagine surannée, coincée, vieillotte, grise. Chazelle nous dit : détrompez-vous, c'était la fête, les excès, la liberté, et une époque d'intense créativité. Pour nous le raconter, il utilise des artifices de mise en scène très contemporains. BABYLON c'est l'antithèse de THE ARTIST, où Hazanavicius utilisait les codes du film muet, anachroniques aujourd'hui. Chazelle fait le travail inverse, comme son compositeur Justin Hurwitz inscrit sa partition dans la musique d’alors, ce jazz qu’on appelait Jungle (Duke Ellington au fameux Cotton Club, qui n'avait rien à envier au Studio 54 fréquenté par Mike Jagger et autres célébrités) mais avec un rendu sonore presque rock ou techno.
La scène d’ouverture pourrait être une mise en garde de ce qui va suivre. On y voit l’accessoiriste Manny Torres tenter de transporter un éléphant jusqu’à une fête organisée par le producteur Don Wallach (qui a des faux airs de Weinstein). Allusion aux éléphants sculptés de GOOD MORNING BABYLON des frères Taviani ? A THE PARTY de Blake Edwards ? Plutôt le second avec ce gros gag scato, si vous n’avez jamais vu l’anus d’un pachyderme en scope, c’est le moment !
De la merde, du pipi et autres fluides corporels, il va y en avoir plein l’écran, avec une orgie dantesque où toutes les folies sont permises. Dans un décor baroque aux lumières or et rouge, la caméra de Chazelle sillonne entre les corps dénudés, emboîtés, qui se déhanchent au rythme de l’orchestre jazz qui anime la soirée. Génial moment avec Lady Fay Zu et son « My girl’s pussy ». Les excès parfois finissent mal dans les alcôves à l’étage. Allusion à Roscoe Arbuckle, acteur comique responsable de la mort d’une jeune actrice lors d’une partouze, premier grand scandale hollywoodien, à l’origine de cette réputation de Sodome et Gomorrhe.
Allusion car Damien Chazelle ne convoque à l’écran aucune personnalité réelle (hormis le producteur Irving Thalberg), comme on ne voit jamais de tournage de films existants. Si on cite Chaplin ce n'est pas pour son génie mais la grosseur de sa queue. A part les affiches de films dans le bureau de Thalberg (« Tarzan » ou « Red Dust » avec Clark Gable et Jean Harlow) pas de référence au réel, pas de Griffith, von Stroheim ou Murnau. Par contre du CHANTONS SOUS LA PLUIE à toutes les sauces, et pour cause, on y reviendra.
C’est dans cette fiesta orgiaque que vont se croiser les quatre personnages dont le réalisateur va ensuite suivre les destinées. Manny Torres, accessoiriste et homme à tout faire qui fera son chemin jusqu’à diriger un studio. Nellie LaRoy (Margot Robbie) obscure actrice junkie se rêvant star et le deviendra un temps. La grande vedette Jack Conrad dont l’étoile commence à pâlir (très jolie scène chez la journaliste à potins Elinor St. John inspirée de Lolly Parsons, la vipère d'Hollywood) et le trompettiste Sydney Palmer qui trouvera une seconde carrière devant les caméras.
BABYLON c’est une grosse cuite suivie de la méga gueule de bois. On fait la bringue mais le lendemain il faut bosser. Les séquences de tournages sont parmi les plus réussies, tous ces plateaux installés en plein air (à l’époque pas de toit, pour profiter de la lumière naturelle) avec des dizaines de petits tournages simultanées. C’est là que Nellie Laroy apprendra le métier, jolie scène où elle pleure sur commande, à la goutte de larme près ! Et superproduction costumée avec Jack Conrad, où Manny est chargé de trouver fissa une caméra pour filmer le dernier plan avant le coucher du soleil. L’ensemble est superbement orchestré, drôle (la grève des figurants !) et assez touchant de voir tous ces gens œuvrer dans le même sens, le cinéma, le divertissement, un art majeur (leitmotiv de Conrad).
BABYLON est évidement une grande célébration du cinéma,
celui qui se bricole, et de son émerveillement dans les yeux des spectateurs.
Lorsque Manny Torres est envoyé à New York assister au premier film parlant LE
CHANTEUR DE JAZZ, il découvre une salle entière debout, danser et chanter
devant l’écran. Détail amusant, Nellie Laroy va assister, enthousiasmée, à la
projection de son premier film. La scène est calquée sur celle de ONCE UPON A
TIME IN HOLLYWOOD de Quentin Tarantino, (qui était aux années 60 ce que le film de Chazelle est aux années 20) où la même Margot Robbie jouait le rôle de
Sharon Tate se découvrant à l'écran dans MATT HELM.
1927, le parlant change la donne. La séquence du premier tournage parlant de Nellie montre toutes les difficultés techniques qu’il a fallu apprivoiser (scène calquée, bis, sur CHANTONS SOUS LA PLUIE), un montage drôle et percutant. Le film évoque aussi les prémices du code Hays, gros retour de bâton sur la bonne morale. Un autre aspect est montré avec le personnage de Sydney Palmer. Avec le parlant, on peut désormais filmer des clips musicaux, Louis Armstrong en a tournés quelques-uns, horriblement déguisé en bon nègre. Palmer est noir. La scène où on lui demande de se maquiller au charbon pour paraître vraiment noir et satisfaire les à priori des états du sud (car les éclairages blanchissaient son visage) est hallucinante.
Avec le parlant apparaissent les films musicaux, et on
voit un tournage où une ribambelle de naïades chantent la première version du
fameux « Singing in the rain ». On revoit des extraits de CHANTONS SOUS LA PLUIE lorsqu’en 1952 Manny Torres assiste à la projection du film de Stanley Donen et Gene Kelly, la larme à l’œil, nostalgique d'une épopée qu'il a lui même vécue. Chazelle magnifie la scène avec un mouvement de
caméra qui part du visage de Torres, puis descend à l’orchestre entre les
spectateurs, avant de remonter au balcon. Où on s'aperçoit que Chazelle reprend à son compte des moments entiers du chef d'oeuvre de Donen, mais lui au moins, il cite ses sources !
Pour illustrer les aspects les plus pervers d'Hollywood, Chazelle
filme une séquence peu ragoûtante, avec un Tobey Maguire aux cernes plus profondes
que le Grand Canyon où des happy few s’encanaillent
dans les égouts devant des monstres de foire, livrés à toutes les déviances
sexuelles (allusion au film FREAKS de Tod Browning ?). Une scène choc ou toc, c’est
selon. Certains critiquent cet aspect vulgaire du film. Est-ce le film ou ses personnages qui sont vulgaires ? A commencer par le personnage de Nellie, horripilante et grossière, elle ne parle pas mais vocifère (scène chez Randolph Hearst où elle gerbe sur le tapis...). D'autres moments ne sont pas indispensables : la séquence dans le désert avec le serpent, le rôle du père de Nellie, dont on ne saisit pas la portée, qui n’influe en rien sur le récit. Autant d'éléments qui aurait pu être coupés pour se concentrer sur l'essentiel.
Il semble que pour écrire son film, Damien Chazelle ait lu le livre-torchon « Hollywood Babylon » de Kenneth Anger, qui compilait les potins les plus immondes sur les stars d’Hollywood, les affaires de mœurs, de dopes, de meurtres, et dont je vous avais évidement causé en son temps : CLIC VERS L'ARTICLE
Damien Chazelle nous plonge joyeusement dans la fange et
les excès en tous genres, était-ce la meilleure façon de sublimer l'art du cinéma, puisque tel semble être le projet ? Mais on ressent bien son plaisir à filmer, c'est noir et euphorique, on ne s'ennuie pas. Le récit est dynamisé
par des mouvements rapides de caméra, des plans à l'épaule, des panoramiques ultra-rapides qui rythment les échanges dialogués, et évitent les traditionnels champs contre champs. Mais on se rend compte aussi que beaucoup de ce que filme Damien Chazelle depuis le début de sa carrière, aussi réussi soit-elle (WHIPLASH, LALALAND) a tout simplement déjà été vu, montré, raconté...
BABYLON, éreinté par la critique, a fait un bide total aux Etats Unis, faut dire, sorti en même temps qu’AVATAR 2, le timing n’était pas le meilleur. Qui aurait envie de se coltiner 3 heures sur la fin du cinéma muet ? (très bon démarrage en France avec déjà 800 000 entrées). Un pari osé dont aucun grand studio ne voulait, donc une production indépendante. Le jeune Chazelle avait-il les épaules assez larges pour ce projet titanesque ?
3 h 10 ... (pour Yuma ?) Ah oui, quand même ... mais ça peut quand même m'intéresser. Lu quelques avis, apparemment c'est partagé ...
RépondreSupprimerJ'avais bien aimé La la land (à cause d'Emma Stone, m'a dit mon psychanalyste), moins Whiplash (j'aime pas les solos de batterie).
Sortir aux States en même temps qu'Avatar 2, c'est sûr que c'est pas une bonne idée. Sortir en France en même temps que le dernier Astérix, c'est beaucoup moins handicapant ...
Punaise, vous les faites tous, cet acharnement force le respect... La simple bande-annonce m'a refroidi...
RépondreSupprimerA part ça, Brad Pitt est plus vieux que Jean Castex...
Je me le suis fadé jusqu'au bout, c'est un navet. Le réalisateur est complétement dépassé par son sujet, ses effets sont vus et revus et ridiculement tapageurs, les acteurs sont en roue libre, Milla Jovovich (à moins que ça ne soit Margot Robbie ?)) est incapable de la moindre nuance et les anecdotes (Frances Farmer en tête) sont rabachées et, pire, mal utilisées. Quant à la scène d'orgie, n'est pas Ken Russell qui veut.
RépondreSupprimerJe garde la prestation de Flea, vraie gueule de cinéma et sobriété d'interprétation et le plaisir d'apercevoir Eric Roberts. Et point barre.