Ce n’est pas le film d’Alfred Hitchcock le plus célèbre, et ce n’est pas non plus le meilleur.
- Ca c’est de l’intro coco, qui donne envie de lire la suite !
LE FAUX COUPABLE est réalisé en 1957, clôturant une série de films intéressants mais pas indispensables (LA MAIN AU COLLET, L’HOMME QUI EN SAVAIT TROP, HARRY) et juste avant une série de quatre chefs d’œuvres d’affilée, VERTIGO, LA MORT AUX TROUSSES, PSYCHOSE et LES OISEAUX, qui signaient pour Sir Alfred la fin de son âge d’or. Même si FRENZY relève le niveau au début des années 70.
Hitchcock abandonne le format VistaVision* et la couleur le temps d’un film quasi documentaire - puisqu’inspiré d’un fait réel - reprend les codes du Film Noir avec les cadrages accentués, les contrastes et la profondeur de champ. Le réalisateur, célèbre pour inventer des formes de narration, induire le spectateur en erreur, le manipuler, joue ici au contraire sur la véracité des images. Par exemple, lorsque le personnage joué par Henry Fonda est incarcéré, l’équipe est venue tourner en prison, a observé les détenus, leurs gestes, leurs démarches, et Hitchcock a demandé à son acteur de tout simplement refaire exactement ce qu’il avait vu, sans chercher à jouer, à composer.
Ce personnage c’est Christopher Balestrero (surnommé Manny), un type lambda, marié, deux gosses, contrebassiste dans un orchestre, qui gagne chichement sa vie, comptant chaque dollar pour ses frais dentaires. Dès le départ, cette image prémonitoire : Hitchcock le filme sortant du boulot, croisant par hasard deux flics en maraude, qui à l'image paraissent l'encadrer comme leur prisonnier. Superbe !
Manny passe à sa compagnie d’assurance pour emprunter sur sa police 300 dollars. L’employée derrière son guichet le regarde bizarrement, suspicieuse, et le signale. Balestero sera alpagué à sa sortie par deux inspecteurs de police, qui le trimbaleront toute la nuit en voiture d’un magasin à un autre, lui demandant juste d’entrer et d'en sortir. Étrange... mais Balestero se plie à l’exercice, docile, car chez ces gens-là, on obéit à l'autorité. Il est ensuite embarqué au commissariat où on lui signifie sa mise en accusation pour différents hold-up : il a été formellement reconnu par les gérants des magasins visités.
Cela pourrait être un film policier si Hitchcock racontait l’intrigue sous l’angle d’une enquête. Mais il opte pour le seul point de vue de la victime. L'innocent accusé à tort est un thème récurrent chez Hitchcock (LES 39 MARCHES, LA MORT AUX TROUSSES), on se souvient de cette anecdote qu’il racontait lorsque gamin son père l’avait emmené au poste de police et demandé à ce qu’on l’enferme quelques heures en taule, pour le dresser, ce qui avait traumatisé le gosse.
Ce qui est intéressant, c’est que le spectateur n’en sait pas plus que le personnage. Or d’habitude Hitchcock jouait justement avec la complicité du spectateur, la définition même du suspens hitchcockien, vous savez qu’il y a une bombe mais le héros du film, non. Ici les scènes s’enchaînent sans qu’on en comprenne le sens car Manny Balestero lui-même ne les comprend pas. Comme Hitchcock raconte ses films en images, LE FAUX COUPABLE est une suite de plans regards / suggestifs.
Quand Balestero est emmené en voiture de police, il est assis entre deux flics. Il y a alors une succession de gros plans. Manny regarde à droite, et on voit ce qu’il regarde : le premier flic. Puis regard à gauche, et on montre l’autre flic. Puis vers l’avant : il croise le regard du chauffeur dans le rétroviseur. Balestero est escorté par différents gardiens qui se relaient. Hitchcock filme encore en gros plans les menottes qui se resserrent à ses poignets. Regardez l'angle de prise de vue : le subjectif de Manny. On ne voit jamais le visage des gardiens. Pourquoi ? Car Balestero ne les regarde pas. Il fixe le sol, tête baissée, résigné sur son sort. La mise en scène, millimétrée, épouse constamment le seul point de vue du héros sur ce qu’il lui arrive.
C’est ce parti-pris qui
donne cette tonalité tragique au film, cet engrenage infernal. Avec ce noir et blanc, granuleux, les scènes filmées in situ, un rendu d’autant plus documentaire
que tout a réellement été filmé sur les lieux même du fait divers qui a inspiré
le projet. On pense parfois aux clichés du photographe Weegee. Hitchcock va même utiliser parfois les vrais
protagonistes, comme les médecins qui soignent Rose Balestero, la femme de
Manny, qui tombe en dépression. Le film est froid, clinique, dans sa description de la machine judiciaire.
Comme dans beaucoup de films d’Hitchcock, c’est le personnage (aidé ici par son avocat) qui va devoir, une fois libéré sous caution, mener sa propre enquête pour se disculper. Rose Balestero vit de plus en plus mal la situation, rongée de l’intérieur, elle finit même par douter de son mari. Aurait-il une double personnalité comme le suggère le plan du miroir brisé ?
Le clou du film sont ces deux plans en surimpression. Dans le premier on voit Manny prier pour son sort, dans le second une rue, la nuit, un homme qui approche, son visage venant superposer celui de Manny. C’est le vrai coupable. On constate qu’il ne se ressemblent pas franchement, comme dans la confrontation au commissariat, hormis le chapeau et le manteau. Ce qui rend le drame de Balestero encore plus dérisoire.
Ce mélange de fiction et de documentaire donne un film un peu bancal, moins évident dans sa deuxième partie. On sent
Hitchcock pas très à l'aise,
le cul entre deux chaises, il s’essaie à un genre qu’il ne maîtrise pas, une
non-fiction (quand on pense à DE SANG FROID de Richard Brooks) alors que ses films les plus emblématiques se détournent justement du réalisme (LA MORT AUX TROUSSES est un modèle de non-sens) ou donnent parfois dans le fantasme absolu (VERTIGO). Hitchcock utilse son savoir-faire de raconteur d'histoire au service d'une histoire... déjà racontée.
L’atout majeur reste l’interprétation. Car on a devant la caméra le grand Henry Fonda, qui depuis LES RAISINS DE LA COLÈRE de John Ford jusqu’à 12 HOMMES EN COLÈRE de Sidney Lumet** représente le bon américain moyen par excellence, croyant (fonction qu’il partage avec son pote James Stewart). Son timbre de voix fragile, sa démarche de funambule équilibrée par ses bras démesurés, sa gestuelle souple, son regard clair, cet acteur est juste fascinant, emprunt d'une grande humanité.
Sa femme à l’écran est joué par Vera Miles, grande actrice que Hitchcock reconvoquera pour PSYCHOSE, inoubliable dans LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT ou L’HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE de John Ford, 93 ans aux miches à ce jour.
LE FAUX COUPABLE est un film à part, d’ailleurs Hitch n’y apparaît pas en caméo comme il aimait le faire. Dans leurs entretiens légendaires, François Truffaut ose expliquer au maître que sa mise en scène n’est pas en adéquation avec son sujet, ce qu’Hitchcock finit par avouer à demi-mots.
*************************
* Le procédé VistaVision (1954) consistait à tourner avec une pellicule classique 35 mm, mais renversée à l'horizontale. La largeur initiale du photogramme devient donc sa hauteur, ce qui permettait d’augmenter la surface d’impression (x2) et obtenir une meilleur qualité d'image. Ce qui a donné le format 1:1.85 devenu la référence aujourd'hui. Le même principe appliqué à une pellicule 70 mm donne le format IMAX.
**Sidney Lumet avec un « i » à Sid, et Sydney Pollack avec un « y »... putain je n’sais jamais !!
noir et blanc - 1h45
Shame on me. Je ne l'ai toujours pas vu celui-ci.
RépondreSupprimerfreddiefreejazz