lundi 5 décembre 2022

Alfred SISLEY – Peintre (1839-1899) – François DAULTE (1924-1998) – par Claude Toon


- Je feuillette ce livre Claude… Il ne peignait jamais chez lui ce Monsieur Sisley ? une seule nature morte, quelques portraits et surtout des paysages… de préférence quand il neigeait… Il devait s'enrhumer fréquemment… Son nom ne m'était pas inconnu d'ailleurs…

- Comme tu le découvres Sonia, Sisley est l'un des pionniers de l'impressionnisme, mouvement caractérisé, au-delà de l'évasion du réalisme, par la possibilité de peindre en extérieur sur un chevalet grâce à l'invention de la peinture en tubes… Pour la neige oui, et le XIXème siècle devait être enneigé au contraire de notre époque ; il existe même un tableau d'Aix en Provence sous la neige…

- Il a eu du succès ? moi j'adore…  

- Une vie moins galère que celle de Van Gogh Sonia, mais de la vache enragée et une reconnaissance bien tardive comme pour beaucoup de novateurs…


Alfred Sisley par Renoir (1868)
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À propos de la peinture à l'huile en tubes… De nos jours pour nos amis peintres amateurs, ce produit semble une évidence, tant pour le travail en atelier, qu'assis sur un pliant sur un quai de Seine ou dans champs ensoleillé face à son chevalet portable. Pourtant jusqu'au début du XIXème siècle, les artistes devait se métamorphoser en alchimistes et triturer diverses matières dans des mortiers ou mélangeant de manière plus ou moins empirique des pigments à un liant. Les pigments provenaient de poudres d’origine animale, végétale, minérale ou chimique. Le liant était au gré des recettes de chacun : de l'eau additionnée de gomme arabique, de la colle, du jaune d’œuf ou le plus souvent de l'huile de lin, de l'huile d'œillette* et même de l'huile de noix… Le temps passant, les teintes palissaient, virant au jaunâtre. Remercions les restaurateurs qui ont rafraîchi les chefs-d'œuvre de Bruegel ou les fresques des voutes de la Chapelle Sixtine.

Donc, en 1811, premier conditionnement dans des seringues en verre ou en métal, une invention du yankee James Hams, hors de prix et peu pratique… Son compatriote John Goffe Rand fabrique les premiers tubes en métal souple. En France, en 1859, la célèbre maison Lefranc commercialise le bouchon à vis toujours en usage, des tubes faciles à transporter. Vers 1920 le tube originel en étain, devient en aluminium puis en… plastique, matériau non pliable et peu apprécié…

Sans cette invention, l'impressionnisme n'aurait jamais vu le jour (c'est le cas de le dire), ni même la nuit ; certains ont peut-être en tête l'autoportrait de van Gogh peignant la nuit des ciels étoilés et virevoltants en fixant des bougies sur son chapeau…

Les impressionnistes s'évadent des ateliers à l'éclairage incertain, peuvent travailler presque par tous les temps et en jouant sur les ombres et lumières, de l'aube au couchant, privilégiant la représentation d'une vision "globale" par rapport à la précision des détails. Monet peindra une trentaine de tableaux de la façade de la Cathédrale de Rouen sous les lumières les plus variées… Le dessin et son réalisme laissent place à l'émotion (impression), à une atmosphère plus subjective. Désolé si pour des lecteurs j'enfonce des portes ouvertes 😊.

(*) Espèce de pavot sans opium.

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Tubes Lefranc (-Bourgeois) du XIXème siècle
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La bibliographie consacrée à Sisley est assez vaste, de l'opuscule au tarif abordable au volume costaud hors de prix présentant l'imposante production du peintre. François Daulte, éditeur et critique d'art suisse (1924-1998) est un spécialiste des impressionnistes et a établi plusieurs catalogues pertinents de leurs œuvres, citons : Frédéric Bazille*, Alfred Sisley ou Auguste Renoir.

L'ouvrage de référence de ce billet est modeste mais son chapitrage en cinq parties met bien en valeur l'attachement du maître pour des lieux précis en Île-de-France.

Le peintre doit son nom anglophone – comme le soulignait Sonia - à ses parents. Alfred naît à Paris en 1839, dans l'actuel 11ème arrondissement. Son père, William, établi en France, dirige une entreprise d'import-export à Londres. Sa mère, Felicia Sell, aime les arts et fréquente les salons BCBG de la Restauration. En 1857, la famille envoie le jeune homme à Londres où il est censé s'instruire, mais fréquente plutôt musées, expositions et concerts (c'est un fan de Beethoven qu'il avait découvert lors de la création des concerts Pasdeloup en 1861).

En octobre 1862, retour à Paris et inscription à l'École des beaux-arts de Paris dans la classe de Charles Gleyre, peintre dont on ne peut nier la grande habileté mais aussi l'attachement à l'académisme romantique dans le trait et la technique de "la couche fine".

(*) Frédéric Bazille héritera des leçons de Charles Gleyre un sens aigu de la finesse de ses compositions. Hélas, il sera tué lors de guerre de 70… laissant des toiles remarquables et d'inspirations très diverses. Il n'avait que 28 ans, P**n ! chronique à venir.


Les fiancés (couple Sisley)
par Renoir (1868)

Sisley rencontre à l'École des beaux-arts de Paris ses futurs amis : Renoir, Monet et Bazille. Dès 1863, déçu de l'enseignement de Gleyre, les quatre compères déménagent chevalet et pinceaux pour les grands espaces bucoliques du Val-de-Marne : la forêt de Fontainebleau, Chailly-en-Bière, Barbizon (bien sûr), ou encore Marlotte.

1865 : cette année-là voit la première du Salon des refusés, une idée de Napoléon III et Violet-le-Duc qui apprécient peu le passéisme de l'académie, salon a refusé d'exposer Corot et d'Aubigny, les précurseurs, et 3000 autres œuvres rejetés sur 5000 ! L'impressionnisme est lancé, on connaît la suite… Le quatuor des jeunes peintres autour de Sisley était prêt pour y exposer leurs récentes réalisations et pour mener leur combat qui révolutionnera la peinture. Toute une histoire mériterant d'autres chroniques…


Sisley débute sa carrière en 1865 dans les bois de La Celle-Saint-Cloud. En 1866, il rencontre la jeune Marie-Louise Adélaïde-Eugénie Lescouezec* (1834-1898) qui deviendra sa compagne jusqu'à un mariage tardif en 1897 à Cardiff, de cette union naîtra trois enfants. Son père furieux face à cette alliance le déshérite… Le couple ne connaîtra jamais la fortune… De toute façon Sisley Senior mourra ruiné par la guerre. Alfred Sisley doit survivre avec compagne et enfants de son art.

Vers 1870, la famille s'installe à Bougival puis à Louveciennes près de Renoir et de villes épargnées par la guerre.  Sisley se passionne pour les paysages de cette région de l'actuelle région des Yvelines : Louveciennes sous la neige, des ponts sur la Seine et même, rare trace dans son œuvre, la passerelle provisoire d'Argenteuil après la destruction du pont (11). Autres lieux favoris : Marly-le Roi (où il déménage en 1875) et plus exceptionnellement Paris.

À ce sujet La vue du canal Saint-Martin (5) présenté au salon de 1870 est un exemple très parlant de ses recherches. Sisley confrontera souvent l'eau et le ciel dans ses œuvres, ici le reflet argenté de l'eau du canal qui prend une teinte plus ardoise en arrière-plan ; à l'inverse, le ciel s'éclaircit vers la ligne d'horizon. Deux phénomènes qui passent inaperçus car si naturels à nos yeux mais que le peintre souligne à merveille… Et puis quelle clarté dans ce tableau n'utilisant pourtant qu'une infinie palette de gris !

(*) Oui Sonia Lescouezec sonne breton ! Marie-Louise était née à Toul d'un père originaire du Morbihan mais militaire de carrière. Elle vivait à Paris lors de la rencontre avec son chéri…


Portrait de Marie-Louise Sisley
par Mary Cassatt (1873)

En 1874, avec Claude Monet, Auguste Renoir, Camille Pissarro, Edgar Degas et Berthe Morisot, il fonde la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs (Wikipédia in extenso).

Après ce long séjour dans l'ouest parisien, Sisley s'installe en 1880 à Moret-sur-Loing dans le Val-de-Marne qui a connu ses débuts. Tout est réunit pour satisfaire ses désirs de création : le climat calme et bucolique de la campagne sans trop s'éloigner de Paris où désormais il connaît le succès dans plusieurs salons et expositions, et cela même si les trois fondateurs de l'impressionnisme survivants taillent leurs propres routes… Et puis, surtout, il y a le magnétisme du Loing, cet affluent aux eaux calmes. Les paysages peints par Sisley sans le double miroir de l'eau et du ciel sont très minoritaires (2 sur 12 dans la mini exposition). Autre caractéristique : les personnages sont représentés très schématisés ; Sisley se passionne pour leur rôle dans le paysage plus que pour ce qu'ils sont (les badauds sur la passerelle provisoire d'Argenteuil (6) par exemple).

Malgré une certaine notoriété dans les expositions y compris à New-York, Sisley endure une vie plutôt misérable. Ses tableaux se vendent encore mal. Ce n'est pas la période future du XXème siècle où ils s'arracheront des fortunes chez Christie's. Marie-Louise meurt en 1898. Inconsolable, lui-même souffre de rhumatismes aigus puis d'un cancer de la gorge qui lui sera fatal. Ses demandes de naturalisation n'aboutiront jamais avant son trépas en 1899.

1.  Effet de neige à Louveciennes (1874)

2.  La neige à Louveciennes (1878)

3.  Chemin dans un jardin (1873)

4.  Le Loing à Moret, le Bateau Lavoir (1890)

5.  Moret-sur-Loing (1892)

6.  Vue du canal Saint-Martin (1870)

7.   La grand-rue à Argenteuil (1872)

8.   Bateaux (1885)

9.   La Seine à Bougival (1876)

10. L'Inondation à Port-Marly (1876)

11. La passerelle d'Argenteuil (1872)

12. Vue de Moret Sur Loing,
Soleil du Matin (1888)

L'inondation à Port Marly est considéré comme l'un des chefs-d'œuvre de
Sisley. Il est possible de l'examiner en cliquant sur l'image du tableau.
Le ciel, l'eau ocre (boue de la crue ?) Le bâtiment et son reflet dans le clapotis
où accostent des barques.
Une touche du pinceau qui rappelle celle de son ami Monet.
Mille détails.

Et pour accompagner cette petite visite : Sisley étant de sang anglais, écoutons La fantaisie sur un thème de Tallis pour cordes de Ralph Vaughan-Williams






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