vendredi 11 novembre 2022

POULET FRITES de Jean Libon et Yves Hinant (2022) par Luc B.

Le duo Jean Libon et Yves Hinant récidive après l’hilarant NI JUGE, NI SOUMISE (2018) clic vers l'article où l’on suivait le quotidien de la juge d’instruction belge Anne Gruwez. Rappel des faits, Jean Libon est le créateur de l’émission de télé Strip-Tease, sorte de télé-réalité avant l’heure, où il filmait ses contemporains avec une caméra autant intrusive que discrète, sans commentaire ni interview, rien que du brut de pomme.

Pour l’occasion de ce POULET FRITES**, les co-réalisateurs ont remonté des rushes tournés en 2003 et nous proposent une nouvelle enquête de la juge. Dans le premier film, drôlissime autant que noir et décapent, on suivait plusieurs dossiers de la juge. Ici, il n’y a qu’une seule enquête, Anne Gruwez est encore présente mais secondée par le commissaire Jean Michel Lemoine de la criminelle.

Le dispositif est le même, le spectateur est présent dès la scène de crime, assiste aux interrogatoires, aux réunions, perquisitions, la caméra enregistre toutes les étapes d’une enquête de police. De quelle affaire parle-t-on ? Du meurtre de Kalima Sissou, retrouvée égorgée chez elle avec un couteau à pain. Le coupable semble tout désigné : Alain Marteens, son voisin toxico, qui couchait avec elle à l’occasion, que plusieurs témoins disent avoir entendu tambouriner à la porte de Kalima.

Le problème est que Marteens, totalement dans les vapes, ne se souvient de rien. « Si je l’avais tué, je m’en souviendrais ! ». Il avait mangé avec elle le jeudi soir, mais pas vendredi, jour du meurtre. Lors d’un débrief, un flic fait cette remarque : « je ne sais pas si c’est important, rapport à l’égorgement, mais Marteens est boucher de formation… »… On s’interrogera aussi sur l’arme, un couteau à pain, peu pratique pour zigouiller quelqu’un. « Détrompez-vous ! » lance le commissaire à la juge…

L’indice le plus crucial est une... frite. Pas n'importe quelle frite, une surgelée, d'un calibre épais, retrouvée presque intacte par le légiste dans le bol alimentaire de la victime. Un type de frite correspondant exactement à celui qu'Alain Marteens avait préparé la veille. Ca commence à faire beaucoup : la formation de boucher, le couteau, les frites, les témoignages compromettants (y compris celui de la sœur de la victime qui l'a eue au téléphone juste avant le drame). Si ce n'est pas Marteens le coupable, comment la frite est arrivée dans l’estomac de Kalima ?

Au départ ce documentaire fait rire, jaune ou noir, c’est selon, parce que la situation est ubuesque, bien que tragique. Les expressions et l’accent belge ajoute une pointe folklorique. Et puis parce que le suspect, Marteens, alcoolo et drogué, est pathétique dans ses justifications qui ne trompent personne. A un moment il dit : « quand j’ai bu, je perds la mémoire, un jour une copine m’a dit que je l’avais menacée d’un couteau, j’vous jure, j’m’en souvenais pas ». Il faut voir la tête des flics, ahuris par tant de franchise, Lemoine lui dit : « Heu, pas sûr que ce soit le truc à dire à la brigade criminelle… ».

Plus tard, Marteens annonce qu’il va rendre visite à ses parents, la juge lui conseille de les prévenir par téléphone avant. Marteens répond « mon père est cardiaque, ça risquerait de le bouleverser ». Lemoine rétorque : « Il va croire que tu t’es échappé, c’est pas mieux pour son cœur ».

Et puis à mesure que le film avance, le comique des situations s’estompe au profit de l'enquête. Comme dirait Columbo y’a des détails qui clochent. On assiste au plus près aux investigations, chaque élément est retourné dans tous les sens. Comme ce témoignage d’un autre voisin qui déclare avoir clairement entendu la victime hurler « Alain, non Alain ! Au secours ! ». Comment comprendre cette phrase : non Alain ne me frappe pas ou au secours Alain, vient m’aider ? Tout est dans le ton, l’intonation. Détail qui va faire basculer l’enquête.

Et puis il y a le téléphone de la victime, avec un numéro qui revient 93 fois, du harcèlement. Les policiers vont remonter la piste de ce numéro, sachant qu’il semble provenir un abonnement pré-payé utilisé par des clandestins philippins (ou bengalis) qui se refilent le mobile de mains en mains. Ca va être long et fastidieux. Et puis il faut faire avec le bordel administratif : scène surréaliste quand le commissaire Lemoine réclame deux agents pour une perquisition, véritable parcours de combattant, réclamer son décompte de la Sécu par téléphone est plus simple.

Il y a une humanité incroyable qui se dégage de tous ces personnages, ce commissaire qui ne prend rien pour argent comptant (le générique nous apprend qu’il est  devenu entre temps directeur de la Criminelle) soucieux d’impartialité, ne négligeant rien. Le film documente aussi le travail entre juge et policier, le duo Lemoine / Anne Gruwez, qui noyée sous les indices contradictoires prie Sainte Rita, sainte patronne des causes désespérées !

Le film se suit comme un polar pour la bonne raison que s’en est un, un vrai, avec des vraies gens, une enquête complexe qui multiplie les pistes foireuses comme les rebondissements. Il faut saluer le travail de montage qui permet d’assembler toutes ces scènes filmées en direct (et donc en une prise) et offrir lisibilité, compréhension et fluidité du récit. Comme tout polar qui se respecte, POULET FRITES braque un projeteur sur la misère humaine, les laissés pour compte, clandestins, tiers-monde, les invisibles, à qui Lemoine et ses enquêteurs redonnent un semblant d’humanité.

**Dans le film Marteens cuisine ses frites avec deux côtes de porc, dont une reste dans la poêle. Et il indique avoir fait trop de frites pour une personne, indice important !


Noir et blanc  -  1h40  -  format 1:1.85   

   

2 commentaires:

  1. Ces gens-là et ces fims-là n'existent pas, jamais entendu parler ... où t'es allé chercher ça ?
    Si j'ai bien compris, c'est genre documenteur inspiré par C'est arrivé près de chez vous ? Et Columbo ??

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  2. Tu n'as jamais vu l'émission Striptease ? Ca date des années 80, c'est belge, une équipe télé vient chez des gens et filme. C'est tout bête, c'était parfois drôle, truculent ou tragique. Des tranches de vies. Aucun jugement de porté, juste du brut. Evidement le montage à son importance, tu peux faire dire deux choses avec la même image selon qu'elle est montée différemment. Cela a été diffusé en France, sur feu FR3 me semble-t-il; le soir, tard. Et parmi les gens, il y avait cette juge d'instruction, un personnage haut en couleurs. J'ai rarement vu un truc aussi méchamment drôle que "Ni juge ni soumise". Et oui, je pense que "C'est arrivé près de chez vous" est largement inspiré de cette émission.

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