mercredi 12 octobre 2022

SHOTGUN Ltd. " Shotgun Ltd. " (1971), by Bruno



      Nouvel élément apporté au chapitre des perles oubliées des 70's
Chapitre réservé aux bafouilles sur ces groupes qui ont disparu après avoir réussi à enregistrer et à sortir le fameux premier disque. Le but ultime, l'Eldorado, la Terre Promise, hélas atteint au prix de pénibles et douloureux efforts et qui a souvent servi à donner le coup de grâce à des jeunes dont la tête était pleine de rêves et d'espoir. Qui se sont souvent retrouvés éreintés par des années de galère, de mauvaise nutrition et de nuits écourtées.

     Là, difficile de faire plus obscur (on ne trouve même pas de photo des musiciens). En effet, cet unique album de Shotgun Ltd. se distingue par son absence de la majorité des recueils dédiés au Heavy-rock et affiliés des années 70. Une injustice absolue car ce disque n'en est pas moins l'un des meilleurs sortis en cette prolifique année de 1971. Certes, probablement pas dans le peloton de tête des dix ou vingt premiers, dans une période musicalement bénie des dieux. Le nombre de classiques, d'incontournables, s'entassant dans cette année est faramineux. Tout comme l'année précédente et la suivante, d'ailleurs. Alors, évidemment, on pourra trouver à redire sur cette galette, la part de subjectivité étant importante. Cependant, pour peu que l'on adhère aux disques de Gravy Train, des premiers Uriah Heep et Wishbone Ash, voire à un Southern-rock encore fraîchement éclos emprunt d'éléments jazz et quelques onces de psychédélisme, ce surprenant album se révèle comme l'une des plus belles pépites perdues de ce début de décennie.


     Bien que débutant en 1967, les membres du groupes sont encore très jeunes lorsqu'ils enregistrent ce disque. Le plus âgé, Ruben Dominguez, bassiste, percussionniste et choriste, affiche 21 ans, tandis que le cadet, Buzzie Buchanan, batteur, n'en a que 17.

    Ce jeune et ardent quintet, originaire de Mar Vista (qui sera bientôt avalé et annexé par la tentaculaire Los Angeles), en bons californiens, se font les dents sur la Surf-music. Progressivement, en s'affutant, ils durcissent leur son, mais plutôt que se diriger vers un Rock psychédélique ou un Country-rock pimenté plus en phase avec la scène californienne, ou même un violent proto-Hard (pré-Stoner) à la Blue Cheer, ils créent quelque chose de plus personnel. Quelque chose mêlant adroitement le Rock-progressif à un heavy-rock relativement enlevé ; dans l'ensemble assez proche de Uriah Heep, avec quelques incartades chez le Yes ère 69-71. 

     Ils sont découverts par Delaney Bramlett, de Delaney & Bonnie, qui les présentent à sa nouvelle maison de disques, Atco (filiale d'Atlantic Records). Malheureusement, le label ayant d'autres chats à fouetter, on les confie aux bons soins d'une petite filiale récemment créée, Prophesy Records, qui n'a évidemment pas les mêmes moyens de promotion. Son existence même est des plus réduites, ne s'étalant que sur quatre années - de 1970 à 1973. 

     Une partie de la troupe de Delaney & Bonnie est mise à contribution pour soutenir et encadrer ces jeunes gens qui n'ont guère d'expérience de studio. Ainsi, Jim Gordon, le claviériste, est à la production. Tandis que Ben Benay, guitariste, choriste et percussionniste, et Jerry Jumonville, saxophoniste Alto (parallèlement musicien de studio), apportent leur contribution.

     Le résultat est une réussite quasi parfaite, aux allures de confirmation d'une formation plutôt aguerrie, où le jeune âge des musiciens ne transparaît pas. Même les voix et la mise en place du chant font preuve d'une certaine maturité. Serait-ce dû à l'étude approfondie des groupes susnommés ? Rien n'est moins sûr car le premier disque de Uriah Heep est sorti avec un décalage aux USA, en 1970, et les deux suivants, en 1971, sont vraiment un peu trop proches de l'enregistrement pour avoir servi de modèle. 

     Malgré leur indéniable potentiel, la mémoire de ces musiciens se perd dans l'imposante et dense jungle de la musique populaire de l'Amérique du Nord. Chose inexplicable à l'écoute de ce disque qui ne manque pourtant pas de qualités. 


     A commencer par le morceau ouvrant l'album, "Bad Road". La pièce critique, à une époque où c'était irrémédiablement la première soumise à l'auditeur curieux - et qui pouvait donc parfois inciter à prolonger l'écoute, ou à arrêter les frais et passer à autre chose. Un morceau plutôt riche, introduit par une rafale de cuivres avant que ne s'écrase une rythmique lourde et un chant hargneux, tempérée par un piano d'autiste (rabâchant pratiquement le même accord, avec juste une courte variation) et un étonnant refrain en mode garçons de chœur. La suite avec "Against the Wall" n'en est que meilleure en voguant sans vergogne dans les plus belles eaux d'Uriah Heep. Là encore, l'intro trompe son monde en démarrant telle une gentille ballade pop un brin désuète et mélancolique, avant de s'épanouir dans un Heavy-rock progressif plein de sève, chiadé et habité. Les guitares respirent, alternant entre riff gras, arpèges mats et chorus bluesy, la basse ronronne comme une panthère, et le chanteur est un prédicateur.

"Number Two" est carrément du pur Uriah Heep, et du meilleur, avec wah-wah ensorcelante, orgue incandescent, et un chant blue-eyed Soul - avec un léger écho de chapelle - soutenu par de solides chœurs ; ça évolue comme sur des montagnes russes (mais sans "grand 8", inutile), alternant entre mouvements intenses et d'autres relativement éthérés (avec un très bon travail aux cymbales), avec même quelques passages jazzy qui ouvrent le chant aux claviers. Plus de six minutes de bonheur. Et "Remedy for a Hazy Day" ? La voix naturellement puissante s'inscrit toujours entre celle d'un prédicateur habité et celle d'un Soulman. L'orgue écrase ses touches comme un Ken Hensley mesuré et la guitare crache ses riff gras - sans jamais frôler l'indigeste. 

"I Don't Mind" traîne quelques légers résidus de (sombre) pop-psychédélisme typés sixties. Mais le climat change au détour d'un break chatoyant et bucolique, construit sur une sèche et (probablement) une Strato en son clair, que viennent soutenir un instant un orchestre de chambre puis une chorale (quasiment tous les musiciens chantent). Crénom, c'est beau. On en regrette presque le retour de l'électricité souligné par le long solo de guitare - honnête, bon ,mais qui ne casse pas trois pattes à un canard.  


   Par contre, la seconde face est moins flamboyante, portant encore 
en elle les scories de la décennie précédente, avec quelques légers remugles de psychédélisme et d'inoffensive Pop. Notamment "River of Hope", objet d'un unique single, qui tourne le dos à son ascendant heavy pour embrasser une douce pop  avec petits violons ambiants, guitares muselées et orgue de Charly Oleg ; néanmoins le rythme du chant évoque les premiers Yes. Plutôt plaisant et reposant - cela aurait 
probablement pu se faire remarquer si cela était sorti trois/quatre ans plus tôt au Royaume-Uni. L'ambiance de "On Top Of You" peut aussi paraître plus datée avec sa rythmique funky aigrelette, cependant, le break est plutôt goûteux avec un solo épaissi de fuzz et de double-bends coulants - ici, on se délecte avant tout de la tonalité, du grain, et non du  nombre de notes. Si tout est bien en place, dans une cohésion irréprochable, on ressent néanmoins la jeunesse des musiciens.

"Trials" revient à la charge avec une bonne section rythmique, souveraine et mise alors judicieusement en avant, constituée ici d'une batterie un rien jazzy et d'une basse volubile évoquant feu-Gary Thain (Keef Hartley, Uriah Heep). "Feelin' Bad" paraît aussi marcher dans les traces du Yes des débuts, tant les soli de guitares - toujours enrobés de fuzz crémeuse - sont à ce moment là franchement bluesy. Cette seconde face se conclut sur un "Mixed Nuts" mordant, brouet de percussions de rock latin à la Santana, d'orgue Hammond à la Hensley, 

     On ne sait pour quelles raisons précises le groupe split l'année suivante, en 1972, mais il est probable que le découragement ait gagné ces jeunes musiciens qui œuvraient tout de même depuis 1967. La douche dut être froide entre l'excitation générée par le soutien de Delaney Bramlett et quelques musiciens émérites, la signature d'un contrat et la réalisation d'un disque dans lequel ils avaient placé tous leurs espoirs, et l'échec commercial qui s'ensuivit. Peut-être que s'ils avaient persévéré...  Toutefois, cet album a réussi à traverser les âges, gagnant le lot de consolation d'album culte (pour les amateurs de Rock 70's).

   Dans le lot, seul le batteur Buzzie Buchanan refait parler de lui en tant que musicien de studio, notamment pour le Commander Cody (and His Lost Planet).


Stogun Ltd., c'est aussi la première pochette présentant un double canon juxtaposé, six ans avant celle , ô combien célèbre - du moins pour tout féru de Southern-rock ou de Heavy 70's - de Point Blank.


🎶🎯🔫

6 commentaires:

  1. hello Bruno
    J'aime beaucoup les deux extraits proposés, pas trop "hard" ce rock, je vais voir si l'album est dispo su Deezer...
    Concernant la pochette, en 1973 DG sortait une interprétation devenue culte du Freischütz, un opéra fantastique de Weber dont l'intrigue se déroule dans le monde des chasseurs. Et pour une fois en classique le visuel du coffret de 3LP était sympa et... va te rappeler celle d'aujourd'hui :0)
    https://m.media-amazon.com/images/I/41CTn0CALfL._SX355_.jpg

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Effectivement, maintenant je me souviens de cette pochette. Avec en sus les impacts de balles dans le titre en caractères gothiques.
      Une bien plus belle réussite que celle-ci ou celle des sudistes de Point-blank. ⏩ http://ledeblocnot.blogspot.com/2021/05/carl-maria-von-weber-der-freischutz.html
      Bien certainement qu'un cadre de Deutsch Grammophon écoutait ce Shotgun, et avait repiqué l'idée de la pochette 😁

      Supprimer
    2. C'est fort possible et ça nous changeais d'une éventuelle photo de la bobine à l'air grognon de Kleiber :o))))

      Supprimer
  2. C'est affreux la mémoire des vieux ! Je me suis dit que le Freischütz serait un beau sujet de chronique... Sauf que je l'avais déjà écrite en 2021. Comme je l'écris dans mes billets, voir l'index !

    RépondreSupprimer
  3. Album introuvable sur Spotify... Dans le même genre de pochette, celle de Willie Nelson "shotgun willie" (1973) !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu l'as en intégralité sur ToiTube.
      Voilà bien des années que j'ai pu dénicher cet unique disque, et je ne m'en lasse pas.
      Il retrouve régulièrement sa place dans le petit lot (petit mais costaud) des galettes qui reviennent régulièrement à l'écoute. 😁

      Supprimer