vendredi 14 octobre 2022

NOVEMBRE de Cédric Jimenez (2022) par Luc B.

On redoutait un peu le traitement des attentats de novembre 2015 par Cédric Jimenez, cinéaste doué mais plutôt manichéen. Voir son précédent BAC NORD chroniqué en son temps clic pour BAC NORD . Le réalisateur (et le scénariste Olivier Dumangel) a eu l’intelligence de circonscrire son propos. NOVEMBRE n'est qu'un (bon) film policier qui retrace minutieusement et cliniquement une enquête.

Le sujet n’est pas les attentats, leurs origines, leur gestion, il n’y a ni réflexion ni remise en cause des autorités, politiques ou policières. Il y aurait pourtant des choses à dire à ce sujet, mais Jimenez s’abstient de commentaire. Il filme les faits, et le seul point de vue des enquêteurs. Après un prologue en Grèce, qui tient du thriller d’espionnage à la Jason Bourne, très efficacement réalisé, on entre au cœur du sujet.

Personnellement, j’aurais zappé ce prologue pour commencer le film sur ce plan fabuleux : Marco est de service dans les locaux de la Brigade anti-terroriste. Un téléphone retentit, puis un second, Marco n’a pas le temps de décrocher qu’un troisième sonne, puis dix, puis vingt… On annonce des explosions et fusillades à Paris, une prise d’otage au Bataclan. Panique au sommet, tous les hommes disponibles sont rappelés au bercail.

Le film commence donc après les attentats, dont on ne verra rien. Comme on ne verra aucun mort à l’écran (sauf un cadavre de chien, à la fin), ni aucune victime. Ou alors à l’hôpital, pour répondre aux questions des policiers qui cherchent un maximum de témoignages. Les victimes sont donc purement fonctionnelles, elles servent l’enquête, ne sont pas là pour le pathos, le tire-larmes. Les personnages de policiers sont eux-mêmes réduits à leurs fonctions, et un simple prénom. D’ailleurs, on s’y paume un peu dans l’organigramme, Sandrine Kiberlain, elle est la cheffe de qui, de quoi ? Aucune psychologie ni de digressions privées, familiales, comme c’était le cas dans LA FRENCH ou BAC NORD.

Le film est intelligent pensé car il pose les limites de ce que l’on peut montrer à l’écran, reconstituer, fictionner. Il ne traite que des cinq jours et nuits d’enquête jusqu’à l’assaut de la planque d’Abdelhamid Abaaoud, à Saint Denis, moment de cinéma très spectaculaire. Ce qui est fort, c’est de maintenir la tension et le suspens alors que l’affaire est connue de tous.

A propos d’Abdelhamid Abaaoud, la tête pensante des attentats : il n’a pas de double de fiction. Il n’est pas interprété par un comédien. Il est pourtant celui qui est recherché par toutes les polices, au centre de l’enquête, donc du film. On ne voit que sa photo punaisée sur un mur, la vraie, celle que les médias ont diffusé. Même traitement pour Salah Abdeslam.

Alors que le personnage de Sonia, rebaptisée Samia dans le film, est interprétée par l’actrice Lyna Khoudri. Qui est d’ailleurs fabuleuse, les scènes avec elle et Inès (Anaïs Demoustier) sont certainement les plus fortes du film. Samia est celle qui appelle la police pour leur dire : « je sais qui a commis les attentats et où il se cache ». Très beau plan, elle est filmée de loin au balcon de sa barre HLM, désespérément seule avec son secret. Un indice fait penser que Samia dit vrai. Elle parle d’un homme en basket orange, un détail connu des seuls enquêteurs (corroboré par une capture vidéo du métro).

Elle est embarquée avec mille précautions dans les locaux de la brigade pour être interrogée. Marco lui met la pression : « Comment se retrouve-t-on à loger chez soi la cousine du terroriste responsable de 130 morts ? ». Elle est suspectée de vouloir égarer les enquêteurs, gagner du temps, être complice. Toute cette séquence est brillamment mise en scène par Jimenez, comme la suite, la pose des micros dans l’appartement, la filature de la cousine, l’exploitation de l’information et la descente de police sous l’autoroute A86 où Abaaoud était planqué. 

La polémique vient justement de Sonia/Samia, qui à l’écran porte un foulard, alors que la vraie n’en portait pas. Pourquoi Jimenez a-t-il affublé ce personnage d’un hidjab ? Tout simplement (explique-t-il) parce qu’il ne l'avait jamais vu, et pour cause. Le film nous apprend qu’un statut de témoin protégé a été créé pour l’occasion, à l’instar des repentis de la mafia. Sonia vit sous une nouvelle identité, sous protection policière. Sauf qu’elle n’est pas une repentie du djihad, mais un simple témoin qui aux yeux de Daesh a trahi la cause.   

Le film a été vu et validé par Sonia, qui a toutefois obtenu cet insert au générique (les scènes ne pouvant être re-tournées) : "le port du voile islamique par le personnage de Samia Khelouf répond à un choix de fiction qui ne reflète pas ses convictions personnelles”.

D’autres scènes de filature et surveillance sont réussies, le flic qui promène son chien, Inès à scooter qui filoche en dehors d’un cadre légal un suspect qui s’avérera être un indic infiltré par les Stups. La scène met en lumières les dysfonctionnements entre services. Le film donne une idée de l’ampleur de l’enquête, exploitation des indices, témoignages, écoutes téléphoniques, surveillance des réseaux sociaux, collaboration entre états (Belgique, Maroc), alors qu'on subodore une nouvelle salve d’attentats.

Le fait de ne s’attacher qu’à l’enquête policière fait la qualité du film, mais aussi sa limite. Jimenez n’est pas Yves Boisset ou Costa Gavras qui partaient d’évènements réels pour les interroger, de manière corrosive, en changer la perspective. Comme les réalisateurs américains ont pu, très tôt, s’emparer du Watergate, du Vietnam, de l’assassinat des Kennedy, en mode thriller, pour mettre à jour les failles étatiques et donner une représentation de leur pays. Dans le film, le personnage de Dujardin dit à ses hommes « Je vous demande de mettre vos sentiments de côté ». On a l'impression que le producteur a dit à Jimenez je vous demande de mettre votre réflexion de côté.

Cédric Jimenez, offre une reconstitution très documentée et cinématographique, sans chercher à réaliser des morceaux de bravoure qui pourraient être indécents. Sa mise en scène est nerveuse, sans temps morts, toujours sous pression, le mec sait tenir une caméra. Le film pêche à mon sens par la direction d’acteurs, monolithique, sans aspérités. Jean Dujardin (qu’on a connu meilleur, était-il le bon choix ?) Jérémie Renier, Sandrine Kiberlain, Cédric Kahn, Anaïs Demoustier, incarnent des fonctions/objets plus que des personnages de chair, il y a un cruel manque de vie dans le film, seule Lyna Khoudri a droit à une partition plus sensible.

Couleur – 1h40 – format scope

2 commentaires:

  1. Ils ont pris Dujardin ? Lellouche était pas libre ?
    J'appellerai ça une tendance lourde ... BAC Nord, Novembre, Athena ... les polars réalistes (en plus celui-ci basé sur des faits bien tragiquement réels) ...
    Pas vu celui-ci, mais vu les deux autres et conclusion : n'est pas Michael Mann qui veut ... raconter des histoires et faire s'agiter des acteurs devant une caméra, ça suffit pas à faire un bon film, surtout quand tu veux faire passer un "message" (Athena volant vraiment très bas de ce côté) ...

    RépondreSupprimer
  2. Une nouvelle école, un nouveau style, plutôt efficace. Un type comme Olivier Marchal - celui qui fait le même film depuis 20 ans, c'est tout juste s'il change les acteurs - avait bien ouvert la voie, mix de L627 de Tavernier filmé comme Les Affranchis ! J'ai tendance à préférer l'école Grangier, Corneau ou Melville. Je n'ai pas (encore) vu Athena, c'est prévu. Sur la même plateforme que nous ne nommerons pas, j'ai regardé "Blonde" sur Marilyn Monroe. Pauvre fille, ils l'ont tuée une deuxième fois. J'en parlerai bientôt...

    RépondreSupprimer