vendredi 23 septembre 2022

PIERRE LEMAITRE "Le Serpent majuscule" (2021) par Luc B.


A la question qu’on lui pose souvent, et que je lui aurais posée si je l’avais devant moi « Reviendrez-vous aux polars un jour ? » Pierre Lemaitre répond dans sa préface : « c’est peu probable, autrement dit, c’est certain… ». Avec AU REVOIR LA-HAUT (Goncourt 2013) il est passé à autre chose. Comme on insiste, il veut bien lâcher du lest, et a ressorti de ses tiroirs un manuscrit jamais édité pour la bonne raison qu’il n’avait jamais été envoyé à un éditeur !

SERPENT MAJUSCULE est donc son premier jet de romancier, qu'il aurait pu remanier pour l'occasion, mais a choisi à trois détails près de laisser dans son jus d’origine.

On retrouve le style gouailleur de Lemaitre, son regard caustique sur les faits autant que sur ses personnages. Qu’il se plaît à martyriser, voire, à faire disparaître (violemment) inopinément. Et dans ce bouquin, ça dézingue sec ! On s’y amuse aussi beaucoup, un Lautner aurait apprécié, un Woody Allen pourquoi pas, ou un Tarantino. L’action se passe en 1985, à l’époque où il n’y avait ni portables ni recherches ADN, ce qui tombe bien, sinon l’intrigue aurait été ruinée au premier chapitre.

Qui voit apparaître la vieille Mathilde en rogne au volant de sa Renault 25, coincée dans les embrouillages, qui va rater un rendez-vous important. Son fidèle Ludo, un dalmatien, s'impatiente à l’arrière. Mathilde est présentée ainsi : « Avec Mathilde, jamais une balle plus haute que l’autre, du travail propre et sans bavures ». Mathilde est une tueuse à gages. Elle a fait ses classes pendant la guerre, dans la Résistance, ou sa capacité à trucider sans scrupules a fait sa réputation. 30 ans plus tard, le commandant Henri, chef de son réseau, continue à faire appel à ses services.


Elle aime beaucoup Henri, le vénère presque, au fil des pages on comprendra qu’elle en est amoureuse depuis toujours. Tout est parfaitement réglé dans sa vie, son petit pavillon près de Melun, son jardin, son chien, et son voisin Lepoitevin, un con, qui l’emmerde avec ses visites inopinées. Mais depuis un moment y’a des p’tits trucs qui clochent. Mathilde relâche sa discipline, comme oublier de se débarrasser des armes utilisées. Elle en possède plein ses tiroirs, parfois se ressert des mêmes, ce qui n’est pas professionnel.

Au début du livre, on suit Mathilde à son travail : un grand industriel et son teckel explosé au calibre .45 parce que « la pauvre bête, qui l’aurait nourri ? », une ex-junkie venant à peine de récupérer son fils auprès des services sociaux, une étudiante le jour mais pute de luxe la nuit. Jamais l’auteur ne nous explique pourquoi on a désigné ces cibles à Mathilde. Elle-même ne le sait pas. Autre signe de relâchement professionnel, son modus operandi ne change pas. Du très gros calibre dans l'entre-jambe. Ca met la puce à l’oreille à l’inspecteur Vassiliev (« un nom qui sonne russe, parce qu’il est russe ») que son chef Occhipinti charge de l’enquête. Avec ce commissaire, on retrouve un peu le profil du futur Verhoeven, le héros de la trilogie TRAVAIL SOIGNE, ALEX, SACRIFICES, un type tout petit, irascible, qui s’envoie des poignées de cacahuètes et pistaches à longueur de pages.

Lemaitre nous raconte le parcours de Vassiliev, rapidement, car il a cette capacité à dessiner un personnage avec peu de mots. Vassiliev rend visite régulièrement à monsieur de la Hosseray, riche vieillard azheimer dont s’occupe quotidiennement Tevy, une infirmière cambodgienne. Vassiliev est un bon flic, besogneux, il suit les indices, qui le conduisent à Mathilde. Géniale séquence du centre commercial.

Voilà, tous les personnages sont entrés en scène, la randonnée mortelle peut commencer. Sans rien dévoiler des rebondissements de l’intrigue, car chez Pierre Lemaitre les hasards n’en sont jamais réellement, Mathilde doit gérer trois problématiques : ses contrats de tueuse à gages, l'enquête de police, et les soupçons de son cher Henri qui s’inquiète depuis peu de ses capacités à mener ses missions. Et dans ce métier, au moindre manquement à l’éthique, on vous envoie un collègue charger de tout nettoyer.

C’est triste à dire, mais on s’amuse réellement à voir tous ces gens mourir, et salement. Tout cela est écrit avec détachement, un recul ironique. Mathilde est un personnage attachant, au fil des scènes on décèle chez elle une fêlure, une fatigue, une lassitude, et des rêves de nouvelle vie, une retraite bien méritée. J’aurais bien vu une Jeanne Moreau dans le rôle, ou plus proche de nous, une Josiane Balasko.

Il y a des séquences fameuses, les planques chez Vassiliev, le pompiste qui a oublié de rendre la monnaie (ou est-ce Mathilde qui déraille ?), la visite impromptue d’Occhipinti et d’un jeune policier alors qu’un cadavre à peine roulé dans un tapis trône en haut de l’escalier, les disputes avec le voisin et la promesse de s’occuper de son cas, les retrouvailles émouvantes avec le commandant Henri.

On ne retrouve pas (encore) la totale maîtrise de Lemaitre sur son récit, cette capacité qu’il avait de se jouer du lecteur (ROBE DE MARIE, CADRES NOIRS) mais tous les éléments sont là, en gestation, les dialogues, les répliques, les portraits, les situations aussi noires que drolatiques. SERPENT MAJUSCULE se lit vite, parce c’est court, fluide, et qu'on y prend énormément de plaisir. Au cinéma, on appellerait ça une très bonne série B.

En illustration, les quelques instruments de travail préférés de Mathilde, Desert Eagle, Luger 9mm, Walter PPK. 

Beaucoup de bouquins de Pierre Lemaitre ont été chroniqués ici, voir l'index...


Livre de poche, 284 pages (+ préface)    


 
 

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