vendredi 30 septembre 2022

MOONAGE DAYDREAM de Brett Morgen (2022) par Luc B. comme Bowie

Le réalisateur Brett Morgen nous avait prévenu. Si on voulait un déroulé de la carrière de David Bowie, il valait mieux consulter Wikipédia que voir son film. Un instant de lucidité qui l’honore ! Car il ne s’agit pas d’un documentaire classique, didactique, comme ERIC CLAPTON : LIFE IN 12 BARS, AMY, GEORGE HARRISON : LIVING IN THE MATERIAL WORLD, MARLEY, JANIS, pour citer les plus réussis récemment, mais d’une immersion audio et visuelle dans l’œuvre de David Bowie. Brett Morgen agit moins comme documentariste que cinéaste. Il a eu accès à la totalité des archives, et le résultat est à la fois passionnant et déroutant.

Le terme immersion est d’autant plus juste que le film a été conçu pour les salles IMAX, le plus haut degré de définition pour de la pellicule cinéma, projetée sur un écran incurvé et le son qui se déploie à 360°. Ce qui explique ce format d’image 1:1.66, biseauté, plus trapèze que rectangulaire, quand il est projeté à plat (y’a pas des salles IMAX à chaque coin de rue).

MOONAGE DAYDREAM se présente sous la forme d’un montage d’images qui se percutent jusqu’à saturation, images de concerts, d’émissions de télé, reportages, archives privées, fictions de cinéma, associées à des extraits de films judicieusement choisis, avec une préférence pour les films muets expressionnistes comme le METROPOLIS de Fritz Lang souvent cité, des slapstick de Buster Keaton, Chaplin, ou du Kubrick (2OO1 of course, Space Oddity…) le tout passé à la moulinette de filtres stroboscopiques, psychédéliques. On n’est pas loin de l’esprit HISTOIRE(S) DU CINEMA (1988) de Jean Luc Godard. La question étant de savoir combien de buvards de LSD Brett Morgen a ingéré pour réaliser son montage.

Cet exercice virtuose et épileptique tient autant du montage dadaïste à la Man Ray, que d’une virée dans Space Mountain sous ecstasy. Les références à la SF sont nombreuses. Le premier avatar de Bowie (Ziggy) se définissait comme une créature venant de l’espace : « I'm an alligator, I'm a mama-papa comin' for you, I'm the space invader » (« Moonage Daydream » sur l’album « Ziggy Stardust »). Le thème est récurrent chez David Bowie, qualifié d’extraterrestre en début de carrière. L’entame vous en met direct plein la gueule, quand retentit le tonitruant « Hallo Spaceboy ».

Le scénario suit grossièrement une trame chronologique. Passé le prologue, Brett Morgen montre un long extrait de la tournée Ziggy Stardust et de ses coulisses, avec deux titres enchaînés « Wild Eyed Boy From Freecloud » et « All The Young Dudes ». De cette tournée il y aura plus tard ce passage étonnant lorsque les musiciens entament la rythmique de « The Jean Genie » alors que Bowie à l’harmonica joue le « Love Me Do » des Beatles. On passe par la période Halloween Jack, puis celle à Los Angeles avec cette archive d’un Bowie sous cocaïne totalement parano qui parle d’une mouche dans son lait et pense être suivi par des espions, le personnage du Thin White Duke (le gars pesait royalement 42 kilos à l’époque) et la période berlinoise.

Bowie y explique son désir de se renouveler, de créer de la musique autrement, « en permutant la fonction des instruments dans l’orchestre, faire d’une ligne mélodique une ligne rythmique et inversement », sur les trois albums produits avec Brian Eno. On arrive début 80 avec « Scary Monster » puis « Let’s dance », la décennie suivante avec « 1. Outside » et « Earthling » puis… plus rien jusqu’au dernier opus « Black star ».

MOONAGE DAYDREAM offre un panorama quasi exhaustif des créations de Bowie. La musique bien sûr, mais aussi l’écriture (écriture automatique en découpant aléatoirement des morceaux de textes), la mode et ces tenues extravagantes, le maquillage, les expérimentations vidéo, la peinture, le dessin, le théâtre (ELEPHANT MAN), le mime, le cinéma (des extraits de L’HOMME QUI VENAIT D’AILLEURS, FURYO, LES PRÉDATEURS, LABYRINTHE). Tout cela est richement documenté, certains passages étaient connus de ceux qui avaient vu l’exposition DAVID BOWIE IS en 2015 à la Philharmonie de Paris.  

Les captures de concert sont mémorables, c’est le grand atout du film, pour ceux qui en doutaient encore Bowie n’était pas qu’une attraction peinturlurée, mais un sacré compositeur et grand vocaliste. Il y a des moments superbes d’étrangeté, Bowie déambulant incognito dans un centre commercial au Japon, escalators et jeux de miroirs, ce montage sur la chanson « Let’s dance » en concert où Brett Morgen monte en rythme des images d’autres chansons, cette parodie de défilé de mode où Bowie apparaît travesti dans différents personnages féminins, garce lascive ou vieille rombière.

Le transformisme et l'ambivalence sexuelle* sont abordés via des extraits de show télé américains. Étonnant de lire l’incompréhension total des présentateurs face au nouveau phénomène : « ce sont des chaussures d’homme, de femme ou de bi-sexuel ? / Bah, ce sont des chaussures, abruti ! ». Très peu de choses sur l’aspect privé du bonhomme (qui était un modèle de discrétion), on évoque juste son frère schizophrène et son mariage avec Iman.   

Panorama exhaustif, disais-je, pourtant les choix de Brett Morgen peuvent dérouter. Si l’histoire commence en 1972, c’est occulter toute la première partie de carrière (premier enregistrement en 1964), le rhythm’n’blues des Davie Jones with the King Bees, la pop-folk des Mannish Boys. Même le titre « Space Oddity » n’est entendu que plus tard dans le métrage. Quid du jazz ? Le premier instrument de Bowie était le saxophone (son frère lui fait découvrir John Coltrane) on ne le voit jamais en jouer. Il a travaillé avec son homonyme Lester Bowie, et s’est épaulé pour son dernier disque sur un quintet de jazz.

Rien sur Tin Machine ou sur la période entre « Earthling » (1997) et le dernier « Black Star » (2016) soit presque 20 ans. Aucune indication à l’écran qui pourrait aider le spectateur à situer les extraits. Si on ne sait pas que Catherine Deneuve a jouée avec lui devant la caméra de Tony Scott, on ne reconnaîtra pas l’extrait de LES PRÉDATEURS (1983). S’il est fait souvent mention de Brian Eno ou Tony Visconti, le réalisateur n’évoque pas le rôle de trois musiciens indissociables de Bowie : Carlos Alomar, Mike Garson ou Mike Ronson, même si on les voit à l’écran. Lou Reed passe fugacement en photo, mais rien sur la relation avec Iggy Pop, dont Bowie a été producteur dès le « Raw Power » des Stooges, et son claviériste le temps d’une tournée.

Quid de Marc Bolan, Mick Jagger, Freddy Mercury, Nile Rodgers ? On se contentera de Tina Turner pour le clip Pepsi Cola en pleine période MTV. Ces absences sont d’autant plus frustrantes que le film dure 2h20. Brett Morgen finit par abuser du montage frénétique, certaines séquences, certains effets ou citations sont mêmes redondants, ressassés. Orchestrer le carambolage de cette somme d’archives fabuleuses en mode cadavre-exquis correspondait parfaitement à l’esprit et au travail de Bowie. Mais on finit presque par tourner en rond, ce qui la fout mal quand on sait que David Bowie n’a eu de cesse d’explorer des univers différents. On pourra reprocher au film d’être trop bavard, les images parlent d’elles même, inutile d’en rajouter, les interviews-off sous-titrées déconcentrent, d’autant que les propos souvent tenus sous substances donnent une impression de condescendance ou de prétention. 

A qui s’adresse ce film ? Aux connaisseurs certainement, qui s’y retrouveront davantage dans ce foutoir et remettront à leur place les pièces du puzzle. Car si chronologie il y a, Morgen percute des époques avec délectation. On peut aussi aller voir ce film comme on monte dans un grand huit, un son et lumière rock’n’roll sous speed.

*L'ambivalence sexuelle remonte aux origines du rock, depuis Elvis, son rimmel et ses costards rose bombon, Little Richard, Lou Reed, Iggy Pop, Elton John, Freddy Mercury, NY Dolls, David Lee Roth, Kurt Cobain, jusqu'au jeune Harry Styles. Aux dernières nouvelles, David Coverdale réserve sa réponse.

 

couleur  -  2h20  -  format 1:1.66 et Imax. 

    

3 commentaires:

  1. Après le film interdit (de prononcer son nom, d'y inclure sa musique) "velvet goldmine", le film autorisé ...
    Le problème de Bowie, c'est qu'il a pris tellement de virages à 180°, qu'il est difficile à suivre ... et quand en plus il se mettait à parler démarche, art, et concepts abstraits ... Y' a un tas d'interviews des années 2000 (zappées dans ce film, à juste titre, pas grand-chose de bon dans cette période) où tu comprends pas un mot de ce qu'il raconte (enfin, moi j'y entravais que dalle, y'a peut-être des esprits supérieurs qui suivaient) alors qu'il ne carburait plus qu'au vichy-fraise ...
    Je reste assez perplexe devant ces montages genre Jean Michel Averty épileptique ... Y'a des fois, rien ne vaut la simplicité chronologique, surtout que du moment que Iman est dans le coup, le gars avait accès à toutes les archives de Bowie ... de quoi faire un docu très intéressant et pas tomber dans le machin "artsitique" à tout prix ...
    La salle IMAX la plus proche, je dois l'avoir à plus d'une heure de route ...

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  2. Ouais pas grand chose à ajouter à l'avis de Lester Gangbangs, les photos de presse annonçant le film m'ont à elles seules fait passer l'envie de le voir. Vu et revu ce genre d'effets à outrance et tu m'apprends qu'en plus il utilise des extraits de films, là c'est la tasse, j'en peux plus de ce procédé déjà archi rabâché par julian temple dans la plupart des documentaires qu'il a réalisé.

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  3. Les albums début 2000 "Heathen" surtout, et "Reality" étaient très bons. Le grand retour avec "The next day" m'avait laissé perplexe. Ce genre de montage fonctionne pas mal avec l'univers Bowie, pour Dylan ou McCartney, effectivement, mieux vaut donner dans la chronologie didactique. Le gars était tout de même haut perché, et les déclarations prises au premier degré peuvent faire au mieux sourire. Nous en tartiner pendant deux heures n'était pas la meilleure idée qui soit.

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