lundi 26 septembre 2022

André DUNOYER DE SEGONZAC – AQUARELLES - Roger PASSERON (1976) – par Claude Toon


- Tiens, un premier livre consacré à la peinture et même à l'aquarelle : une nouveauté dans le Blog, Claude ?

- Une idée qui m'a traversé la tête – sans faire de dégâts – mais vois-tu Sonia, je ne parlerai pas du hitparade : Monet, Renoir, Van-Gogh ou même Botticelli pour remonter les siècles… Non, juste un regard – c'est le cas de le dire – à des maîtres moins connus…

- Il est vrai que ce monsieur a un nom désespérant à retenir. J'adore le tableau de couverture : une nature morte très réaliste et colorée, pas de fouillis tendance géométrie brouillonne, bizarre, presque inquiétante à mes yeux !! Quelle époque ?

- Et bien 1884 – 1974. Pas un passéiste plutôt un néoréaliste. Hélas peu connu malgré une œuvre d'une richesse inouïe… J'ai une anecdote rigolote à ce sujet…

- Hi hi, j'achète un ticket pour l'exposition… Il y a des réductions pour les gentilles secrétaires ?

- Hélas non Sonia, tu n'es ni étudiante, ni retraitée, ni militaire en tenue…


Ambiance musicale : pendant la lecture. Lors des chroniques habituelles, la musique suggère le choix des peintures. Voici l'inverse : les nocturnes de Fauré interprétées par Jean Hubeau au piano
André Dunoyer de Segonzac au travail (attention au mégot)

Les lecteurs les plus fidèles de mes chroniques "classique" – je les en remercie – sont habitués à voir associer aux commentaires musicologiques une iconographie jetant un pont entre musique et peinture. Difficile de dissocier Mahler de Klimt ou encore Sibelius de Akseli Gallen-Kallela.

Les petits curieux qui chercheront sur Wikipédia des infos sur cet artiste seront surpris de l'importance de l'article ! Waouh. Dès l'adolescence, en parallèle de la musique classique, je me suis passionné pour la peinture, notamment impressionniste ; merci à notre professeur de dessin d'art en classe de 2nde qui nous présenta tous les chefs-d'œuvre de cette époque avec des diapos. Cela dit j'ai découvert plus tard le travail d'aquarelliste de Dunoyer de Segonzac grâce à un documentaire à l'époque où les cinémas en passaient encore avant le film. De nos jours : une giclée de pub, un blockbuster, du son à flinguer les tympans et 14 € à Paris… Sniff…

 

L'art du peintre étant de style néoréaliste, on pourrait parler d'impressionnisme tardif en comparant ses œuvres avec celles de Sisley (1839-1899), Pissarro (1830-1903) voire Caillebotte (1848-1894). Segonzac est un quasi contemporain de Picasso ou de Chagall, donc des maîtres marquants d'une peinture beaucoup plus contemporaine, moins figurative. On a donc dû, à tort, délaisser l'homme considéré comme passéiste. Picasso le railla beaucoup, sans grande méchanceté.


Seul Autoportrait connu

Dunoyer de Segonzac n'a apparemment jamais reçu une quelconque légion d'honneur ou médaille de chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres, alors que, actualité oblige, le Président Vincent Auriol offrit l'une de ses merveilleuses aquarelles à la toute jeune couronnée reine Elizabeth II en 1953. Quant à un musée, il en existe un petit à une heure de Paris, à Boussy-Saint-Antoine, sa ville de naissance ; cela dit : juste des dessins et gravures et c'est gratuit… mauvais signe. Ah la belle culture française mise à l'honneur.

Je digresse et vais bientôt écrire en rouge police 32. Vous voyez chers amis mélomanes, lors des obsèques d'Henri Dutilleux en 2013, un compositeur français majeur à mon sens, aucun représentant du ministère de la Culture du gouvernement Hollande ne fit le déplacement. Aurélie Filipetti, était alors ministre et auteure d'une poignée de romans de gare et à ces titres, Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres… Merci madame… Grrrrrr !

- Tiens, prends tes gouttes Claude, tu sais bien que ça te fait du mal et que ça ne changera rien. Mais, je suis super d'accord !

Revenons à ce livre, un cadeau début des années 80. Anecdote poilante bien en phase avec ce qui précède. Un copain et collègue en cette rentrée 2007 arrive furieux dans le bureau. "Ils ont donné un nom à rallonge d'un noble oublié par la Terreur au Lycée de mon fils : André Dunoyer de Segonzac, rien que ça"… Et pourtant le copain est éminemment cultivé. Je me marre, calme ses humeurs et… le lendemain, en arrivant il découvre le livre du jour sur son bureau 😊. Était pris qui croyait prendre. On se marre et direct au café… Moi, j'étais content qu'il y ait un décideur d'un conseil général inventif, oubliant un temps Jean Jaurès, Langevin, Jules Ferry, etc.


L'ouvrage est imposant : un coffret robuste en carton (30 x 30 cm), belle reliure, papier bristol brillant, reproductions en grand format. Seule la peinture à l'eau est sujet du livre. Une présentation de Roger Passeron introduit un chapitre de la main de Segonzac sur sa technique : dessin avec ou sans lavis (Encre de chine diluée – j'ai pratiqué, c'est galère), aquarelle traditionnelle. 75 reproductions de ses portraits ou paysages et natures mortes en couleur. L'impression est remarquable. Même si le livre n'est plus disponible en neuf, il existe de très nombreux exemplaires d'occasion, s'assurer de l'état correct, ce sont des pièces de collection (60-70 € à l'origine).

Petite biographie : Le peintre naît en 1884 dans une famille d'ancienne noblesse. Il est fils de Louis Dunoyer de Segonzac (1843-1937), officier de marine, et Clémence Amélie Persil (ça arrive). Dans la famille, on rencontre un physicien proche de Langevin et une "juste parmi les nations"…  Il est peu assidu au Lycée Henri IV, occupant ses cours à croquer ses professeurs, une passion qu'il poursuivra toute sa vie en caricaturant les personnages célèbres de son époque. Son père le destinait à intégrer Saint-Cyr… Ce sera les Beaux-arts ! C'est un formidable illustrateur : des dessins pour l'édition des Croix de Bois de Dorgelès. Il est revenu lui aussi vivant de l'horreur des tranchées. Il fréquentera Paul Valéry, Léon-Paul Fargue, Valéry Larbaud, Jean Cocteau, André Derain… Il signera de nombreux portraits emprunts parfois d'humour noir : Francis Carco, André Gide, Jules Romains, Marcel Proust sur son lit de mort, Colette les cheveux en bataille (comme toujours), Thérèse Dorny, Paul Léautaud, Léon-Paul Fargue, Henri Mondor… Tout cela n'est pas le thème du livre. 

En général un aquarelliste produit des œuvres de tailles modeste. On peint du clair au plus foncé, l'erreur n'est pas permise, pas de retouches possibles comme avec l'huile utilisée en touches plus épaisses et couvrantes. Inversement Segonzac utilise des grandes feuilles de papier Arches 56 x 76 cm. Par expérience, il est nécessaire de peindre tout en dessinant. Segonzac commence par un fin tracé à la plume et à l'encre de chine pour délimiter les éléments dans l'espace des compositions.

André Dunoyer de Segonzac peindra hors des courants de son temps orientés vers le modernisme : le cubisme, les fauves. Il abandonnera quasiment la peinture à l'huile pour la peinture à l'eau.

Pour les aquarelles, Segonzac crée le mouvement néoréalisme sans intention ostensible de s'opposer aux autres courants picturaux du XXème siècle. La main est habile, le trait est fin. Segonzac nous éblouit de couleurs chaudes, plus rarement de touches quasi transparentes caractéristiques de la technique aquarelliste. Le blanc du papier disparaît. Les lumières franches de la Provence (Saint-Tropez), comme pour de nombreux peintres impressionnistes, sera un lieu privilégié pour travailler.

Segonzac était aussi un graveur et lithographe de talent, une autre histoire.


Je vous propose une mini expo d'aquarelles, sur le web, le choix est immense. Toutes ne figurent pas forcément dans ce livre de référence. Il existe d'autres ouvrages sur le peintre.

En partant de la couverture en titre, en descendant et de gauche à droite :

1. Nature morte aux flacons

2. Autoportrait

3. Vue de Saint-Tropez

4. Nature morte à l'ananas

5. Vue de Saint-Tropez

6. Nature morte aux tomates

7.  La table rouge

8.  Champs

 

Roger Passeron est ingénieur et biographe d'art, il a 102 ans à ce jour !





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