C’est quand même formidable le cinéma. La semaine dernière, je vous causais d’un film policier de Park Chan-Wook, et cette semaine d’un film policier de Dominik Moll. Une victime, des enquêteurs, quoi de plus balisé comme schéma. Et pourtant, deux films aux antipodes, avec chacun leur point de vue, leur façon d’aborder la chose.
LA NUIT DU 12 commence avec cet étonnant parti-pris : un carton pré-générique nous annonce « il y a 800 crimes par an en France, 20% ne sont jamais résolus. Ce film raconte un de ces cas ». Donc, mesdames et messieurs, vous allez regarder une enquête policière dont vous savez dès le départ qu’il n’y aura pas de coupable désigné. Où est l’intérêt, le suspens ?
Et pourtant, à chaque arrestation de suspects, on se dit que c’est le bon, qu’on a trouvé le coupable, le mec qui a eu la dégueulasserie d’assassiner d’une manière odieuse cette pauvre jeune femme, Clara, dans la fraîcheur de ses 20 ans.
Le
scénario est adapté du livre « 18.3 une année à la PJ » de Pauline
Guéna, qui avait suivi le quotidien d’un service de la Police Judiciaire de
Versailles. Parmi les affaires évoquées, l’une a servi de base au scénario,
dont l’action a été déplacée sur Grenoble. Le film est rythmé par de grands plans d'ensemble de paysages montagneux, aux ciels lourds.
Il est deux heures du matin, Clara sort de chez une copine, pas besoin de la raccompagner, elle va dormir chez ses parents à cinq minutes de là, elle envoie un dernier message vidéo en chemin, sur son téléphone, c’était extra, on s’est bien marré, je t’adore, à demain. Elle resplendit, blonde dans sa doudoune rouge. Une silhouette surgit, un flacon à la main, lui asperge le visage, ça pue l’essence, un briquet, une flamme. Clara sera retrouvée le lendemain, morte, brûlée vive. La PJ de Grenoble se rend sur place.
L’équipe est dirigée par le capitaine Yohan Vivès, qui vient de prendre la tête de la brigade. Il fait tandem avec Marceau, plus âgé, plus désabusé, Marceau aurait voulu être professeur de français, il récite du Verlaine en voiture. La scientifique s’affaire autour du corps, on relève les indices, on met le téléphone de Clara sous scellés. Le téléphone sonne. « Allo ? Clara ? ». « Bonjour, c’est la police, on vient de trouver ce téléphone, qui appeliez-vous ? ». A l’autre bout de la ligne, c’est Nanie, la meilleure copine de Clara, qui aiguille les enquêteurs. On va prévenir les parents. Scène terrible, froide, administrative, comme tout le film qui rejette tout romanesque, s’attache cliniquement à l’enquête, quasi documentaire.
Mais Dominik Moll n'oublie pas qu'il fait du cinéma, il sait ménager ses effets, lorsqu'on se rend compte que Clara a peut être filmé son agresseur, ce rôdeur de nuit, ce briquet envoyé anonymement à la police... autant de faits qui nourrissent ce faux-suspens.
On pense à des films comme SCÈNES DE CRIMES (2000) de Frédéric Schoendoerffer, ou évidemment L.627 (1992) de Bertrand Tavernier, dans leur manière de renouveler le genre, en filmant l’enquête dans ce qu’elle a de plus quotidienne. Il y a cette réplique d’un flic (de mémoire) : « notre métier est une lutte entre le bien et le mal, et une photocopieuse qui n’a plus d’encre ».
Les suspects se bousculent, faut dire que Clara fréquentait beaucoup, elle était de cette génération qui couche avec un bon pote, comme ça, pour le fun, c’est drôle, pas méchant, rien de sentimental. Or, le modus operandi renvoie à une vengeance, un amant éconduit, frustré. Les policiers tirent les fils des intrigues amoureuses de Clara.
Moll donne le temps à ses acteurs, à son film, parce qu'il faut du temps aux personnages pour parler. Voir le long face à face avec Nanie. Il faut du temps pour accoucher des témoins tiraillés entre le désir de justice et la crainte de se confier aux flics. Marceau le dit : « on fouille dans la vie des gens, on écoute leurs conversations et on écrit ça dans des rapports » Le film paradoxalement est doux, timbre de voix des acteurs, mouvements de caméra, texture de l'image. Les profils défilent, avec leurs secrets, leurs non-dits, suspects potentiels, certains ne se rendent même compte de l’horreur de la situation, un des jeunes est même pris d’un fou-rire en apprenant la nouvelle.
On sent le travail besogneux des enquêteurs. Comme il est dit à un moment, chaque flic a un dossier qui le hante, irrésolu. Nanie lâche au capitaine Vivès « Clara a été tuée parce que c’est une fille, c’est tout ». Une réflexion qui fait son chemin, sur la vulnérabilité des femmes. Ce sont les hommes qui tuent, et ce sont des hommes qui enquêtent sur les hommes qui tuent.
Même la nouvelle juge d'instruction (toujours excellente Anouk Grimberg) n'arrivent à rien, on espère mais on tourne en rond. Comme Vivès évacue ses angoisses en faisant des boucles à vélo dans un vélodrome désert, étrangement éclairé. Marceau est plus sanguin, serait prêt à passer la ligne jaune pour confondre un suspect cogneur de femmes.
Dominik Moll s’est fait connaître avec le dérangeant HARRY UN AMI QUI VOUS VEUT DU BIEN (2000), puis LEMMING, j’avais bien aimé le loufoque DES NOUVELLES DE LA PLANÈTE MARS (2016) et récemment l’excellent SEULES LES BÊTES (2019) à la construction ingénieuse et retorse entre la Lozère et Abidjan. Avec LA NUIT DU 12, c’est tout l’inverse, la qualité vient de la simplicité, une intrigue sans digression, linéaire, répétitive mais à mon sens captivante car très frustrante.
Mis à part Bouli Lanners, le casting n’était inconnu, Bastien Bouillon s'impose en flic loin des clichés du genre, de plus en plus fantomatique, comme grignoté de l’intérieur. Une interprétation qui me rappelle parfois celle de Laurent Lucas dans HARRY.
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