vendredi 10 juin 2022

SOLDAT BLEU de Ralph Nelson (1970) par Luc B.

 

C’est un film qui a profondément marqué son époque, on le cite souvent aux côtés de LES CHIENS DE PAILLE de Peckinpah- clic ici -   pour sa violence crue et son sadisme. En cette fin des années 60, le cinéma s'autorise à filmer frontalement plus de choses, sexe, violence, on en avait parlé à propos de BONNIE AND CLYDE - clic ici -   avec l'influence de la guerre du Vietnam à la télé. Le Vietnam étant le sous-texte évident de ce western, qui prenait clairement position pour le peuple indien. Ce n’est pas le premier, LA FLÈCHE BRISÉE de Delmer Daves (1950) ou le magnifique LES CHEYENNES de John Ford (1964) avaient rompu avec cette triste tradition du indien = sauvage.

Film anti-guerre, il y a des similitudes avec JOHNNY S'EN VA EN GUERRE de Dalton Trumbo (1971), dans les effets de mise en scène (les zooms !) mais aussi dans le retentissement du film, ce parfum d'interdit. On peut citer aussi LITTLE BIG MAN d’Arthur Penn, sorti la même année que SOLDAT BLEU, les deux films ayant des similitudes, mais hélas aussi une grande différence : seul le premier est d’Arthur Penn ! Car si SOLDAT BLEU est un film qui a marqué son temps, ce n’est pas le cas de son réalisateur Ralph Nelson, qui n’a pas particulièrement brillé par son talent au cours de sa carrière, partagée entre cinéma et télévision.

Le film est daté. En 1970 le rêve hippie ne s'est pas encore pris le mur dans la gueule. La chanson du générique est interprétée par l’activiste et chanteuse Buffy Sainte-Marie, canadienne de naissance indienne. Ralph Nelson filme en focales longues, comme c’était la mode à l’époque, c’est-à-dire avec des premiers plans souvent flous, la caméra étant placée loin des sujets. Il utilise souvent le zoom, comme ce plan typique flower power où il cadre des... fleurs, et vlan, long et très rapide zoom arrière qui nous fait découvrir tout le panorama environnant. Je vois bien la symbolique, mais c'est très laid.

Nous suivons un petit convoi militaire, pris en embuscade par les Cheyennes. Une boucherie. Il n’y a que deux survivants : Cresta Maribel Lee, une jeune femme blanche, séquestrée deux ans par une tribu cheyenne (voir le plan sur ses mocassins) que l’armée raccompagnait chez elle, et le soldat Honus Gent. Un simple soldat, un bleu-bite, d'où le titre Blue Soldier. Après cette première scène violente, au montage haché, le film suit les deux survivants paumés dans le désert. C’est à travers eux que le réalisateur confronte deux mondes. Comme le fera (en beaucoup mieux !) Sydney Pollack avec JEREMIAH JONHSON (1972), Nelson oppose deux modes de vie, deux civilisations. C’est un brin caricatural, mais ça fonctionne, on est parfois à la limite de la comédie.

Cresta Lee (jouée par Candice Bergen) est la représentation de la hippie, du retour à la terre, à la nature, du vivre ensemble. Ayant vécu deux ans chez les indiens, elle sait survivre en milieu hostile, connaît les plantes, la chasse, au contraire d’un Honus Gent (Peter Strauss, acteur secondaire) mal dégrossi, maladroit, un peu niais. Cresta est un sacré caractère, indépendante, elle jure, rote, on la voit retirer culotte et jupon pour se sentir libre. Elle se blottit la nuit contre Gent pour se tenir chaud en lâchant un « Je me gèle le cul », et devant le malaise de Gent, dont la braguette frétille, lui lance : « Si ça te démange, va te plonger la tête dans l’eau froide… ».

Faut dire que Cresta est assez gironde. Elle se défait de sa robe en lambeau, s’en confectionne une nouvelle dans un bout d'étoffe rouge, très courte, portée avec rien en dessous. Ce qui est amusant c’est que dans certains plans on voit clairement que l’actrice est nue sous l’étoffe (quand Honus cisaille ses liens avec les dents, il prend appui sur ses fesses) mais dans les scènes de combat ou de roulade, on voit qu’elle porte un maillot ! 

La confrontation des personnages est aussi sur le plan politique. Gent est un soldat, fidèle au drapeau. Cresta Lee va le déniaiser dans tous les sens du terme, elle aussi a vu les horreurs du combat, du côté des victimes, elle dit : « Que je sache, ce n’est pas l’armée qui se fait tuer dans ce foutu pays ». Le ton change avec l’apparition de Isaac Cumber, un colporteur itinérant, qui les recueille. Fabuleux personnage joué par Donald Pleasence, délicieusement cabotin, un chapeau haut de forme sur son crane chauve, le sourire trop poli pour être honnête.

Isaac Cumber commerce avec les indiens, y compris des armes. Pour Honus Gent, c’est un geste d’insurrection, de trahison. Pour Cresta c’est un juste équilibre, armer les cheyennes pour qu’ils se défendent contre l’armée, qualifiée de « machine à tuer ». Cresta affirme préférer être une cheyenne que la complice de l’état américain. Honus Gent n’est pas belliciste, lors d’une confrontation avec des indiens Kiowas il refusera de tuer son adversaire, mais il a été élevé dans le respect de la bannière étoilée, des institutions.

On pense évidemment au Vietnam, il y a plusieurs allusions dans le film à propos du rôle de l'armée. Si l’intrigue évoque le massacre de Sand Creek (1864) on pense immédiatement, lors de la dernière séquence, au massacre de Mỹ Lai (1968), abominable crime de guerre perpétré par une compagnie de GI contre un village vietnamien. A mon sens, le film est moins une ode au peuple indien (assez peu célébré finalement, au contraire de LES CHEYENNES) qu'une charge politique contre l'impérialisme des USA et la violence contre les minorités. Ralph Nelson était très engagé pour les droits civiques.  

La balade picaresque tourne au film de survie. Honus et Cresta tentent de fuir Cumber, quelques peu contrarié d’avoir vu son gagne-pain partir en fumée. Le fait de n’avoir que deux, puis trois personnages à l’écran durant presque une heure, était un bon parti-pris. On regrette le ton parfois vaudevillesque, hors de propos, et le manque d'inspiration de Ralph Nelson qui se contente de filmer plan-plan, incapable d’utiliser la rugosité de son décor naturel, de capter l’espace comme des Peckinpah, Ford, Mann ou Eastwood, de traduire en images la confrontation des valeurs qui s’opposent. Si le propos est louable, la manière est un peu simple.

On en arrive à la dernière partie, la plus célèbre. L’armée diligente une action punitive contre la tribu cheyenne. Le colonel Iverson ordonne à ses troupes : « Rasez-moi ce village, pas de prisonniers ». C’est un déferlement de violence, une ivresse de meurtres, de viols, d’amputations diverses, des images droites sorties d’une série Z genre CANNIBAL HOLOCAUST. On voit des soldats hors de contrôle parader avec des jambes ou des bras coupés en guise de trophée. D'autres, hilares, abattre femmes et enfants. Iverson achève avec flegme une gamine empalée sur un pieu. Honus Gent erre dans ce chaos, au bord de la folie, témoin impuissant de cette sauvagerie animale. Le réalisateur expose ces images, sans filtre, le montage a été raccourci pour que le film ne soit pas classé X.

Même si les effets ont vieilli, que le sang est trop vermillon, cette séquence d'une rare sauvagerie marque les esprits. C’était le but, choquer, dénoncer, exposer les pires exactions à l’écran.

Ces dernières minutes ont fait la célébrité du film, qui a subi les foudres des deux camps. A droite, les nationalistes ont dénoncé l’anti-américanisme du réalisateur, son révisionnisme. A gauche, on l'a taxé de voyeuriste, une malsaine opportunité de faire du spectacle de foire avec un drame historique. SOLDAT BLEU a bien mieux marché en Europe qu’aux Etats Unis (1,5 millions d’entrées en France).

Un grand film se caractérise-t-il par son propos, son intention, ou sa seule réalisation ? Vaste débat. Si y'a les deux, c'est toujours mieux, et là... y'a pas !

couleur  -  1h50  - scope 1:2.35  

Désolé, la bande annonce est vraiment dégueulasse...     

1 commentaire:

  1. A mon sens, c'est un film essentiel qui jetait à la face d'une certaine Amérique, atteinte d'une amnésie bien pratique, le poids de ses responsabilités envers des peuples qu'elle a essayé d'exterminé. Il n'y a rien d'exagérer dans les violences ici présentées. Bien au contraire, hélas. On commençait, bien timidement, à sortir des westerns proches de la propagande où les amérindiens ne sont que de cruels sauvages, sans foi ni loi, parfois lâches et abrutis.
    Un film est certes maladroit, mais, effectivement, il avait avant tout pour but de "choquer, dénoncer, exposer les pires exactions à l’écran".
    Et ça a réussi. Au point de faire grincer des dents et de se voir exclus de nombreuses salles américaines.
    D'autant que depuis quelques années, divers mouvements de natifs commençaient à sérieusement s'organiser, et travailler de concert pour tenter de faire respecter des traitées - tant de fois bafoués - et, simplement, la loi.

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