mercredi 9 mars 2022

SWEET SCARLETT "Rockin' That Soul" (2021), by Sweet Bruno



   Une histoire de famille. Voilà qui n'est guère courant. Même si, les groupes de familles existent depuis toujours. On peut mentionner divers exemples : les Beach Boys, The Osmonds, Jacksons 5, Bee Gees, Mama's Boys, The Corrs, les Ramones. Ha, non, eux, c'est pour de faux. Et bien sûr, n'entrent pas dans la catégorie les nombreux groupes où il y a deux frères - qui finissent généralement par se foutre sur la gueule -, ou un frère et un cousin ou un neveu. Finalement, c'est bien maigre. 


     Sweet Scarlett
peut légitimement rentrer au club. En effet, ce quatuor est composé d'un père et de ses deux fistons, plus la compagne de l'un d'eux. Soit de Patrick Hiblot, fin guitariste bien ancré dans le Blues-rock, qui a bien pris soin de mettre ses fils, Vincent et Rémi, dans le droit chemin en les aiguillant sur la bonne musique. Le premier se met à la basse et le second (plus turbulent ?) se fiche derrière la batterie. Ainsi, c'est un trio purement familial qui prend forme. Initialement, c'est une formation ancrée dans le Rock. Jusqu'à ce que Caroline Erdman, la compagne de Rémi, soit invitée à faire les chœurs. Lorsque Caroline est promue au poste de chanteuse principale, le groupe mue et teinte son Rock de Soul et de Rhythm'n'blues. Caroline s'impose naturellement par son chant ferme et autoritaire, gorgé de Blue-eyed Soul, comme si elle était tombée dedans étant petite. A eux tous, ils abolissent les frontières virtuelles du Rock, de la Soul, du blues-rock et du Funk. Finalement, ce ne sont que les même accords joués peu ou prou différemment, et auxquels on rajoute quelques appogiatures de circonstance. Le tout avec une orientation plus proche des années 70, relativement classique, vraisemblablement insufflée par le paternel

     Depuis leur premier essai, uniquement constitué de reprises, dans des versions personnelles de belle facture ("Fever", "Papa's Got a Brand New Bag","Shotgun"), et un deuxième déjà plus aventureux, ce quatuor a bien progressé. Pas spécialement au niveau technique car déjà en 2014, ils se révélaient être déjà d'excellents musicos, mais plutôt au niveau fusionnel. Ces gars-là et la damoiselle qui les accompagne semblent être en lien télépathique. Chacun des membres est une pierre à l'édifice sans laquelle il ne pourrait tenir. Et même temps, on peut aussi bien concentrer son écoute sur l'un d'eux et en apprécier la justesse, la tonalité et le propos. C'est que la famille n'est pas à proprement parler constitué d'amateurs, sachant que le paternel enseigne la guitare depuis bien des années, que Rémi a promulgué sa science de la batterie pendant une dizaine d'années, au conservatoire et en école de musique, et Vincent, lui, enseigne la basse, mais aussi la guitare et les percussions.


   En 2019, avec l'album "Sell Your Ticket", le quatuor effectue un premier et remarquable bond en avant. Un album constitué de compositions personnelles, à l'exception de "Life is What You Make It" de Buddy Miles (de l'album "Chapter VII"). On remarquera au passage qu'au niveau des reprises, Sweet Scarlett ne craint pas de se frotter à du pointu, des pièces pouvant se relever relativement complexes. 

     En 2021, Sweet Scarlett franchit une nouvelle étape qui devrait lui permettre de s'exporter. D'aller même taquiner sur leur propre sol les Ricains. "Rockin' That Soul" n'aurait qu'un défaut : celui de débuter par une pièce magistrale. Une pépite, un joyau, le pinacle de l'album qui pourrait fait passer la suite pour des pièces de moindre saveur. Ce qui pourrait être effectivement le cas. Un peu comme si l'on débutait un repas par un fin dessert d'un maître pâtissier. "Into The Deep" possède une force tranquille semblable à celle que l'on peut dénicher chez des groupes comme Bad Company ou Led Zeppelin. Pas vraiment le même registre, c'est juste cette faculté à créer une atmosphère fondamentale, en cultivant autant les espaces qu'un relief abrupt et escarpé, sans précipitation, presque avec nonchalance. 

     Alors oui, en comparaison, le Funk-bluesy léger "Dance it Out", peut manquer d'épices. Même la chanson éponyme en pâtit. Pourtant, là encore, c'est un morceau de toute beauté, débutant sur un blues aux réminiscences de work-song, avant que ne s'impose une savoureuse et fluide orchestration toute Zeppelinienne - avec un batteur s'énervant crescendo, cognant progressivement plus fort et plus virulent  (Brian Tichy, sort de ce corps !) -, plein de jus, sublimé par un solo flamboyant - mais court. On retrouve ces intonations Zeppeliniennes sur "Hold My Mercy", bien que là, ça jongle aussi avec du Heavy-funk aux teintes Hendrixiennes. 


   Blues aussi, avec un "Last Time" aux effluves marécageuses de vaudou, ou avec "Set my Riff", formidable modern-blues teinté de Funk, millésimé 90's, dans la (nouvelle) tradition des Larry McCray, Bill Perry et Lucky Peterson (celui de la décennie en question). Amusant comme le père Hiblot mixe parfois ses soli légèrement en retrait, un demi-degré en dessous de la rythmique, alors qu'il met le feu à ses Fender Stratocaster - ou, de temps à autre, à sa Les Paul sunburst. Alors que chacune de ses interventions, sans exception, nous régale les esgourdes. Pas d'esbrouffe, pas de solo à l'arrache, simplement d'excellents soli maîtrisés et expressifs de bout en bout, jusque dans de parfaits bends contrôlés. Pas tout jeune le père, il joue souvent assis (le batteur aussi 😁 - et puis de toutes façons, il ne fait pas du théâtre, il joue de la guitare), mais pour faire chanter ses guitares, il s'y entend comme pas deux. Un jeu qui n'est pas sans évoquer feu-Bill Perry, avec parfois quelques touches de Robin Trower (sans phaser) et d'Hendrix qui affleurent. Le meilleur étant peut être le trépidant et torride funk "Jostle" où le père Patrick s'en donne à cœur joie sur un beat de batterie "jungle".

   Seule reprise de l'album, le célébrissime "All Along the Watchtower", dans une version se référant à celle d'Hendrix. En clôture, une ballade semi-acoustique, "Mandala", aux délicates volutes oniriques, et qui démontre que d'autres contrées sont aisément accessibles à ce fort sympathique et talentueux quatuor familial qui, espérons-le, n'a pas dit son dernier mot.



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