vendredi 10 décembre 2021

MADRES PARALELAS de Pedro Almodovar (2021) par Luc B.

On se doutait que ça allait être difficile pour Pedro Almodovar de surpasser DOULEUR ET GLOIRE (2019) qui restera un sommet dans l’œuvre de l’ibère-actif qui a aussi tourné l’année dernière un moyen métrage. A 72 ans, ce qui ne fait pas de lui un Pedro de l’année, Almodovar retrouve pour la septième fois Penélope Cruz, dans un rôle taillé sur mesure. L’actrice a d’ailleurs reçu le Lion d’Or à Venise pour son interprétation.

MADRES PARALELAS, disons-le sans ambages, n’est pas un grand cru, mais il se laisse bien boire. Almodovar, et reconnaissons-lui ce mérite, fraye ici vers le film politique, le film à thème, avec rassurez-vous une bonne dose de mélodrame. C’est un film sur la filiation, la mémoire familiale, le passé qui nous forge, nous construit. Le passé, la famille, c’est ce qui étreint Janis Martínez Moreno, photographe à Madrid, qui tente de monter un projet de fouilles archéologiques, pour retrouver un charnier où seraient enterrés ses aïeux, victime des phalangistes.  

La Phalange est un groupuscule d’extrême droite créé en 1933, bras armé du dictateur Franco, qui s’opposait aux Républicains. On estime à plus de cent mille cadavres enterrés clandestinement, une loi récente ayant autorisé les recherches. Almodovar interroge donc une période noire de l’Espagne. Janis travaille avec un anthropologue, Arturo, qui d'associé va devenir l'amant d'un soir. Janis se retrouve enceinte.

Donc cette jeune femme qui s’interroge sur son passé, va devenir mère, poursuivre l’œuvre familiale. Janis est tout à son bonheur, accepte son statut de mère célibataire de 40 ans. A la maternité, elle se lie avec Ana Manso Ferreras, qui partage sa chambre. Ana, une ado victime d’une tournante, va accoucher le même jour que Janis. On va donc suivre le parcours parallèle de ces deux mères (d’où le titre du film) qui vont garder contact, issues de deux milieux sociaux différents, mais qui ont comme point commun d'élever leur enfant seule, sans père. Jusqu’au jour où Janis coupe toute communication. A la suite d'une remarque d'Arturo, venu rendre visite à la mère et au bébé, Janis est prise d'une doute abominable. Le test ADN qu'elle sollicite est sans appel : elle n'est pas la mère biologique de l’enfant.

Si je me permets de divulguer ce fait, c’est qu’on s’en doute très rapidement. Ce n’est pas la clé du film, c’est ce qui va déclencher la suite. Et de s’interroger : qu’est-ce qu’être une mère ? Celle qui accouche, celle qui nourrit, élève, éduque, aime ? On voit bien où Almodovar voulait en venir, entre les deux intrigues, celle sur le passé, celle sur l’avenir. Le souci, c’est la manière de les imbriquer, la partie histoire semble trop didactique. 

Il y a au départ quelques ellipses de temps superbes. Le raccord entre la nuit d’amour et l’arrivée à la maternité. Ou lorsqu’un an plus tard Arturo revient rendre visite à Janis, la porte qui s'ouvre nous renvoie d'abord dans un flash-back avant de revenir au présent de l'action. Un télescopage temporel très réussi, comme les retrouvailles au hasard de Janis et Ana. Pourtant, la mise en scène parait plus académique, on a connu Pedro plus inspiré, créatif, même si on retrouve son utilisation de la couleur dans les décors, même si la photographie est très belle, ces scènes dans la cuisine (symétrie autour de l’îlot central), la lumière venant de la terrasse, où ces lents fondus au noir qui ne laisse qu’à l’écran le profil à peine éclairé de Penélope Cruz.

Comme à son habitude, Pedro Almodovar filme des femmes. Mis à part Arturo, l’amant d’un soir, qui réapparait épisodiquement, le récit tourne autour de Janis (baptisée ainsi en souvenir de Janis Joplin par sa mère hippie), de la jeune Ana, sa mère Téresa, une comédienne divorcée (de l'ex-mari on n’entendra que la voix au téléphone), et d'une amie fidèle Elena, jouée par Rossy de Palma, d’une sobriété inhabituelle. Lors de la très belle scène finale, devant la fausse excavée, ce sont surtout les femmes du village qui viennent se recueillir sur les dépouilles. Le dernier plan est de toute beauté.

La musique est composée de chansons, le « Summertime » de Janis Joplin évidement, d’autres thèmes ont été composés qui me rappellent l’atmosphère de VERTIGO. Ce n’est sans doute pas un hasard, quand on connaît le film d’Hitchcock, et son thème sur le double féminin. Le film diffuse un suspens, une angoisse qui s’insinue dans chaque recoin de la relation troublante entre Ana et Janis, qui viendront à cohabiter ensemble. C’est l’aspect du film que je trouve le plus réussi, même si je reste dubitatif sur la liaison affichée entre les deux femmes, j'aurais aimé qu'Almodovar suggère, laisse planer le doute, l’ambiguïté.

Penélope Cruz porte le film, elle traîne tout le long ses doutes et ses angoisses, sa trahison, ses remords. C’est un très beau rôle pour elle, grave, loin des strass hollywoodiens dans lesquels on la catalogue. Même s’il m’apparaît mineur dans la filmographie d’Almodovar, MADRES PARALELAS reste un beau film. Est-ce le sujet qui a fait peur au réalisateur, qui ne s’est pas autorisé sa verve habituelle ? Ca manque de zone trouble, de fluidité entre les intrigues, chacune ne semble pas complètement aboutie, sentiment de frustration, on a l’impression de voir à l'écran deux films compactés en un, chacun un peu boiteux.

couleur  -  2h00  -  format 1:1.85


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