Au fond d’une grande scène, une imposante pile d’amplificateurs semble annoncer un concert particulièrement bruyant. On remarque que des caméras et du matériel d’enregistrement sont positionnés un peu partout près de cette montagne. Neil Young sait qu’il vit un des plus grands moments de sa carrière, il est devenu le conteur d’une époque et souhaite immortaliser cet état de grâce. Pourtant, malgré son impressionnant dispositif, le Loner arriva seul armé de son harmonica et d’une guitare acoustique. Le public connaît ce vieux gimmick, il a déjà juré plusieurs fois qu’on ne le séduirait plus avec des moyens aussi basiques. Pourtant, par la seule force de sa prose et de quelques accords gracieux, Neil fit taire cette foule hystérique.
L’ouverture acoustique eut des airs de rite païen, elle ressemble à une procession mystique, le mage Young hypnotisant ses adeptes en quelques formules fascinantes. La beauté des civilisations amérindiennes laissa place au spleen des chercheurs d’or, le passé plus ou moins proche défila à travers cette poésie passionnante. « Sugar mountain » ramenait tout le monde sur les rives de l’enfance, époque bénie où le monde était à découvrir. Les accords bercèrent la foule, rares sont ceux qui osèrent briser cette communion de leurs cris admiratifs.
Dylan rêvait d’être Elvis, il ne comprenait pas que toute une partie de ces descendants rêvaient désormais de devenir Dylan. Ce soir-là plus qu’aucun autre, ce nouveau Dylan fut Neil Young. Chantant comme un poète au seuil de l’abîme il espaça ses accords pour permettre à ses mots de s’imprimer dans les esprits. Sur « Comes a time », l’harmonica a remplacé le mellotron de la version studio, les accords plus dépouillés ne firent qu’accentuer la somptueuse légèreté de la mélodie. Vint ensuite le fameux piano de « After the goldrush », qui eut ici le charisme d’un orchestre et la pureté des grandes ballades folk.
On ne put rêver plus belle introduction pour le « The time they are changin » de cette nouvelle époque. J’ai déjà largement décortiqué « Hey hey my my » sur la chronique de « Rust never sleep », c’est pourtant dans ce stade que cet hymne prit toute son ampleur. Après avoir affirmé que « le rock n roll ne peut pas mourir », Neil s’apprête à en faire la démonstration.
Derrière lui, les musiciens du Crazy horses prirent place affublés des costumes du Ku Klux Klan. Ne voyez pas dans ces déguisements une apologie du mouvement raciste de Nathan Bedford Forest, il s’agit juste d’une façon de se moquer des mises en scène pompeuses des dinosaures de stades. Avec ce nouveau geste d’insoumission, les punks purent encore constater que Neil était des leurs. Les musiciens branchèrent donc leurs guitares à l’impressionnant mur d’amplis et après le calme vint le déluge.
« When you dance I can really love » ne fait pas dans la dentelle. Son riff d’introduction gronda comme une avalanche, les accords gras dévalèrent la pente d’un rythme binaire, l’écho des guitares grinça comme des arbres emportés par le déluge. Le refrain culmine sur un boogie déchiré par des accords agressifs, s’éteint au terme d’un solo cataclysmique. Neil profite de cette énergie pour débarrasser « the loner » de son attirail psychédélique.
La puissance du Crazy Horse est un bain acide qui n’épargna que la moelle de ce classique, c’est-à-dire ce rythme boogie autour duquel les guitares bourdonnèrent comme une armée de frelons. Pour calmer un peu le jeu, « The needle and the damage done » permet à Neil d’enfiler de nouveau le costume du troubadour folk. Les arpèges chantent paisiblement, avant que lotta love ne prolonge cet intermède mélodieux sur un texte plus léger. Sur ce « Lotta love », c’est le hippie de Crosby Still and Nash qui s’exprima, les chœurs évoquant les harmonies vocales de ses ex partenaires.
Il fut ensuite temps de « jouer un peu de rock n roll », cette déclaration annonçant le riff tonitruant de « Sedan delivery ». Dans une chronique sortie quelques années auparavant, un journaliste qualifia le Crazy Horse de « savant mélange de folk rock et de hard rock ». C’est exactement ce que fut « Sedan delivery » et les titres qui le suivirent. Les riffs binaires, lourds comme des zeppelins de plombs, explosèrent dans des solos lyriques. Même si la guitare semble presque chanter la mélodie de « Powderfinger », le riff est parcouru de notes grondant comme un ciel d’orage. De cet équilibre entre la beauté d’une mélodie rêveuse et la puissance d’un groupe trépignant comme un pur-sang maintenu au trot naît un son unique. Ce lyrisme culmine bien sûr sur « Like an hurricane », titre qui est au folk rock ce que « Whole lotta love » est au hard blues, un horizon indépassable.*
Il faut entendre la puissance de son introduction, ce sont de véritables montagnes sonores qui s’élevèrent devant le public. Le mellotron souffla comme un doux blizzard entre ces pics, arrondit les passages les plus tranchants. Débarrassée de sa violence, la guitare atteignit une puissance émotionnelle bouleversante, ce n’est plus une six cordes c’est une lyre amplifiée. Après une telle ascension, les musiciens firent redescendre le public de son nuage à grands coups de blues gras. La violence proto grunge de « Hey hey my my » laissa ainsi place à la rage de « Tonight the night ».
Quand les dernières notes saturées s’éteignirent, le public sut qu’il venait d’assister à quelque chose de grand. Ce sont des prestations de cette intensité qui donnent encore un sens au vieux culte du rock n roll. Après avoir assisté à une prestation pareille, on ne peut qu’être convaincu par cette déclaration historique : Rock'n'roll can never die.
👀 Fans de Neil Young (ou pas !) vous seriez bien avisés de cliquer sur le lien ci dessous, notre chroniqueur Benjamin a consacré au loner un dossier entier dans son web-magasine :
https://rock-in-progress.blogspot.com/2021/08/le-magazine-daout.html
j'ai fais mes premières armes à la guitare électrique sur cet album avec "Like a Hurricane" ! Une très bonne école !
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