Pour ces trois vendredis estivaux, je vous propose de la lecture, avec trois bouquins très différents, un récit historique de Jules Vallès, un roman contemporain de Delphine de Vigan, et un polar bien noir de Jim Thompson. 1, 2, 3... c'est parti ! Bon été.
Je crois me souvenir avoir lu L’ENFANT de Jules Vallès, à l’école. Je crois… car justement je n’en ai aucun souvenir. Le bicentenaire de la Commune m’a donné envie de retourner vers Vallès, grande figure politique et littéraire de l’époque, et ni une ni deux, voici L’INSURGÉ.
Jules Vallès (1832 – 1885, photo ci-contre) était journaliste, éditorialiste, il a créé le journal « Le cri du Peuple », tout est dans le titre. Sa contribution littéraire la plus célèbre est la trilogie MÉMOIRES D'UN RÉVOLTÉ, hautement autobiographie, mais pas que, qui commence donc par L’ENFANT, suivi du LE BACHELIER et conclue par L’INSURGÉ.
Le héros s’appelle Jacques Vingtras, on notera que les initiales sont les mêmes que celles de l’auteur. Vallès y raconte sa vie, ses souvenirs, mais brosse aussi la société dans laquelle il a évolué. Les trois romans sont écrits après la Commune, l’auteur y injecte aussi son idéologie, ce sont donc des souvenirs légèrement déformés par le prisme de ses idées politiques, situées à l’extrême gauche de l’échiquier.
Comme les autres opus de la trilogie, le texte sort d’abord en feuilleton, dans le journal « La Nouvelle Revue », plus tard une édition corrigée parait dans « Le Cri du Peuple », ce n’est qu’en 1886, après la mort de l’auteur, que L’INSURGÉ est édité en livre, avec cette dédicace en première page : « Aux morts de 1871, à tous ceux qui, victimes de l’injustice sociale, prirent les armes contre un monde mal fait et formèrent, sous le drapeau de la Commune, la grande fédération des douleurs, je dédie ce livre ». Là encore, le message est clair.
Quand le livre commence, Jacques Vingtras est pion à la faculté de Paris. Quand le professeur de rhétorique tombe malade, on lui propose le poste. Vingtras, tout en joie, s’adresse ainsi à ses élèves : « Mon avis à moi, est qu’il ne faut rien apprendre, rien, de ce que ce que l’université vous recommande ». Il n’a pas fini sa première heure de cours, qu’il est viré !
Parce qu’il manie bien la plume, il trouve par recommandation un travail à la mairie, où il rédige les actes de naissance, démaillotant les marmots pour s’assurer de leur sexe. Il cherche ensuite à vendre ses écrits, trouve preneur au « Figaro », il publie des éditoriaux, fraye dans les réunions politiques, monte à la tribune, se lance dans des diatribes anti-gouvernementales. Ce qui lui vaut d’être renvoyé de la mairie.
Mais il ne lâche pas la politique, et devient une figure de la gauche révolutionnaire, adepte de Blanqui. Surviennent les évènements de la Commune…
Le bouquin est à la fois très drôle et truculent, mais pas toujours évident à suivre. Vallès écrit sur son époque, ce qu’il a vécu, et si on n’a pas – comme moi – une parfaite connaissance du sous-texte historique, on rate quelques allusions. Si je vous dis le 11 septembre, ça nous cause, le World Trade Center. Le 7 janvier, Charlie Hebdo. Même le 10 mai, élection de Mitterrand. Pour une raison simple, c’est que nous sommes contemporains de ces faits d’actualité. Mais quid des 23-26 juin 1848 ? J’étais pas né.
Il en va aussi des protagonistes. Les Gambetta, les Thiers, les Blanqui passent encore, mais de nombreux personnages dont parle Vallès m’étaient inconnus. Jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’il y avait un index à la fin du livre ! Imaginez un romancier qui écrirait sur la crise des Gilets Jaunes - puisque certains y évoquaient les fantômes de la Commune - avec une référence au 1 décembre 2018 (saccage de l’Arc de Triomphe) ou au 5 janvier 2019 (intrusion au ministère du porte-parole du gouvernement) avec des allusions à Benjamin Griveaux, ou Jérôme Rodriguez, Eric Drouet, Ingrid Levavasseur… mais que le bouquin soit lu deux cents ans plus tard ?
Donc mieux vaut faire profil bas question références, et se gargariser de la prose de Jules Vallès. Et là c’est un régal. Les chapitres sont courts, et eux-mêmes construits en courts paragraphes, c’en est même étonnant. Le rythme ne faiblit pas, imaginez le montage syncopé des Affranchis de Scorsese. Et le verbe, le sens de la formule, l’ironie, ces portraits en trois coups de pinceaux. Et surtout la rage qui s’infiltre dans chaque phrase, l’urgence, la détermination.
Jacques Vingtras devient un meneur, un leader, il préside aux réunions de comités, on rédige le programme où chacun veut mettre sa patte, ça hurle, ça vocifère, on n’est pas loin parfois de LF Céline, phrases courtes, percutantes, argot. Les pages sur les combats sont superbes, le style forcément lyrique mais pas ampoulé, des points d’exclamation partout !
L’armée dirigée depuis Versailles, où s’est réfugié le gouvernement de Thiers, assiège la capitale. On monte les barricades, on envahit l’hôtel de ville, c’est la semaine sanglante. Vient le temps des luttes intestines, Jacques Vingtras qui est un élu est vu comme un traître à la cause, un politicard, c’est les procès sommaires, les exécutions…
Avec L’INSURGÉ on entre au cœur d’une révolution populaire (qui s’est finie dans le sang) avec comme guide un type qui a vécu les évènements de l’intérieur, et plus qu’un type, un observateur de son temps doublé un sacré écrivain. Que demande le peuple ?
Poche Flammarion, 243 pages.
Très intéressant !! Ta chronique donne vraiment envie de lire ce bouquin même si des livres sur la commune, j'en suis blindé. J'ai un bouquin de Jules Vallès "Dictionnaire d'argot et des principales locutions populaires" que j'avais acheté à la librairie Libertaire Publico (Dans mes achats, il y avait aussi du Louise Michel et du Bakounine !). Jules Vallès à l'extrême gauche ? Pour l'époque ? Possible bien que je l'aurais plutôt mis sous la bannière du drapeau noir (A cause de ses amitiés comme Auguste Blanqui). J'ai les tombes des deux personnage au Père-Lachaise. Tiens pas d'autres réaction autre que la mienne ? ;)
RépondreSupprimerJ'étais sûr que ça allait te plaire ! Comme je dis, beaucoup de personnages, mais quelle prose, quel engagement !
RépondreSupprimerJ ai Lu la trilogie il y a quelques mois.
RépondreSupprimerBizarrement les deux premiers volets M ont plus marqués.
La naissance de sa révolte me paraît plus passionnante que son expression concrète.
J'essaierai de reprendre au début, les souvenirs de lecture sur les bancs de l'école ne sont jamais objectifs !
RépondreSupprimerTu as eu la chance qu'on te fasse lire ça à l'école...
RépondreSupprimerMoi c étais plutôt Amélie Nothomb et Alexandre Jardin.
C est pas vraiment le même calibre.
Pas une chance, c'était juste au programme. Nothomb et Jardin... Pourquoi pas Franck Thilliez ou Joel Dicker ?!
SupprimerNothomb ? Jardin ? A mon époque, j'aurais bien voulu étudier ça ! J'ai eu des prof qui nous ont gavé de la trilogie de Pagnol (pas Marius, Fanny, César, mais le chateau de ma mère, la gloire de mon père et le temps des amours)de Bernard Clavel (Malataverne) et des éternelles classique de Molière...j'ai même eu un prof qui était un amoureux de Don Quichotte, de Cyrano de Bergerac et de Corneille qui nous feras apprendre des tirades par coeur (L'acte 2, scène 2 du Cid je pourrais encore te la citer).
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