Le rock progressif n’était pas encore à son apogée
lorsque, dans la petite ville de Canterbury, un groupe s’apprêtait à écrire une
des plus belles pages de son histoire. Après un premier album encore proche du
rock expérimental anglais, « Volume two » inventait un modèle autour
duquel toute une scène allait broder. Mélange de free jazz, de psychédélisme
expérimental et d’une extravagance pop très anglaise, le second album de Soft Machine est au rock de Canterbury ce que « Led Zeppelin I » est au
hard-rock, une base incontournable.
C’est aussi le disque qui tua la formation légendaire de Soft Machine. Après la sortie de l’album, la plupart de ses musiciens souhaitaient partir dans une direction plus élitiste, se rapprocher des grandes œuvres free jazz. Cette vision est loin de plaire à Robert Wyatt, le lutin batteur, auteur de certaines de leurs plus belles pastilles jazz pop. Après avoir supporté le virage de ses collègues sur « Third » et « Fourth » Wyatt finit par claquer la porte. Il perpétue alors la légèreté de sa pop jazzy en formant Matching Mole, qui entre vite dans le rang d’une descendance qui salue son intégrité. C’est l’époque où Dave Stewart* joue au sein de Hatfield of the North, qu’il quitte après un bref passage chez Gong. Fils de la Machine Mole, Hatfield of the North enregistra deux monuments jazz rock avant de s’éteindre. Né des cendres de ce groupe éphémère, Gilgamesh connait le même sort, laissant ses musiciens perdus au milieu d’une époque devenue hostile.
En 1975, le rock progressif commence à perdre sa
popularité, permettant ainsi à une presse qui ne l’a jamais aimé d’accélérer sa
chute. Les grandes figures du mouvement sont en pleine crise, Peter Gabriel
quittant Genesis alors que Emerson Lake et Palmer n’a plus sorti d’album depuis
deux ans. Symbole du progressisme anglais, Yes est descendu par une critique
qui ne supporte plus ses fresques alambiquées. Coté canterburien, toutes les
grandes figures sont mortes ou en perdition. Pendant ce temps, Dr Feelgood a
ramené le rock à sa plus simple expression avec l’album « Down by the
jetty » et les futurs punks se font les dents sur son pub
rock.
1975, c’est aussi le renouveau du CBGB, un petit
club New Yorkais où les Ramones, Patti Smith et autres icones destroys feront
leurs débuts. Alors forcément, quand les ex membres de Gilgamesh forment un
groupe dans la lignée du rock canterburien, les maisons de disques ont tendance
à les rejeter. Le premier album de National Health sort enfin en 1977, en
pleine explosion punk. Grandiose anomalie temporelle comme seul le rock sait en
produire, ce premier album de National Health renoue avec les grandes heures
des lutins de Canterbury.
Les climats aériens s’écrasent sur des envolées instrumentales complexes, l’orgue et le piano entrent dans un dialogue grandiloquent, pendant qu’une chanteuse issue d’Hatfield of the North souligne les passages les plus mélodiques de sa voix de Billie Holiday anglaise. A travers ce dialogue entre la pop la plus séduisante et le progressisme le plus exigeant, c’est toute une époque qui semble pousser son chant du cygne.
Plus intéressé par les braillements de Joey Ramone et Johnny Rotten, le grand public n’est pas prêt à se replonger dans un tel bain symphonique. Cette musique est désormais réservée à un public averti, cantonné aux bacs à soldes des disquaires. Les enchantements de Glastonbury sont devenus des reliques du passé, les témoins d’une certaine ambition pop qui ne reviendra plus. Après un second album coulé dans le même moule que ce premier essai somptueux, National Health disparait rapidement.
Devenu culte, son premier album entre dans la lignée des grandes reliques produites par Soft Machine, Matching Mole, Gong et autres Hatfield and the north. En écoutant ce genre d’album, Robert Wyatt doit jubiler, lui qui défendit si bien cette musique contre les ambitions prétentieuses de ses ex-partenaires.
* homonyme de Dave Stewart, guitariste et partenaire d'Annie Lennox dans Eurythmics.
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