Depuis son premier essai discographique, en 2011 avec "Yesterday's Shadow", la charmante Gaëlle Buswel n'a jamais trébuché ni reculé d'un chemin qu'elle a voulu ascendant, réussissant un difficile parcours où l'on s'efforce de faire toujours mieux que précédemment plutôt que de se reposer sur ses lauriers. Cependant, avec ce dernier et glorieux opus, la demoiselle a peut être atteint un sommet dont il sera bien ardu de réitérer l'exploit. Encore plus de faire mieux. Non pas qu'elle et son bras droit Michaal Benjelloun n'en ont pas les moyens, bien au contraire, mais tout simplement qu'avec "Your Journey", ils ont placé la barre très haut.
Il était temps que la dame soit signée par un label ayant les épaules suffisamment larges pour la soutenir correctement, et lui offrir les moyens d'enregistrer un disque à la mesure de son talent. Ainsi qu'à celui de son acolyte. Être indépendant c'est bien, idéal, malheureusement la dure réalité fait qu'il est difficile, voire impossible, de se développer correctement sans l'appui financier d'une maison sérieuse. Même des artistes établis ont trop souvent eu bien des problèmes pour être pérennes, une fois leur indépendance prise. Avec au passage quelques bâtons dans les roues, afin de les punir et surtout qu'ils ne servent pas d'exemple... La signature avec le label français Verycords est probablement l'un des meilleurs compromis pour Buswell pour enfin accéder à une notoriété méritée.
Sur cet album plane la sensation que l'on a laissé les coudées franches à Michaal Benjelloun. Un excellent guitariste fort d'une solide culture en matière de Blues mais aussi de Heavy-rock millésimé 70's - Led Zeppelin et Aerosmith en tête - et début des 90's. Les guitares ont pris du gras et de l'assurance (peut-être un déclic déclenché par les premières parties de Status Quo et ZZ-Top), ouvrant grand une porte vers le Classic-rock et une fenêtre sur le Heavy-rock 70's. Peut-être que son nouveau joujou,- sa propre pédale d'Overdrive confectionnée spécialement par Val Martins (1), la "Benjelloun", lui a donné des ailes. Quoi qu'il en soit, c'est un régal pour les esgourdes. En effet, cette nouvelle petite boîte magique semble allier la transparence recherchée de la fameuse Klon Centaur avec le crémeux d'une overdrive Blues-driver. Et si on enclenche les deux canaux simultanément, - c'est une double pédale -, ça frôle les sphères historiques de la Tone Bender, et en la poussant dans ses retranchements, l'Expandora. Bref, ça va du discret au chaotique. Le break de "Perfect Foil" tombe même dans un limon fait de vibrations Stoogiennes. Et sur "Your Journey", une des guitares défaille délicieusement tout comme celle de Billy Gibbons sur l'album "Rhythmeen".
S'il s'agit toujours bien d'un album estampillé "Gaëlle Buswel", Michaal y a donc une place enviable. Il n'a jamais été aussi mis en avant, et cela fait du bien. Alors que les albums précédents évoluaient plus dans une atmosphère folk / country-rock bluesy, là, Michaal s'est fait le médium qui a permis aux esprits d'un certain Heavy-rock et du Classic rock de s'inviter pour encanailler et durcir quelque peu la musique. En conséquence, jamais jusqu'alors, du moins en studio, les guitares ne s'étaient autant emparé de l'espace sonore. Gaëlle elle-même ne dédaigne pas de troquer ses acoustiques (Gibson J45 et Guild D50 de 1973) contre une bonne électrique de type Telecaster ou sa Gibson LesPaul Special (avec les P90).
Pas réellement un changement de cap, Gaëlle restant fidèle à elle-même, simplement une évolution, ou une ouverture vers une tonalité plus âpre et soutenue. De nouveaux apparats incitant Gaëlle à sortir de sa zone de confort. Finalement plus proche de ce que la troupe peut donner sur scène. Plus que jamais, en dépit du patronyme de ralliement sous le seul nom de Buswel, c'est bien plus le fruit d'un travail en commun du groupe que celui d'un effort solo. Cela peut être aussi un retour aux sources, sachant qu'elle a fait son éducation musicale en farfouillant dans la discothèque parentale bien fournie en Rock 70's ainsi qu'en grands classiques de Janis Joplin, Hendrix, Cocker, Beatles, Rolling Stones.
Oui, cet album a profité d'une production plus élaborée, plus travaillée, mais ça ne dérive pas pour autant vers quelque chose de plus léché. Au contraire. Et pas grand chose qui pourrait ravir les censeurs de la production télévisée nationale. Malheureusement, mais, ne serait-ce pas un gage de qualité à l'heure actuelle. L'interaction entre les guitares, les interventions des claviers (piano, orgue, Wurlitzer, clavinet, Melotron) de Laurian Daire, les rythmes de Steve Belmonte et le groove de la basse de JB Pietri, méritent amplement une écoute attentive au casque. C'est un réel plaisir ; on se délecte autant des diverses inflexions et nuances, de ces interdépendances au cordeau, que de ce chaleureux grain organique.
Difficile de ranger "Your Journey" dans un compartiment forcément exigu. L'essence est indéniablement bluesy, bien qu'il faille plutôt se tourner une source canalisée par les blancs-becs. Ceux qui se sont appropriés un héritage pour créer une nouvelle entité, plus belliqueuse et arrogante, à force de guitares cossues. Cependant, c'est bien le Rock qui prend ici l'ascendant. Un Rock protéiforme, organique, que les plus jeunes taxeront de "old school" et d'autres de Classic-rock. Toutefois, ces dernières appellations s'avèrent réductrices pour ce disque.
Car déjà Perfect Foil" brouille les pistes, en fusionnant un Hard-blues fuligineux et séminal avec l'approche bétonneuse de Soundgarden aérée par une fuzz magique en ébullition qui déborde de toutes parts et une basse volubile. Lors du break, Michaal envoie balader tout le monde d'un furieux coup de pied (sur sa wah-wah) vers des limbes laviques d'un Hard-psychédélique et toxique (arrgghh... c'est trop court). Tandis que "All You Gotta Do", avec ses réminiscences échappées des Temptations et de Rare Earth, paraît explorer le funk façon ghetto et révolution culturelle 70's. Et qu'est-ce donc que "A Rose Without a Thorn" si ce n'est une solide ballade blue-eyed soul vaguement Stonienne qui évolue vers ce qu'aurait fait de mieux en la matière un groupe comme Foreigner ? Et puis, "Razor's Edge" n'est autre qu'une admirable résurgence de la Soul du Muscle Shoal. Même si, derrière, taquin, on entend Michaal qui n'a pas pu s'empêcher de faire hurler sa guitare. Toutefois, en parfait gentilhomme, il a refermé la porte de sa cabine afin de ne pas couvrir ses camarades. Et pour finir, "What Might Have Been" s'aventure même dans le slow-blues tel que pouvaient le pratiquer les ténors du Hard-blues d'antan.
Ha ! Et à bien y regarder, "Last Day" serait une relecture futée d'un glam-rock US ; celui copieusement influencé par Aerosmith et qui a essayé de se rendre plus commercial grâce à des refrains orientés vers la Pop.
"Perfect Lullaby" clôture cet épisode en beauté, sur un ton triomphal, comme une lumière rayonnante calmant les esprits impétueux de la tempête et de l'hiver, source vive d'un éclatant printemps fleuri et bienveillant.
Mais cet opus n'est pas que pure électricité comme l'atteste la poignante ballade "Just Like The Wind", quasiment acoustique où Gaëlle se laisse emporter par sa sensibilité, dévoilant une fragilité que l'on ne soupçonnait pas. "Strong as the wind are the arms that will hold you, do their best to save you from yourself. Warm in the wind that brings hope to the summer, whispers words to heal your heart. Just like the wind that will carry you , fill yours sails when it's time to go".
"Your Journey" pourrait très bien l'album de la maturité de Gaëlle Buswel. Celui qui mettrait le plus en valeur sa personnalité et ses talents de chanteuse. Tout comme le talent de guitariste et de compositeur de Michaal Benjelloun. Un gars sympathique et humble qui mériterait amplement d'être reconnu. Dans cette nouvelle dimension de Rock bluesy marqué au fer rouge par les 70's, Gaëlle s'y révèle aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau. A l'exception peut-être - en étant tatillon - de la chanson éponyme où elle paraît se contenir.
Un disque qui pourrait néanmoins déstabiliser les fans de la première heure, par son aspect Rock nettement plus affirmé. Ils pourront toujours se consoler avec le Ep enregistré en acoustique au fameux studio Abbey Road, accolé à "Your Journey". Seulement, en dépit de l'indéniable qualité des chansons et de l'interprétation - y-compris la reprise de "Help" - après avoir goûté à l'électricité, ces sessions acoustiques paraissent un tantinet anémiées. Une sympathique récréation, plutôt à écouter à part. Sereinement, au coin du feu, au village ou dans un chalet, ce qui serait des lieux plus adéquats pour l'écouter.
P.S. : Pour avoir personnellement échangé quelques mots avec Gaëlle et Michaal - il y a quelques années -, je tiens à témoigner de leur gentillesse non feinte, de leur bonne humeur communicative et de leur simplicité. Et Michaal aime bien parler de son matos.
(1) Une grosse partie du matériel, effets et amplis, qui a été utilisée pour l'enregistrement de "Your Journey", est sortie de l'atelier de la petite entreprise française.
(2) Les grattes de Michaal : Tokai LesPaul LS95 montée en micros Lollar, Gibson ES330 de 69, Fender Telecaster "Richie Kotzen" montée en micros Lollar, Fender Stratocaster 1969, Gretsch Duo Jet et une Supro Dual Tone 58 (pour la slide).
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