vendredi 5 février 2021

APOCALYPTO de Mel Gibson (2006) par Luc B.

 

Mel Gibson a réalisé cinq films sur presque trente ans. Il aurait sans doute souhaité en faire davantage, mais comme le mec n’est pas en odeur de sainteté à Hollywood, les financiers ne se précipitent pas au guichet. Mel Gibson a vu Dieu au fond de sa bouteille de bourbon comme d’autres zyeutent des pin-up dans leur verre de saké. Infréquentable, mais attachant, j'aime bien ce type. Il faut reconnaître que Mel ‘Mad’ Gibson possède un certain sens du récit et de l’image. La fresque épique BRAVEHEART  - son SPARTACUS en kilt - avait été saluée en son temps (avec notre Sophie ‘la boum’ Marceau) quoiqu'assez académique finalement, et son dernier en date TU NE TUERAS POINT (2016) avait ravi les suffrages. Mel Gibson fait désormais parti du cercle très fermé des acteurs passant avec succès à la  réalisation.

Les choses se gâtent avec deux productions qui ont fait polémique (Victor). Une PASSION DU CHRIST (2004) qui a fait hurler dans les chaumières, ou plutôt dans les sacristies, et ce APOCALYPTO. Points communs : violence, sadisme, relecture de l'Histoire, et dialogues en langues anciennes. Pour le premier, les acteurs parlaient en araméen, un pari anti-commercial qui n’a pas empêché le public de s’y ruer. Le film a cartonné au box-office, rapportant 20 fois sa mise. Pour le second, le peu de dialogue est en maya yucatèque, les comédiens inconnus au bataillon sont amérindiens ou mexicains. Une exigence d’authenticité pour le réalisateur, même si des spécialistes de la civilisation maya ont tiqué devant certains détails documentaires.

C’est tout le problème du film, à priori à contre-courant des productions américaines grand public, mais qui ne cessent de refourguer des figures hollywoodiennes, à commencer par un héros très propre sur lui et belle gueule, sa femme Sept étant particulièrement gironde, j'vous ai mis une photo. Et le méchant est bodybuildé comme un pilier de la WWE. La seconde partie du film est un quasi copier-coller de RAMBO, efficacement mis en scène, mais dont les péripéties n’ont rien d’original. On pense à plein de films, et puis surtout à TINTIN ET LE TEMPLE DU SOLEIL, avec le sacrifice avorté pour cause d’éclipse.

L’histoire est celle de Patte de Jaguar, un chasseur maya, dont le village est pillé par Zéro Loup et ses sbires, guerriers sadiques droit sortis de MAD MAX 2. Patte de Jaguar arrive à mettre sa femme et son gosse à l’abri, dans un puits naturel, avant de se faire enlever lui aussi. Les prisonniers enchaînés à des bambous, maltraités, sont amenés dans un village pour y être sacrifiés au dieu Kukulkan. Initiales KKK...

Le trajet jusqu’au village renvoie aux scènes des esclaves dans SPARTACUS, ou même TARZAN L’HOMME SINGE et ces porteurs qui chutent des montagnes. C’est très classique, mais prenant, certains plans sont ingénieux. Le film est tourné en petite caméra numérique très mobile, le montage accumule les plans, ça donne parfois le tournis, mais ça fonctionne. L’arrivée au village est oppressante, avec ces ouvriers qui travaillent le plâtre, couverts de poussière blanche, et les prisonniers apeurés, battus, traités comme du bétail.

Les scènes de sacrifices valent leur pesant d’hémoglobine et de tripes gluantes, on arrache les cœurs à vif, on décapite, les têtes roulent et dégringolent de la pyramide pour le plus grand plaisir des spectateurs enivrés de sensations fortes, ils les attrapent à la volée dans des filets, le baseball avant l’heure. Les victimes sont peinturlurées de bleu, un hommage PIERROT LE FOU ou aux SCHTROUMPFS, c’est selon…

Une éclipse de soleil salvatrice met fin aux réjouissances, le reste des prisonniers est confié à Zéro Loup, qui pourra en disposer. Il a visiblement vu L’ARMÉE DES OMBRES, dont il reprend la scène la plus célèbre (oui, j'ose le parallèle avec Melville, même Mel n'y aurait pas pensé). « Si vous arrivez à courir jusqu’au champ de maïs, vous êtes libres » annonce Zéro Loup, oubliant de préciser qu’ils seront la cible de flèches et javelots…

La seconde partie est une longue course poursuite dans la jungle. Comme le dira Patte de Jaguar à ses poursuivants, « je suis un chasseur, la jungle est mon domaine ». C’est donc la séquence RAMBO, la proie qui devient prédateur, à l’aise dans son milieu naturel, construisant des pièges avec trois bouts de bois. On tique tout de même sur l’endurance de Patte de Jaguar, indestructible, plus véloce et alerte que jamais malgré les flèches qui le transpercent, même avec une panthère noire aux trousses.

On se dit que Gibson, à ce stade du scénario, n’a plus grand-chose d’original à montrer, il déroule des scènes qui ont fait leurs preuves, comme celle des chutes d’eau, qu’il n’arrive pas à renouveler. On notera un problème de timing qui gâche la fête, quand les poursuivants se retrouvent à dix mètres de leur gibier, alors qu’on les a vus s’arrêter cinq bonnes minutes dans le plan précédent. Ca fait tache. L’exigence de réalisme du réalisateur en prend un coup. 

Pour se rattraper, il y a les séquences de Sept, la femme de Patte de Jaguar, coincée dans son puits soudainement inondé par la pluie, et l’accouchement sous l’eau qui vient comme une respiration bienvenue, et surtout la formidable dernière scène sur la plage. Là, ça vous cloue sur place.

On pense au John Boorman de DELIVRANCE, à un Terrence Malick sous amphète (lui aussi grand mystique devant l’Eternel) lorsque Gibson prend le temps d’intégrer des plans de flore ou d’animaux. Lui aussi traque le bon sauvage, son propos pouvant se résumer à : le Mal fait intrinsèquement partie de l’Homme, quel que soit son degré de civilisation. Le film a évidemment fait polémique, Gibson ne semblant voir dans les mayas qu’une civilisation aux mœurs de barbares (fier mais colérique, le maya avait souvent les abeilles) avec leur piercing et leur colifichets humains, on n’est pas loin des cannibales de GREEN INFERNO d’Eli Roth.  

Même avec ses partis-pris radicaux, un film presque sans dialogue, sans star, pessimiste, violent, APOCALYPTO échappe de justesse au tout venant survival hollywoodien, grâce à la foi déployée par son réalisateur qui insuffle à ses plans une énergie communicative. 

couleur  -  2h20  -  format 1:2.39

 

3 commentaires:

  1. Si on met de côté plein de choses que tu as signalées comme les délires religieux de Gibson, le gore facile, le côté déjà vu de plein de scènes, et j'en passe ... ben force est de reconnaître que Apocalypto est un film plutôt plaisant ...
    Rambo, oui, évidemment même si chez Stallone (du moins dans le 1er de la série) il y a quand même un aspect très social en plus.
    Le coup de l'éclipse pendant le sacrifice (merci Hergé), j'avais vu ça dans un autre film, mais impossible de me souvenir lequel (peut-être un Indiana Jones, ou The lost city of Z, ou 1492 Christophe Colomb, ou un autre). ça te dit rien ?

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  2. L'éclipse, non, je ne vois pas, mais c'est possible que ce soit dans un Indiana Jones, vu que Spielberg a beaucoup lu Tintin.

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  3. La fameuse éclipse opportune, ce ne serait pas dans "Kings of the Sun" de 1963 ? Avec un casting vraiment étonnant ; il est vrai que Shirley Ann Field et George Chakiris ont vraiment le type "indien" d'Amérique centrale et/ou du Sud.

    Oui, oui, oui... "Apocalypto" a de quoi être soumis à la critique. Ne serait-ce que ce terrible raccourci ne faisant des Mayas, qu'une civilisation immorale et destructrice ; et donc par là même vouée à la sentence divine (occidentale). On a l'impression que la vie de cette société tourne essentiellement autour des sacrifices. Sans omettre que la plupart des grandes cités Mayas du Yucatan étaient abandonnées à l'arrivée des Conquistadors (dont les plus célèbres tels que Tikal et Chichen Itza). (Saul Tumul, sur la côte; mais là, nous sommes en pleine forêt tropicale - cependant il est vrai que cette dernière n'a pas encore livrée tous ses secrets -).
    Malgré tout, j'ai tout de même bien apprécié ce film. Notamment parce que Gibson s'est tout de même donné du mal pour être crédible et relativement cohérent. Exercice bien difficile lorsqu'on ne dispose que de deux heures pour conter une histoire.
    (Ce qui n'excuse pas par contre les quelques erreurs de "timing" lors de la chasse à l'homme 😁)

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