vendredi 22 janvier 2021

C'ETAIT DEMAIN de Nicholas Meyer (1979) par Luc B.


Je n’sais pas vous, mais moi j’ai toujours aimé les histoires qui remontent le temps, qui télescopent les époques. Ça triture les méninges. Un genre en soi. Des bouquins comme REPLAY de Ken Grimwood (excellent, jetez-vous dessus immédiatement) ou FUGUES de Lewis Shiner (pour les amateurs de rock 60/70's) des films comme RETOUR VERS LE FUTUR, NIMITZL’ARMÉE DES DOUZE SINGES, TERMINATOR ou... LES VISITEURS. Pour ne citer que les contemporains. Le père du genre étant le romancier HG. Wells et sa MACHINE A EXPLORER LE TEMPS (1895), adapté à l'écran en 1960 par George Pal, et il existe d'autres déclinaisons. Il ne s'agit pas ici, de repartir dans le passé pour changer le cours de l'Histoire, mais pour des gens du passé d'aller dans le futur, pour éviter qu'elle se perpétue.
  
Herbert George Wells, il va en être question, puisque c’est le héros du film C’ETAIT DEMAIN réalisé par Nicholas Meyer. Il en a écrit aussi le scénario, inspiré du livre du même nom. Meyer est d’ailleurs davantage scénariste que réalisateur, on lui doit les scripts de SHERLOCK HOLMES ATTAQUE L’ORIENT EXPRESS (1976), des trucs comme LIAISON FATALE ou LA COULEUR DU MENSONGE, mais surtout de tout un tas de films de la franchise STAR TREK. Sherlock & Spock : un résumé de son univers, intrigues criminelles et science-fiction, tel est le cocktail du film. On y va...

Londres, 1893. Départ en caméra subjective, un gars aborde une prostituée, la coince dans une ruelle plongée dans l’obscurité et le fog. Quand la fille lui demande son nom, le micheton répond : « Je m’appelle John, mais mes amis m’appellent Jack ». Euh, perso, si j'étais une fille gironde à Londres dans ces années-là et que le mec qui m'aborde s'appelle Jack, je fuis à toutes jambes... pas elle. Le gars sort une lame aiguisée, et vlan, la donzelle est trucidée.

Plus tard, dans un hôtel particulier cossu, l’écrivain et inventeur Herbert George Wells réunit quelques amis à dîner, et leur parle de sa dernière invention, une machine à voyager dans le temps. Incrédulité des invités face à l’engin qui trône dans la cave, mais l’un deux, le docteur John Leslie Stevenson s’intéresse au concept. S’engage une discussion. Voyager pour aller où : dans le passé ou le futur ? Pour Wells « le futur, un futur en paix, où régnera l’amour libre, dans un monde où les maladies seront vaincues par la science ». L’amour-libre est une notion réellement développée par Wells en son temps, lui-même grand queutard porté sur la chose, en plus d’être un socialiste convaincu. Quant à la science et aux maladies... euh... y'a encore une marge de progrès... Stevenson balaie l’argument, pour lui « l’humanité est composée de chasseurs et de proies » le chaos est plus passionnant que la paix. Voyant le monde tel qu'il est devenu, il dira, plein d'amertume : « de mon temps j'étais un monstre, aujourd'hui je ne suis qu'un amateur ».
 
Ding dong. On sonne à la porte : intervention des policiers de Scotland Yard qui fouillent les maisons alentours à la recherche de Jack l’Eventreur qui vient de faire une nouvelle victime. Ils tombent sur une sacoche en cuir contenant des lames ensanglantées. Wells explique : « C’est la sacoche du docteur Stevenson, un ami, d’ailleurs il est là… ». La scène est habilement réalisée, le montage est sec, les protagonistes sont agglutinés dans le vestibule, c’est l’effervescence, sauf qu’on ne voit pas Stevenson. Et pour cause. Il vient de s'échapper grâce à la machine de Wells. Qui décide de le poursuivre...

Les effets spéciaux font sourire à l'heure du tout numérique, vintage à mort, c’est ce qui fait le charme du film. Pour matérialiser les époques qui défilent, Meyer ne choisit pas un condensé d'images, mais des retransmissions d'actualité radio. Idée géniale. Du jazz, un discours d’Hitler, le couronnement d’Elizabeth II, le Watergate, le bébé éprouvette… En 10 secondes s'écoule un siècle. Et voilà HG Wells qui atterrit au musée de San Francisco, en pleine exposition sur son œuvre ! 

Wells veut retrouver Stevenson qu’il soupçonne de vouloir commettre d’autres crimes. Mais comment faire dans ce monde qu’il ne connaît pas, ne maîtrise pas. Il se dit que Stevenson a forcément eu besoin d’argent, donc d’une banque. C’est le point de départ de son enquête.
 
HG Wells est joué par Malcolm McDowell, merveilleux acteur hélas trop vampirisé par son rôle dans ORANGE MÉCANIQUE. Le voir déambuler dans le San Francisco post-hippie en costume et casquette de tweed est un pur bonheur. Le film, divertissement grand public, confronte son héros du passé à l’époque moderne. Il s'interroge sur le prêteur sur gage juif qui a un numéro tatoué sur le poignet. A l’employée de la banque, Amy Robbins, qui en pince pour ce british bien élevé, il dit être journaliste écrivant sur l’amour-libre. Elle pouffe : « quel terme préhistorique ! ».

Aux flics américains qui l’interrogeront, il dira s’appeler Sherlock Holmes, sans savoir que le personnage de Conan Doyle est depuis entré dans la postérité. Et puis ces détails de la vie quotidienne, le téléphone, les escalators, le cinéma qui fait peur, ou lorsqu’il confie à Amy qu’il est allé dans un restaurant écossais pas terrible… McDonald.
 
Le film est rondement mené. Les idées fusent. HG Wells est le seul à connaître le meurtrier qui sévit à San Francisco. Pas évident d'expliquer aux flics ou à Amy, qui il est réellement, et d'où il vient. A moins d’une démonstration ? La scène est excellente, il embarque Amy dans sa machine pour un voyage de trois jours dans le futur. La date d'un journal sera une preuve. Sauf qu'il n’est pas toujours bon de connaître son avenir…

C'ETAIT DEMAIN** est un film astucieux, mêlant comédie, polar et suspens. L'agression dans l’appartement d’Amy, avec ce plan subjectif d’une poignée de porte (!) aurait plu à Brian de Palma. Stevenson est interprété par David Warner, une pure tronche de salaud souvent croisée au cinéma. Ça reste du pur divertissement, familial, les meurtres ne sont jamais montrés. Quand Stevenson zigouille une fille à Frisco, on ne voit que quelques gouttes de sang projetées sur son visage, qui forment une larme rouge au coin de son œil. Joli.

On objectera quelques facilités, ou raccourcis, comme le fait que Stevenson*, contrairement à Wells, semble tout de suite très à l’aise en 1979, il en apprivoise instinctivement les codes, on le voit en boite de nuit danser avec une femme noire. Pour un homme du XIXè siècle c’est une adaptation fulgurante ! Sans doute parce que le film adopte le point de vue de Wells, mais il aurait été sans doute intéressant de confronter les deux personnages, le bon et le mauvais, au monde actuel.

J'aime bien ce film, on y sent ce plaisir simple de raconter une histoire formidable, avec des acteurs convaincants, une mise en scène solide. Un peu désuet, mais divertissant. 

* Dans le roman il s’appelle Stephenson. Il devient à l’écran Stevenson, comme Robert Louis Stevenson, l’auteur de « L’Ile au trésor », un contemporain de HG Wells, est-ce un clin d’œil du scénariste ?

** Le film a été décliné en feuilleton TV en 2017 sous son  titre en V.O.  "Time after time". Ne pas confondre avec "Si c'était demain" ("Les Diamants de la vengeance") téléfilm en trois parties de 1986 avec Tom Berenger.
 
couleur  -  1h50  -  format scope 1:2.35

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire