vendredi 18 septembre 2020

TENET de Christopher Nolan (2020) par Luc B.

 

Si on vous donne un ticket de caisse en réglant votre place de cinéma, suivez ma recette. Délicatement déchiré par le milieu, chaque partie sera roulée entre vos doigts pour former une boulette plus ou moins régulière, que vous insérerez ensuite dans vos conduits auditifs. Cela vous permettra de supporter les 2h30 de la bande-son de TENET, un vrombissement omniprésent de réacteur de 747 dont les ultra-basses sont aussi profondes que le décolleté de Lolo Ferrari. Il n’y a pas que les tympans qui vibrent, mais aussi la rangée de fauteuils. Véridique. Insupportable. 

En cette période covidienne, les salles de cinéma sont désertées - c’est donc le moment d’y aller !  Les exploitants de salle attendaient quelques grosses affiches américaines pour attirer le chaland. Beaucoup de productions sortent direct sur les plateformes vidéos (les trucs Disney) mais Christopher Nolan a tenu à ce que son film sorte en salle. On le bénit pour l’intention, on lui en voudra sans doute après visionnage. D’où ce bon mot qu’on entend ici ou là : TENET sera le film qui sauvera les exploitants, car il faut au moins quatre visionnages - donc quatre entrées - pour comprendre l’intrigue !  

Christopher Nolan est obsédé par le temps : l’intrigue déconstruite de MEMENTO, les différentes échelles de temps d’INTERSTELLAR, le temps relatif ou subjectif dans INCEPTION… Avec TENET, c’est le temps inversé. Inversé, mais pas pour tout le monde.  Au sein d’une même action, d’un même plan à l'écran, des personnages ou des objets vont dans le sens de la marche, d’autres à l’envers. Ce qui donne des images bizarres, difficiles à décrypter, d’où le revisionnage intensif conseillé…

Exemple : le protagoniste (car le héros n’a pas de nom) conduit une voiture avec un impact de balle dans son rétroviseur. Ok. Pourtant, personne n’a tiré. Enfin, pas encore. La balle sera tirée plus tard, mais l’impact est déjà là. Ce temps inversé touche les objets indifféremment des individus.

Il y a une scène assez spectaculaire de poursuite en voiture qui illustre ce schéma. Des bagnoles qui vont d'un point A à un point B, pendant que d’autres (on le comprendra plus tard) vont du point B au point A. Comme cette voiture accidentée qui selon les points de vue se dé-accidente. Si on met de côté cette tambouille temporelle, TENET a au moins le mérite de nous montrer des images inédites de cinéma, comme cet immeuble en ruine qui se relève avant de s’effondrer de nouveau lorsque la chronologie inversée croise la chronologie présente. Car si Bidule marche de 12h00 à 12h02 et croise Machin qui marche de 12h02 à 12h00 (l'inversion du temps) à l’intersection, donc à 12h01, ils seront raccords. Tout en poursuivant leur trajectoire respective.

Suis-je bien clair ?

Maintenant que tout le monde a compris ce que moi-même je pense avoir compris, parlons du film. Le plus gros budget de cinéma contemporain. Christopher Nolan est comme Coppola ou Cimino en leurs temps, ou Eric Von Stroheim pour les moins jeunes, ou James Cameron, des metteurs en scène qui ont une vision, voient en grand, et sur lesquels on investit des sommes folles, espérant le bénéfice en retour. Mégalomane ? Quel artiste digne de ce nom ne l’est pas ?

Les millions de dollars sont à l’écran. Comme dans un MISSION IMPOSSIBLE cornaqué par Tom Cruise,  auquel on pense beaucoup (plus qu'à James Bond) Christopher Nolan trimbale son intrigue aux quatre coins du monde, décors somptueux, scènes d’actions énôôôrmes. Et comme ce type n’est pas un adepte du numérique, tout doit être filmé, si possible, dans les conditions du réel. TENET est filmé en pellicule 35 et 65 mm format imax**, développée sur du 70mm. Le must. De même, il fallait réellement filmer les actions à l’envers, soit en inversant le moteur de la caméra, soit pour les acteurs de les jouer à reculons, bref, une logistique incroyablement complexe.

Dans certains cas Nolan sait y faire. La scène d’introduction vous plante-là, à l’opéra de Kiev, le chef d’orchestre qui lève sa baguette, et boum ! Ou l’escalade d’un immeuble en Inde, ou encore ce Boeing 747 utilisé comme bélier pour défoncer un bâtiment. Pas une maquette, ni du virtuel, juste un vrai avion. On se souvient qu’Henri Verneuil avait fait réellement atterrir un 747 sur une autoroute dans LE CLAN DES SICILIENS (1969). Il y a un plaisir évident de la part de Nolan à faire péter la poudre, à en mettre plein la vue.

Et puis parfois, on reste dubitatif. Absent. Une scène de braquage sur une autoroute avec les camions qui encerclent la cible, pas mal mais déjà vue, sans que les chauffeurs du fourgon blindé ne s’inquiètent de rien. Et les rétroviseurs, y servent à quoi ?!! Ou la longue scène finale, censée être l’apothéose,  mais qu’on regarde poliment, sans y adhérer, car on y pige que dalle. Je ne vais pas spolier quoique ce soit, mais je n’ai pas compris le lien entre Andreï Sator (joué par Kenneth Branagh, au demeurant impeccable en salaud fini, accent russe en prime) et la bombe atomique, ni avec les peintures de Goya, ni avec tout le reste !

Si on ne comprend pas les enjeux dramatiques, comment voulez-vous suivre le film ? Les images se suivent, souvent spectaculaires, et on s’en fout. On s'ennuie presque. Les séquences du début sont symétriquement rejouées à la fin, sous l'angle de la chronologie inversée. Comme la poursuite en voiture, l'échange de mallette, ou la scène (réussie) sur le bateau de Sator* avec sa femme. Une figure féminine intéressante, par son humanité, ses fêlures, et son physique (
Elizabeth Debicki une blonde triste d’1m90) objet de tous les tourments. Andreï Sator, le super-méchant du film, cousin de Doctor No, est un jaloux maladif, odieux et violent avec la mère de son fils. Finalement, on le déteste davantage parce qu’il veut dérouiller sa femme que parce qu’il veut faire exploser la planète !

En leur temps personne n’a pigé 2OO1, l’odyssée de Kubrick, ou le MULHOLLAND DRIVE de David Lynch, qui pourtant restent parmi les films les plus beaux, étranges, poétiques et envoûtants (jugement qui ne tient qu’à moi !). Je souhaite à TENET le même destin. Sauf que dans les deux cas pré-cités, la non compréhension de l’intrigue n’était pas un handicap en soi, car l’intérêt était ailleurs. Et ni Kubrick ni Lynch ne donnaient les clés. Au spectateur de se faire sa propre idée. Mais TENET tient du film d’action, d’espionnage, pas de la rêverie contemplative. Donc Nolan se sent obligé de fournir la notice d’explication par de longues et laborieuses scènes dialoguées auxquelles on entrave que dalle ; c'est la française Florence Poésy qui s'y colle. Hormis ces salmigondis, je trouve que la mise en scène pure, dictée par ces contingences techniques lourdes, ne se révèle pas si virtuose que ça.

Les acteurs font le job, John Davis Washington découvert dans BLACKKKLANSMAN, n'a pas grand chose à défendre mais le charme agit, Robert Pattinson s'en sort sans doute mieux, et on est toujours content de retrouver le doyen Michael Caine (138 ans ?) même trois secondes à l'écran.

Je vois bien la vision d'auteur dans ce film, et les efforts fournis, mais c'est juste imbitable. Vous vous souvenez de cette chanson de Jean Gabin « Je sais » qui commençait par « Quand j'étais gosse haut comme trois pommes, j'parlais bien fort pour être un homme, j'disais, je sais, je sais, je sais… » et se terminait par « Maintenant je sais, je sais qu'on ne sait jamais ». Et bien moi j’ai compris (Roulement de tambour) j’ai compris qu’il ne fallait surtout pas chercher à comprendre…

J'attends avec impatience les commentaires de ceux qui l'ont vu et/ou compris...

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TENET est un palindrome. Un mot qui se lit indifféremment dans les deux sens. Comme radar, ou gag. Comme l'intrigue du film, et comme le nom de certains personnages ou situations : Sator/Rotas, Opéra/Arepo... voir photo ci-dessus, de droite à gauche, de haut en bas, les mêmes mots.

** en format imax la pellicule 65 mm ne défile pas verticalement mais horizontalement. La largeur de l’image devient donc sa hauteur, d'où une surface d'exposition doublée et cette définition incroyable.



couleur  -  2h30  - scope 1:2.35 / 70 mm

 

 

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