Dans
son livre d’entretien avec Alfred Hitchcock, François Truffaut lui dit :
« J’étais impatient d’en arriver à Notorious, car c’est vraiment celui que
je préfère de vos films, période noir et blanc ». Il est pénible ce
Truffaut, car c’est exactement par ces mots que je voulais introduire cette
chronique ! Dans sa période américaine en noir et blanc, j’adore L’OMBRE
D’UN DOUTE mais place NOTORIOUS au sommet. C’est certainement une de ses plus belles réalisations.
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Nous
sommes en 1944. Officiellement la bombe atomique n’existe pas. Le producteur
trouve donc l’idée stupide, et revend le projet aux studios RKO. Hitchcock
raconte que des années plus tard il croise un producteur qui
lui demande : « comment avez-vous eu l’idée de l’uranium et de la
bombe ? Nous l’avions refusée » Hitchcock répond non sans ironie : « cela
montre à quel point vous aviez tort de croire que le MacGuffin est important,
ça vous a fait perdre beaucoup d’argent ». Le film a coûté deux millions
de dollars, en a rapporté huit.
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Il
est là le nœud ! Devlin doit jeter dans les bras d’un autre la femme dont
il est amoureux, et faire en sorte qu’elle se détache de lui pour que la
mission fonctionne. D’où leurs rapports tendus, les petites piques qu’il lui
adresse, son dédain affiché alors qu’intérieurement il enrage. Pourtant
tout avait bien commencé. Devlin s’invite à une soirée donnée par Alicia, regardez
comment Hitchcock cadre son personnage de dos, dans l’ombre, personnage
énigmatique, qui est cet invité ? Elle est saoule, veut partir en balade.
Ils partent en voiture, il lui dit « Prenez un manteau » elle répond
« Vous suffirez ». Arfff, quand c’est Ingrid Bergman qui vous lâche
ça…
Plan
rigolo : la voiture est une décapotable, le vent décoiffe Alicia, gênée par une mèche devant ses yeux, elle se plaint du brouillard. Hitchcock insère un plan subjectif, sa vision troublée par les cheveux ! Un flic les arrête, Devlin lui fait passer discrètement son badge, la caméra suit le mouvement de sa main,
le badge passe sous le nez d’Alicia, le flic s'excuse « oh pardon je ne savais
pas » le mouvement repart dans l’autre sens. Pas d’amende. Alicia comprend
que Devlin est lui aussi de la police.
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Un autre plan à priori anodin mais génial. Devlin organise la rencontre entre
Alicia et la cible : Sebastian. Cela se fera lors d’une balade à cheval, Devlin provoque le canasson d’Alicia qui rue, Sebastian témoin de la scène se porte à son secours. Plan suivant : Devlin est à la terrasse du café où il a l'habitude de rencontrer Alicia, mais cette fois la
chaise devant lui est inoccupée. Il attend, puis comprend qu'Alicia ne viendra pas. Uniquement par cette image de chaise vide, Hitchcock informe
le spectateur : Alicia n'est plus dispo car vraisemblablement avec Sebastian. Son stratagème a réussi. C'est ce qu'on appelle une ellipse de temps. Brillant.
Figure
récurrente chez Hitchcock : la mère castratrice. Dans le genre, la mère de
Sebastian se pose-là, on pense à PSYCHOSE dans les rapports mère/fils. Quand elle accueille Alicia qui
emménage, Hitchcock la filme de loin descendre un escalier et venir au tout
premier plan. Elle est terrifiante. Sebastian demande Alicia en mariage, les
services secrets approuvent, Devlin fait la gueule, Alicia s’installe
chez Sebastian. Très tôt, deux trucs clochent. Lors d’un dîner, un invité est
comme pris de panique en voyant les bouteilles de vin choisies pour le repas.
Et y’a cette histoire des clés, dont une en particulier, celle qui ouvre la
porte de la cave à vin, justement… Quel mystère se cache à la cave ?
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Sebastian,
que ses activités clandestines et criminelles rendent parano, va
suspecter le double jeu de sa femme, et ira pleurer dans les jupes de sa mère,
qui suggérera : « elle doit disparaître,
mais lentement… ». Et surtout discrètement, les complices Sebastian ne devant surtout
pas apprendre qu’il s’est fait rouler par sa greluche. Géniale
scène de la tasse à café empoisonnée… Hitchcock ouvre un deuxième front :
comment exfiltrer Alicia ? L’idée fabuleuse
est de reprendre le même dispositif que pour la scène du baiser à Miami, un
cadrage très serré, tout en mouvement. Souvenez-vous de la maxime hitchcockienne : il faut filmer une scène d'amour comme une scène de meurtre, et inversement !
Le film se finit sur un plan terrifiant. La porte d’entrée de la maison de Sebastian, de loin, petit rectangle lumineux dans la nuit, on distingue les silhouettes menaçantes de deux complices dans l’encadrement, ils invitent Sebastian à rentrer, lui est terrifié, contraint de les rejoindre pour ne pas perdre la face, mais il comprend qu'il est trop tard et la grosse porte noire se referme lentement derrière lui… THE END.
Le film se finit sur un plan terrifiant. La porte d’entrée de la maison de Sebastian, de loin, petit rectangle lumineux dans la nuit, on distingue les silhouettes menaçantes de deux complices dans l’encadrement, ils invitent Sebastian à rentrer, lui est terrifié, contraint de les rejoindre pour ne pas perdre la face, mais il comprend qu'il est trop tard et la grosse porte noire se referme lentement derrière lui… THE END.
LES
ENCHAINES (titre français) est un film magnifique, les trois interprètes se
surpassent de justesse et de précision, Ingrid Bergman et Claude Rains se retrouvent réunis après CASABLANCA, Cary
Grant traverse le film de son élégance teintée de noirceur. Alfred Hitchcock enchaîne les
morceaux de bravoures, une mise en scène toujours très visuelle. Il s’amuse
avec les effets optiques pour traduire l’ébriété d’Alicia (ce plan où depuis
son lit elle voit Devlin la tête en bas) et suggérer son empoisonnement. Un même procédé d’autant
plus intelligent que toute la question est de savoir si Alicia est retombée
dans l’alcool par dépit amoureux, ou si elle est réellement malade.
J’aurais
aimé vous décrire par le menu chaque scène, chaque plan, tellement on touche à
la perfection. Cela ne s’appellerait pas écrire une chronique, mais une
encyclopédie !
Au moins un des trois meilleurs Hitchcock, ce qui n'est pas rien ...
RépondreSupprimerAprès avoir vu Casablanca et celui-là, tu deviens amoureux à vie d'Ingrid Bergman ...
Sinon, rien à ajouter ...