Voilà
une comédie que j’avais ratée au cinéma, mais vue à la télé. Je vous en parle parce que c'est un scénario plutôt original avec un parti-pris d’écriture qui tient sur toute la
durée. Ce qui est rare. On se dit souvent devant certains films, l’idée est
bonne, dommage de ne pas l’avoir mieux exploitée. Ici, c’est le cas.
Le
film est la première réalisation de Clovis Cornillac, fils de l’immense Myriam Boyer. Catalogué cinéma d’auteur au début de
sa carrière (il tourne avec Guillaume Nicloux, Thomas Vincent, Catherine Corsini)
il a surtout œuvré au théâtre. Etre casté par Peter Brook me
semble un gage de talent… Ensuite Cornillac apparait dans des films plus
grands publics, le type qui en guise de pied n’a qu’un gros orteil dans BRICE
DE NICE, c’est lui.
UN
PEU, BEAUCOUP, AVEUGLEMENT est aussi un film de famille. Clovis Cornillac l’écrit, l'interprète
et le réalise, sur un scénario original de Lilou Figoli, une des deux comédiennes, qui est madame Cornillac dans la vraie
vie. Le principe est simple : une comédie romantique qui respecte toutes les lois ultra codées du genre, mais
sans que les deux tourtereaux ne se croisent une seule fois ! Et là, vous
me demandez : pourquoi ? Ben j’vais vous l’dire…
Clovis
Cornillac joue le rôle d’un misanthrope qui vit reclus dans son appartement,
occupé à inventer des jeux de société. Il ne veut ni voir ni entendre personne.
Sauf qu’une voisine s’installe dans l’appartement mitoyen. En réalité dans l’immeuble
qui jouxte le sien et dont les cloisons, par un défaut de construction, sont
très fines. Cornillac cherche à la faire fuir par quelques stratagèmes, bruits
oppressants de films d’horreur laissant entendre que les lieux sont hantés. La
voisine surmonte le premier choc, pose définitivement ses valises, et la guerre
entre voisins peut commencer.
Première
partie réjouissante, où chacun cherche à emmerder son voisin. Elle joue du
piano et donne des cours. Insupportable ! Lui joue de la perceuse et du
marteau. Le rythme est soutenu, on se croirait dans les screwball comedy hollywoodiennes
chères à Howard Hawks, répliques et gags fusent à la minute. Deuxième phase :
l’apaisement. Les deux voisins s’accordent des plages horaires pour vaquer à
leurs occupations respectives sans déranger l’autre. Et le lien se tisse. Dans une comédie romantique, les protagonistes qui ne se supportent pas au départ tombent dans les bras l’un
de l’autre à la fin, c’est connu.
Les
deux amoureux décident d’entretenir une liaison forcément platonique par cloison
interposée. C’est ça l’idée. Ne rien savoir de l’autre. Ils s’appellent Machin
et Machine, déplacent lit et table contre la cloison pour manger et dormir
ensemble. La mise en scène est intelligente. Elle privilégie les plans d’ensemble (format scope bien adapté)
coupés en deux par la cloison, symétrique, théâtrale, l’une à gauche, l’autre à
droite. Plans très géométriques, on songe à NEW YORK - MIAMI de Franck Capra (1934, Claudette Colbert et
Clark Gable) la fameuse scène du coucher du couple séparé par un drap tendu. Ca culmine
avec la scène du diner à quatre, où chacun prépare le même repas (réussi d’un
côté, cramé de l’autre) et où après quelques instants de consternation de la
part des invités, l’ambiance se réchauffe, et tout devient le plus normal du monde.
Partager un repas avec des gens séparés par un mur en parpaing. (article écrit bien avant le confinement et les apéros skype...)
Il
y a quelques développements dans l’intrigue, la sœur de Machine et ses amants
dont les ébats sexuels et sonores provoquent la jalousie de Machin derrière son
mur, Machine et sa relation ambiguë avec son prof de piano qui la prépare au concours
du conservatoire, Machine qui cherche à retrouver Machin dans le quartier, pense l’avoir trouvé, se plante, et commence alors
une relation avec un parfait inconnu. C’est sans doute là que la mécanique s’enlise
un peu, mais ça repart avec l’audition au conservatoire où on se dit, cette
fois ils vont se voir, se croiser, sauf que toujours pas…
Une
très belle idée de scénario, originale, et tenue jusqu’au bout. C’est ça qui
force le respect, par rapport aux comédies formatées. Cornillac ne lâche pas
son point de vue, en développe tous les aspects ou presque. Autre qualité, peu
de personnages, pas de psychologie à deux balles, on n’explique pas la misanthropie
de Machin, c’est juste un fait, un trait de caractère, Cornillac filme une
situation et ne se disperse pas.
Machine
est jouée par Mélanie Bernier, charmante, mais qui manque parfois de profondeur et de peps (n’est
pas Katharine Hepburn qui veut, mais on y pense) cintrée dans sa bonne
éducation, qui devient sexuellement volcanique dans son interprétation
orgasmique de Chopin. Philippe Duquesne est comme toujours parfait dans le rôle
du pote, y’a Manu Payet en employé de superette dont on aurait voulu que le
personnage soit plus affiné. Lilou Figoli à part faire la
blondasse nympho bien foutue du cul n’a pas d’autre utilité. C’est d’autant plus triste qu’elle a
co-écrit le film.
Vous
en avez marre des comédies Dubosc/Clavier/Boon, UN PEU, BEAUCOUP, AVEUGLEMENT est
une petite réussite qui fourmille de belles idées, bien rythmée, très influencée par
la comédie américaine 40’s, au point ou se demande comment Hawks, Capra, Cukor
ou Lubitsch (les maîtres) n’y avaient pas pensé avant.
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