lundi 8 juin 2020

UN PEU, BEAUCOUP, AVEUGLEMENT de Clovis Cornillac (2015) par Luc B.


Voilà une comédie que j’avais ratée au cinéma, mais vue à la télé. Je vous en parle parce que c'est un scénario plutôt original avec un parti-pris d’écriture qui tient sur toute la durée. Ce qui est rare. On se dit souvent devant certains films, l’idée est bonne, dommage de ne pas l’avoir mieux exploitée. Ici, c’est le cas.
Le film est la première réalisation de Clovis Cornillac, fils de l’immense Myriam Boyer. Catalogué cinéma d’auteur au début de sa carrière (il tourne avec Guillaume Nicloux, Thomas Vincent, Catherine Corsini) il a surtout œuvré au théâtre. Etre casté par Peter Brook me semble un gage de talent… Ensuite Cornillac apparait dans des films plus grands publics, le type qui en guise de pied n’a qu’un gros orteil dans BRICE DE NICE, c’est lui.
UN PEU, BEAUCOUP, AVEUGLEMENT est aussi un film de famille. Clovis Cornillac l’écrit, l'interprète et le réalise, sur un scénario original de Lilou Figoli, une des deux comédiennes, qui est madame Cornillac dans la vraie vie.  Le principe est simple : une comédie romantique qui respecte toutes les lois ultra codées du genre, mais sans que les deux tourtereaux ne se croisent une seule fois ! Et là, vous me demandez : pourquoi ? Ben j’vais vous l’dire…
Clovis Cornillac joue le rôle d’un misanthrope qui vit reclus dans son appartement, occupé à inventer des jeux de société. Il ne veut ni voir ni entendre personne. Sauf qu’une voisine s’installe dans l’appartement mitoyen. En réalité dans l’immeuble qui jouxte le sien et dont les cloisons, par un défaut de construction, sont très fines. Cornillac cherche à la faire fuir par quelques stratagèmes, bruits oppressants de films d’horreur laissant entendre que les lieux sont hantés. La voisine surmonte le premier choc, pose définitivement ses valises, et la guerre entre voisins peut commencer.
Première partie réjouissante, où chacun cherche à emmerder son voisin. Elle joue du piano et donne des cours. Insupportable ! Lui joue de la perceuse et du marteau. Le rythme est soutenu, on se croirait dans les screwball comedy hollywoodiennes chères à Howard Hawks, répliques et gags fusent à la minute. Deuxième phase : l’apaisement. Les deux voisins s’accordent des plages horaires pour vaquer à leurs occupations respectives sans déranger l’autre.  Et le lien se tisse. Dans une comédie romantique, les protagonistes qui ne se supportent pas au départ tombent dans les bras l’un de l’autre à la fin, c’est connu.
Les deux amoureux décident d’entretenir une liaison forcément platonique par cloison interposée. C’est ça l’idée. Ne rien savoir de l’autre. Ils s’appellent Machin et Machine, déplacent lit et table contre la cloison pour manger et dormir ensemble. La mise en scène est intelligente. Elle privilégie les plans d’ensemble (format scope bien adapté) coupés en deux par la cloison, symétrique, théâtrale, l’une à gauche, l’autre à droite. Plans très géométriques, on songe à NEW YORK - MIAMI de Franck Capra (1934, Claudette Colbert et Clark Gable) la fameuse scène du coucher du couple séparé par un drap tendu. Ca culmine avec la scène du diner à quatre, où chacun prépare le même repas (réussi d’un côté, cramé de l’autre) et où après quelques instants de consternation de la part des invités, l’ambiance se réchauffe, et tout devient le plus normal du monde. Partager un repas avec des gens séparés par un mur en parpaing. (article écrit bien avant le confinement et les apéros skype...)
Il y a quelques développements dans l’intrigue, la sœur de Machine et ses amants dont les ébats sexuels et sonores provoquent la jalousie de Machin derrière son mur, Machine et sa relation ambiguë avec  son prof de piano qui la prépare au concours du conservatoire, Machine qui cherche à retrouver Machin dans le quartier,  pense l’avoir trouvé, se plante, et commence alors une relation avec un parfait inconnu. C’est sans doute là que la mécanique s’enlise un peu, mais ça repart avec l’audition au conservatoire où on se dit, cette fois ils vont se voir, se croiser, sauf que toujours pas…
Une très belle idée de scénario, originale, et tenue jusqu’au bout. C’est ça qui force le respect, par rapport aux comédies formatées. Cornillac ne lâche pas son point de vue, en développe tous les aspects ou presque. Autre qualité, peu de personnages, pas de psychologie à deux balles, on n’explique pas la misanthropie de Machin, c’est juste un fait, un trait de caractère, Cornillac filme une situation et ne se disperse pas.
Machine est jouée par Mélanie Bernier, charmante, mais qui manque parfois de profondeur et de peps (n’est pas Katharine Hepburn qui veut, mais on y pense) cintrée dans sa bonne éducation, qui devient sexuellement volcanique dans son interprétation orgasmique de Chopin. Philippe Duquesne est comme toujours parfait dans le rôle du pote, y’a Manu Payet en employé de superette dont on aurait voulu que le personnage soit plus affiné. Lilou Figoli à part faire la blondasse nympho bien foutue du cul n’a pas d’autre utilité. C’est d’autant plus triste qu’elle a co-écrit le film.
Vous en avez marre des comédies Dubosc/Clavier/Boon, UN PEU, BEAUCOUP, AVEUGLEMENT est une petite réussite qui fourmille de belles idées, bien rythmée, très influencée par la comédie américaine 40’s, au point ou se demande comment Hawks, Capra, Cukor ou Lubitsch (les maîtres) n’y avaient pas pensé avant.
 couleur  -  1h30  -  scope 1:2.35    

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