Le "Jason" c'est pour Jason Ringenberg. Un drôle de coco qui n'a pas froid aux yeux et qui ne s'en laisse pas conter. Plutôt que de s'investir dans l'élevage de porcs des parents, il s'éprend de la Country. En intégrant l'université, il joue avec des groupes de Country mais aussi de Rock. Précisément de Psychobilly. Et puis, en juillet 1981, au volant de sa camionnette chargée de son matériel, il quitte son Illinois natal pour s'installer à Nashville. Il ne tarde pas à monter un premier groupe où il joue de la Country avec une énergie débordante, proche du punk. Le groupe, Jason & The Nashville Scorchers, ne fait pas long feu et n'aurait pas été très bon (pour ne pas dire mauvais).
Cependant, deux lascars, deux amis d'enfance qui ont assisté à l'un de ces concerts, ont apprécié l'approche. S'estimant bien meilleurs musiciens que les loustics accompagnant Jason, ils pensent pouvoir en faire quelque chose. Warner E. Hodges et Jeff Johnson contactent alors Ringenberg pour relancer le groupe avec eux. L'affaire conclue, Hodges appelle un vieux copain de classe pour tenir la batterie. Avec l'arrivée de Perry Baggs, Jason & The Scorchers est au complet et réalise son premier concert pour le nouvel an 1981.
Quelques mois plus tard, la bande réalise un premier Ep de quatre chansons, "Reckless Country Soul", qui est généralement considéré comme le premier disque de Cow-punk et de Country-alternative. Pour les puristes, ce ne sont que d'irrespectueux voyous, des blasphémateurs salissant la Country par des décharges électriques. Des mœurs normalement attribuées aux primates issus du bruyant Hard-rock, ou pire, aux décadents Punks. D'autant que généralement ces derniers ne semblent pas être de bons patriotes ! 😡 Pas bien !
Mais Jason & The Scorchers ne laissent pas indifférent, et se créent autant une fan-base qu'un conclave de censeurs qui leur passeraient bien la corde au cou.
Leurs prestations haute-énergie rameutent du monde, et telles les ondes sismiques de l'hypocentre, le bouche à oreille part de Nashville pour se diffuser en ondes concentriques. R.E.M. est déjà conquis et les deux groupes tournent parfois ensemble (ils deviendront rapidement amis). Mais on raconte aussi que Bill Wyman et Steve Jones en personne ont fait le déplacement pour les voir.
En 1983, la troupe sort un second Ep (cette fois-ci avec six chansons) "Fervor" qui va faire date. Ep produit par Terry Manning, l'ingénieur attitré de Bill Ham (ZZ-Top et Point Blank) (1). Un journaliste de la revue Rolling Stone écrit que le disque "réécrit l'histoire du Rock'n'Roll dans le Sud". Le groupe a le vent en poupe mais malheureusement leur label fait faillite. Une contrainte surmontée avec la signature du géant EMI en 1984 qui s'empresse de ressortir le disque avec un nouveau titre en ouverture. Une relecture punkisée du "Absolutely Sweet Marie" de Bob Dylan. Probablement plus inspirée de la version des Flamin' Groovies que de l'originale, cependant Dylan en personne valide cette version. Dorénavant, cette chanson est un classique du groupe, un incontournable de leurs concerts.
Les loustics partent conquérir l'Europe, séduisant même l'exigeante Angleterre, y compris la presse musicale réputée pour ses articles au vitriol mettant au pilori ceux qui, pour une raison ou une autre, déplaisent aux critiques. Il ne fallait plus qu'un disque pour confirmer et asseoir un succès expansionniste. "Lost & Found" sort sans crier gare en 1985, et met un furieux coup de latte dans la fourmilière. La diffusion radiophonique et le clip de "White Lies" (diffusé par MTV, du temps où c'était une chaîne musicale) avivent la curiosité des derniers incrédules. Les curieux se précipitant alors sur ce premier long-player, n'en ressortent pas déçus. Si ce n'est que certains en ressortent avec les sourcils cramés, parfois aussi la tignasse, conséquence d'une première face qui démarre dans un concert de flammes, tel un hot-rod surpuissant cabrant au démarrage, expectorant des flammes de son double pot d'échappement.
Ainsi, lorsque retentissent les premières notes de "Last Time Around", on est happé par un nouvel univers (pour l'époque) à la fois frais - même si ça sent un peu le kérosène sur les bords - revigorant, musclé et sévèrement entraînant. Au point de faire retomber l'auditeur dans une adolescence difficile, mais inconsciente et pleine d'énergie, pris d'une irrésistible envie de tout envoyer en l'air, de faire de la place pour gesticuler comme un demeuré, dans une danse de Saint-Guy.
Baggs, en dépit de ses airs de petite nature, brutalise ses fûts avec une force insoupçonnée, avec la précision méthodique d'un chirurgien psychopathe. Johnson, d'un son claquant - qui laisse subodorer qu'il utilise d'épais plectres en métal ou en corne - établit un robuste écran sonore à faire pâlir de jalousie tous les groupes Punks du monde. Hodges développe un jeu acrobatique et belliqueux ; enfant du Rock'n'Roll et de la Country, nourri au son du Hard-rock, tel un diable surexcité, il n'a de cesse de sauter d'un plan à un autre. Pourtant, et c'est en partie ce qui en fait un guitariste exceptionnel, jamais il ne casse le rythme ou la musicalité des chansons. Enfin, Jason chante comme un John Lyndon épris de Hank Williams et de Waylon Jennings.
"White Lies" enchaîne brutalement, ne laissant aucun répit. Un peu moins nerveux et en dérapage contrôlé, le morceau n'en est pas moins un manifeste de pur Heavy-country-rock'n'roll. (avec le recul Hodges pensa avoir surjouer sur ce morceau)
Désormais lancé à pleine vitesse, l'accélérateur pied au plancher, "If Money Talks" enquille un furieux Rock'n'Roll ; une fiesta où Rose Tattoo aurait embauché George Thorogood, et pour le ruine-babines Lee Brilleaux.
Avec "I Really Don't Want to Know", l'odeur âcre des freins usés jusqu'au fer chatouille les narines ; la machine freine des quatre fers pour ralentir considérablement le tempo, mais le moteur continue de rugir. Les Inmates ont quitté la vieille Europe pour Nashville. A l'origine, cette chanson est une bluette country (n° 1 en 1954 par Eddy Arnold), reprise maintes fois et popularisée par Solomon Burke (1962) puis par Elvis Presley ("Elvis Country"). Jason et ses écorcheurs en ont fait une version copieusement électrifiée et méconnaissable. Les paroles même n'ont pas été intégralement respectées.
Après ces multiples décharges électriques, "Blanket Of Sorrow" surprend avec son violon (1) et son rythme vivace de Line Dance.
"Shop It Around" clôture la première face sur un air de Country Nashvillien - un brin Pop -, cependant, les autres lascars omettent de baisser le volume. En particulier Hodges qui s'obstine à laisser brancher une grosse et décoiffante disto.
Pour situer en quelques mots ce fameux Warner E. Hodges, disons qu'il est issu d'une famille de musiciens, ses parents se produisant régulièrement au sein d'un petit orchestre de Country (en Allemagne, au sein d'un corps militaire américain). Son père étant guitariste et sa mère chanteuse. Le jeune Warner s'initie à la batterie, jusqu'à pouvoir accompagner ses parents. Le père Noël de l'an 70 (en fait, son frère aîné) lui dépose au pied du sapin trois disques : les premiers de Led Zeppelin et de Black Sabbath et un de Jimi Hendrix. Plus tard, alors que la ville parle de la venue d'un groupe Anglais fort d'un guitariste remarquable, son père amène la famille assister au concert. Ainsi, après assisté à une prestation de Deep-Purple et donc de Ritchie Blackmore, Warner change d'instrument pour la guitare. De retour aux USA, il découvre AC/DC qui devient et restera son groupe préféré. Pour finir, il s'intéresse un temps au Punk, notamment aux Sex Pistols, en jouant lui-même dans quelques groupes éphémères (avec Jeff Johnson ?).
La seconde face commence de façon aussi énergique que la première avec un "Lost Highway" peut-être un peu moins chargé en octane, mais tout aussi exaltant. Notamment grâce à "Locomotive Braggs" et "Motor Johnson" qui envoient le charbon, s'empressant de maintenir la machine dans un régime à faire couler une bielle.
Par contre, "Still Tied" prend à rebrousse-poils avec sa Country pour redneck mélancolique après quelques verres bien tassés. Toutefois, elle correspond à ce que Hodges a appris à jouer avec ses parents. Repêché de "Fervor", "Broken Whiskey Glass" semble suivre le même chemin avant de dévier vers la ballade douloureuse.
"Tu as traversé une vallée imprégnée de sang. Ma douleur vierge n'était simplement pas suffisante pour satisfaire la seule chose dans la vie que tu désires encore : une robe de dentelle et une pinte de gin. Un petit paradis dans une aiguille pleine de péché... Un jour vous trouverez une épitaphe qui se lit : ici se trouve Jason, étranglé par un amour qui ne respirait pas"
Et puis ... 💥 Vlan ! Le morceau prend soudainement le chemin d'un Rock'n'Roll à la Jerry Lee Lewis, avec piano de rigueur et boosté par la guitare de Hogdes.
"Far Behind" revient dans le giron de la Country, pur, sobre, sans emphase, 100% acoustique dans un dépouillement où seuls s'expriment violon, guitare folk, piano et chants. Petite chanson d'amour déçu, chantée seule, perdue sur le sommet du dôme Clingmans, s'interrogeant, en réflexion avec soi-même.
"Change the Tune" clôt ce troisième chapitre, ce premier album, en revenant au Rock'n'Roll high octane.
"Peut-être que je dis ce que je ne devrais pas dire, car vos héros se demandent quoi dire. Le moment est venu de changer de musique !"
Une seconde face bien moins enivrante avec ses quelques plages mélancoliques, mais ne manquant pas d'attraits. Et contenant tout de même deux classiques régulièrement joués live, voire trois si l'on repêche "Change The Tune".
La suite sera faite de hauts et de bas, de succès et d'embûches, de joies et de regrets. La vie quoi, mais quoi qu'il en soit, Jason & The Scorchers n'a jamais sorti de mauvais albums. On peut juste regretter qu'il n'y ait que six albums studios et deux Ep, et que Jason Ringenberg et Warner E. Hodges s'évertuent à faire chacun des disques solo alors qu'ils ne sont jamais aussi bons que lorsqu'ils sont réunis, accompagnés de leur section rythmique marchant comme une locomotive Alco 4-8-4 Dixie emballée.
Euuhhh... Mais dans quel compartiment devrait-on classer le groupe ? C'est pour essayer de répondre à cette épineuse interrogation que l'on a inventé les termes de "Country-punk" et de "Cow-punk", "punkabilly" aussi, dans lesquels vont s'engouffrer toute une pléiade de jeunes prétendants plus ou moins méritants. Aux USA, il est d'ailleurs admis que Jason & The Scorchers ont été les inventeurs de la Country alternative, et que même des groupes tels que Blackberry Smoke et des artistes tels que Steve Earle, leurs étaient redevable. Le groupe est aussi assimilé au Southern-rock, parfois au Hard-rock (notamment par rapport à la débauche d'énergie et la tonalité de l'orchestre), ainsi qu'au Heartland-rock (appellation concernant plutôt les Mellencamp, Petty, Springsteen, Etheridge, Seger).
Side one
- Last Time Around 3:06 (Ringenberg, Baggs, Johnson, Hodges)
- White Lies 3:19 (Baggs, Napier)
- If Money Talks 2:33 (Baggs, Napier)
- I Really Don't Want To Know 4:29 (Ringenberg)
- Blanket of Sorrow 2:19 (J. Ringenberg)
- Shop It Around 2:58 (J. Ringenberg)
Side two
- Lost Highway 2:00 (Payne)
- Still Tied 3:20 (J. Ringenberg)
- Broken Whiskey Glass 3:50 (Ringenberg)
- Far Behind 3:50 (Johnson, Baggs)
- Change the Tune 2:39 (Johnson, Ringenberg)
Personnel
- Jason Ringenberg - vocals, harmonica, acoustic guitar
- Warner Hodges - electric guitar, acoustic guitar, mandolin, steel guitar, Nashville high string acoustic
- Perry Baggs - drums, vocals
- Jeff Johnson - bass guitar, acoustic guitar, vocals
(1) Terry Manning gagne ses titres de noblesses en tant qu'ingénieur de ZZ-Top à partir de "Tres Hombres" et avec le "Led Zeppelin III". Dans les années 80, il prend son envol en qualité de producteur ou d'ingénieur (souvent les deux à la fois) pour The Angels, George Thorogood, Joe Cocker, Johnny Diesel, et plus tard pour Lenny Kravitz.
(1) Tenu par The great Kenneth Lovelace, ou simplement Kenny Lovelace, plus connu pour avoir été longtemps le guitariste de Jerry Lee Lewis, et le chef de groupe de ses Memphis Beats. Il a aussi enregistré pour Carl Perkins et Johnny Cash.
🎶♩🌀☆
J'ai découvert Jason and the Scorchers en 83 avec le fameux EP "Fervor" c'était à l'époque du vinyl .....depuis j'ai dégotté une réédition cd de "Fervor" couplé avec ce "Lost and Found" ! Royal! Ils n'ont pas fait mieux par la suite hélas . Les titres de "Fervor" sont bien emblématiques des années 80 et du country-rock déjanté de ces années là (Rank and File , Lone Justice....)
RépondreSupprimerUn "Fervor" vraiment très difficile à dénicher. Personnellement, en dépit de multiples et d'éreintantes recherches, je n'ai pu mettre la main dessus qu'avec la réédition - bien tardive - en CD. Celle donc fusionnée à "Lost & Found". Avec les faces de ce dernier interverties (!).
SupprimerLes albums suivants valent aussi largement le détour, jusqu'au dernier (de la reformation). Mais "Lost & Found" fait effectivement parti des meilleurs
ils n'ont pas fait mieux mais aussi bien avec le suivant. Thunder and fire de 89 est aussi très bon quoique plus consensuel. Pour terminer, je conseille fortement l'écoute des deux albums des années 90, forcément passés inaperçus et c'est fort dommage.
SupprimerEffectivement, leurs deux albums des années 90 valent leur pesant de cacahuètes. Et même plus. Encensés par certains, mais critiqués par d'autres leur reprochant de sonner trop hard (?).
SupprimerSinon, il y a "Halcyon Time", sorti bien discrètement en 2010, qui, bien que ne suivant pas la comparaison avec ses prédécesseurs, mérite le détour.
J'ai acquis récemment halcyon times, encore un très bon album.
Supprimer👍🏼 Yes ! Inégal (de mémoire) mais avec encore, toujours, d'excellents morceaux.
SupprimerHélas, c'est passé inaperçu...