mercredi 3 juin 2020

BLOODROCK " 2 " (1970), by Bruno



     BLOODROCK n'a jamais percé en Europe et est resté un second couteau américain pendant toute son existence. La débauche d'énergie dépensée à être continuellement sur la route (1), le respect de leurs pairs, et non des moindres - ouvrant pour tous les grands d'alors, de Mountain à Grand Funk Railroad, et même Jimi Hendrix, ayant même des soirées au Fillmore East (2) - n'ont pas suffit à en faire un groupe majeur. Le groupe parvient à vendre suffisamment de galettes pour apparaître dans le billboard. Mais aujourd'hui, son patronyme n'est connu que des seuls fondus du Rock 70's.
 

   Tout commence en 1963, à Fort Worth, Texas, ville de cow-boys, avec le batteur Jim Rutledge, les guitaristes Nick Taylor et Weldon Dean Parks et le bassiste Ed Grundy, réunis sous le patronyme "The Naturals". Après un unique 45 tours en 1965, la formation se rebaptise "Crowd + 1" et parvient à sortir une poignée de 45 tours hésitant entre Pop mielleuse, psychédélisme et proto-hard ("Don't Hold Back" de 1968).

Dean Parks quitte la précarité du groupe avant la fin de la décennie pour devenir un musicien de session réputé (on le retrouvera chez Bobby Blue Band, Sonny and Cher, Steely Dan, America et une belle tripotée de disques divers, de Joe Cocker à Michael Jackson en passant par Linda Ronstadt). Lee Pickens prend la relève et peu de temps après, Stevie Hill est recruté pour jouer des claviers

     En 1969, le quintet a oublié toute velléité de Pop doucereuse pour développer un penchant proto-hard initié l'année précédente avec le single "Don't Hold Back".
 Il est repéré par le terrible manager de Grand Funk RailroadTerry Knight. Un gars connu pour son autorité, ses manières douteuses et ses avis tranchés, mais qui connaît les ficelles pour faire fructifier ses poulains. Et en conséquence directe son porte-feuille. C'est Knight qui incite le changement de patronyme pour Bloodrock. Effectivement, il faut rompre avec un passé qui n'a plus guère de liens avec un chemin plus rocailleux et saignant.

     C'est en toute logique qu'un contrat avec Capitol Records - qui a déjà la main sur Grand Funk - est rapidement conclu. Le temps, c'est de l'argent - time is money -, adage prisé des hommes d'affaires et particulièrement appliqué à l'époque par ceux qui s'occupent - gèrent - les musiciens de rock. Peut-être craignaient-ils que le phénomène soit éphémère. Ainsi, la bande est envoyé prestement en studio avec leur nouveau gourou, Terry Knight, et un premier album sort en mars 1970.

     Les musiciens avaient déjà de la bouteille, mais pas nécessairement leur nouveau répertoire. Ainsi, certaines pièces semblent être encore en état de gestation plus ou moins avancé. A commencer par le sympathique "Gotta Find a Way", sonnant comme un épigone d'Uriah Heep. Ou "Timepiece" qui, hélas, s'égare en partant trop tôt dans une joute entre l'orgue et la guitare inutilement étirée. Une des causes qui leur vaudra le sobriquet de "sous-Deep-Purple". Le pesant "Melvin Laid and Egg" évoque aussi le quintet dans sa période mark II, cependant "In Rock" ne sortira que trois mois plus tard. Le riff lui est aussi pataud que du Black Sabbath. Là encore, le morceau aurait gagné à réviser sa copie. Ici, simplement au niveau des claviers - un appoint maladroit - dont la partition est à la portée d'un primate. N'est pas Ken Hensley ou Jon Lord qui veut, toutefois Hill sort son épingle du jeu avec l'ambitieux et quasi élégiaque "Fantastic Piece of Architecture", instant éthéré naviguant entre Procol Harum et Uriah Heep.
En dépit de quelques errements, l'album peut surprendre par la cohésion du groupe et la maîtrise des musiciens. Jim Rutledge en premier, ou par un irréprochable jeu musclé et nerveux à la batterie, mais surtout par son chant viril et son timbre minéral qui font autorité sur l'album. Et puis il y a le dernier arrivant, Lee Pickens, qui s'y entend pour tricoter de robustes chorus de Heavy-rock dans un style bien américain, dont le tempérament pourrait se rapprocher - toutes proportions gardées - à un Nugent et un Buck Dharma, voire un Jim McCarthy.
Au regard des excellents "Castle of Thoughts" et "Double Cross", Bloodrock paraît avoir le potentiel pour réaliser un bien meilleur album. Suffisamment bon même pour marquer de son empreinte un Heavy-rock qui n'en est encore qu'à son premier âge.
Néanmoins, ce premier et méritant essai, avec ce son sec et aride comme le désert de Chihuahua, desséché et rugueux a, aujourd'hui encore, ses adeptes. Un critique enthousiaste de l'époque qualifia le groupe de "plus lourd groupe de Rock de tous les temps". Il est aussi considéré comme un disque de proto-heavy-metal.

John Nitzinger

     Parmi les compositeurs, on remarque le nom de Nitzinger qui revient à trois reprises. Il s'agit de John Nitzinger, un ami proche du groupe, qui va rester auprès d'eux jusqu'à leur quatrième album, "Bloodrock U.S.A.", en 1972. John Nitzinger est une figure emblématique du Texas. Né à Fort Worth, tout comme les musiciens de Bloodrock, il débute sa carrière très jeune, dans les années 60, réussissant à sortir quelques 45 tours (le premier à quinze ans !). Notamment avec "The Barons", pas très éloigné du 13th Floor Elevators de Roky Erickson, (la cruche électrifiée en moins), où Nitzinger déploie déjà d'évidents talents d'habile compositeur. Ses chansons pour Bloodrock, s'érigeant justement parmi les meilleurs du groupe, attisent l'intérêt de Capitol qui lui offre l'opportunité d'enregistrer un premier disque solo. "Nitzinger" sorti en 1972 est un très bon disque de Rock Texan aux senteurs boogie, blues, heavy et Southern. Sur le second, "One Foot in History" (1973), quelques parfums Jazzy s'immiscent.

Dans les années 80, après avoir monté un groupe avec Carl Palmer, il rejoint Alice Cooper lors de la période "Special Forces" (on a pu le voir lors d'une émission de télévision française consacrée à son retour), et il participe à la composition et aux sessions de trois chansons de l'album "Zipper Catches Skin" (dont le bon "Tag, You're It"). Bien plus récemment, il a fait un peu le buzz dans le milieu des harderoqueurs avec un album en partenariat avec Dave Evans, le premier chanteur d'AC/DC.

     Le deuxième album, sobrement intitulé " 2 " (ce n'est pas l'imagination qui les étouffe) est d'un autre tonneau. La formation a progressé, mûri. Entre-temps, elle s'est étoffée d'un sixième membre. Afin d'assurer pleinement son rôle de chanteur, Rutledge laisse sa place derrière les fûts à Rick Cobb. Aux tous débuts, le micro était partagé avant que l'on ne se rende à l'évidence qu'une chanson sans Rutledge perdait trop de tempérament.
Bien que Knight n'ait pas concédé sa place derrière les manettes, la production a gagné en ampleur, en consistance, rendant nettement plus justice à ce Heavy-rock.


     Ainsi, ce deuxième essaie démarre avec un solide "Lucky in the Morning" qui résonne avec force comme le meilleur du Uriah Heep des années 71-73, et un break plus agressif plus proche de Blue Öyster Cult.

On remarque aussi que la basse a pris du poids, qu'elle fuse presqu'autant que la Jazz bass de Mel Schacher. "Cheater" reprend d'ailleurs quelques codes inhérents au trio de Flint, lorsqu'il se fait hargneux tout en usant de chœurs inspirés de la Soul.
"Sable and Pearl" est une ballade entrecoupée de brefs accès de rage qui s'inscrit comme une étrange rencontre entre Styx et le Grease band de Joe Cocker.
"J'ai parcouru la terre pendant de nombreuses années. J'ai bu du vin des rois, vêtu de sable et de perles, mais tout ce que j'ai fait n'était pas nouveau. Le sable et la perle ne pourraient jamais me toucher et tu m'apprends à t'aimer comme tu peux"

"Fallin' ", pur Hard-rock américain qui présente lui aussi quelques analogies avec le Styx du premier album.
"Children's Heritage" et "Dier Not a Lover", voire le fantaisiste et léger "Fancy Space Odyssey" (dont le sens des paroles est insondable) s'inscrivent dans une veine plus Rock'n'Roll, profondément marquée par un torride Boogie, à la façon de Blue Öyster Cult. Pourtant, la secte new-yorkaise de Pearlman et compagnie, bien que tournant assidûment depuis quelques années, n'a pas encore enregistré d'album. C'est parfois à se demander si Bloodrock n'aurait pas eu une influence sur l'évolution de BÖC.


   Alors que "D.O.A." ("Dead On Arrival") reste leur grand succès succès radiophonique, elle s'inscrit dans une sphère assez différente. C'est une chanson macabre, inspirée par une expérience singulière de Lee Pickens qui allait stopper net toute velléité de devenir pilote de ligne. Celle du jour où il vit un avion s'écraser peu après son décollage, alors qu'il venait d'en descendre. C'est chanson classée aux USA parmi les plus effrayantes (?) est un peu la rencontre de l'Uriah Heep de "Demons & Wizards" avec Alice Cooper, avec quelques accessoires sonores appréciés par ce dernier. Rien de particulièrement excitant pourtant ; ça refroidit même considérablement l'atmosphère de l'album. De là à dire que c'est le moment faible de l'album il n'y a qu'un pas. (la chanson a été reprise par Manilla Road et The Fuzztones)


    Étonnamment, si Bloodrock a assez souvent été assimilé à un Deep-Purple Texan - et mal dégrossi -, les quelques similitudes avec Uriah-Heep sont passées sous silence, alors que le timbre de Rutledge pourrait être décrit comme un John Lawton en plus rustique. 
D'autres morceaux - des trois premiers albums - pourraient être présentés comme du Steppenwolf joué par Cactus seconde mouture. Sans oublier les liens (ténus ?) avec Blue Öyster Cult.
Bref, un groupe parfois décrié mais qui semble néanmoins avoir marqué, un tant soit peu, le Heavy-metal américain. 

     "Bloodrock 2" reçoit la faveur du public, et grimpe à une place honorable dans les charts américains, caracolant à la vingt-et-unième place. C'est le premier disque d'or du groupe. D'autres vont suivre, sans toutefois parvenir à dépasser son statut d'espoir de deuxième division. Malgré la bonne réputation scénique qui le précède. Une réputation qui en fait un groupe plus heavy sur les planches. Ce dont témoigne "Bloodrock Live" (même si l'album contient trois chansons rejouées en studio), parfois considéré comme la meilleure réalisation du sextet.

     Après le départ de Lee Pickens, puis de Jim Rutledge, tous deux en 1972, Bloodrock va changer radicalement de face pour embrasser le Rock progressif. Un changement trop radical qui va lui faire perdre une bonne partie de son public, qui va entraîner la dissolution de la formation en 1975 après deux nouveaux disques.
     Le groupe ne renaîtra que trente ans plus tard. Pour un concert de retrouvailles - sans Rick Cobb -, filmé et commercialisé en DVD, pour aider à financer les soins médicaux de Stevie Hill, atteint d'un cancer.


(1) Tout comme une large majorité des formations de l'époque, usées jusqu'à la corde, pressées jusqu'à leur dernière goutte de sang. Avant de s'en défaire sans état d'âme, sans la moindre compassion. Sympa l'industrie musicale.
(2) Voire la pochette intérieure - du 33 tours - du "Rockin' The Fillmore" d'Humble Pie.


🎼🎶☓

2 commentaires:

  1. Sur le premier titre c'est étonnant, on a l'impression d'entendre Billy Powell au piano (Lynyrd) et parfois Coverdale ou "Cover Plant" au chant. Le deuxième est très Prog sur les mises en place orchestrales, le clavier, les fills de batterie, ouais ça sonne comme du DP IV mais avec ce petit coté sud... Étonnant. Et bien dans l'air du temps de cette époque.

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    1. Il y a effectivement parfois quelques analogies avec le Pourpre profond, mais je n'aurais pas pensé au mark IV.

      Pour un batteur, il me semble que le jeu de Rick Cobb est assez intéressant. Un peu entre Ian Paice - justement - et Albert Bouchard. Étonnant que sa carrière se soit arrêtée avec Bloodrock.

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