samedi 9 mai 2020

Philip GLASS – Aguas da Amazonia – UAKTI (groupe de percussions brésilien) - par Claude Toon



- Allo M'sieur Claude, c'est Sonia, sympa cette musique inspirée par les paysages de l'Amazonie et les musiques brésiliennes…
- Oui Sonia, une musique inclassable, le résultat de la coopération entre Uakti, un groupe de brésiliens que le guitariste Paul Simon présenta au compositeur éclectique Philip Glass…
- C'est chouette ce travail entre musiciens d'horizons musicaux très divers, vous en aviez déjà parlé de Philip Glass…
- Oui, pour sa musique pour piano, son sublime concerto pour violon par Gidon Kremer et la symphonie n°2 pour le moins vivifiante…
- Ils ont des sons bizarres certains instruments, on dirait des casseroles, des bouts de tuyaux, etc.
- Hihihi, il y a un peu de ça Sonia, Uatki utilise des instruments traditionnels et en fabrique d'autres à partir de matériaux insolites : des bois exotiques rares, du verre, du PVC, je vais y revenir… 

Marimbas à eau - membres de Uatki
Il y a des musiques totalement inclassables. Aguas da Amazonia (Eaux d'Amazonie en portugais) en fait partie. Certes le compositeur Philip Glass entre dans la catégorie Musicien classique. Sa formation classique le prédestinait à ce statut et son catalogue immense comprend : des opéras, des concertos, des symphonies, des ballets, des quatuors, et même des études pour piano.
Tournant le dos au dogmatisme et cloisonnement des courants musicaux de la vieille Europe, ce drôle de pianiste et compositeur américain (83 ans) a travaillé avec David Bowie, le groupe de musique expérimental brésilien Uakti écouté ce jour, Paul Simon (célèbre guitariste folk qui lui a présenté ce groupe), Danny Elfman (auteur des musiques des films de Tim Burton), le groupe de rock Muse, le joueur de cithare indien Ravi Shankar, et j'ai assisté à un concert à Paris où il accompagnait Patti Smith au piano dans un récital d'adaptation de poèmes de Allen Ginsberg, poète dont il s'était inspiré pour écrire sa "Plutonium symphony".
Pour la petite histoire, c'est par quelques lignes écrites sur Amazon à propos de ladite symphonie enregistrée par son chef et ami Dennis Russell Davies que j'ai débarqué inopinément dans le Deblocnot (janvier 2011). Dennis Russell Davies a quant à lui fait son entrée dans le blog par sa très opportune gravure de la 1ère symphonie postromantique du compositeur autrichien Hans Rott tué à Auschwitz.

Philip Glass au piano
XXXX
Et pour certains grincheux (qui ne doivent pas lire le blog) qui pensent que Glass est un touche à tout qui sera vite oublié, je signale que j'ai assisté en 2017 à l'un des concerts donnés au Collège des Bernardins à Paris, magnifique salle voûtée de style gothique et dans laquelle sur plusieurs soirées était donnée l'intégrale des quatuors de Philip Glass (7 dont une création) et ceux de Franz Schubert (15). Avec Maggy Toon, on avait choisi le programme : 7ème quatuor de Glass (des sonorités mystérieuses car chaque instrumentiste joue dans une tonalité différente, bravo M'sieur Glass, il faut maîtriser le solfège pointu) et le 15ème quatuor de Schubert qui est de la même importance que le 14ème bien connu sous le titre "La jeune fille et la mort". Quand à 80 ans on en est à partager l'affiche avec Schubert, l'un des plus grands génies du genre quatuor, l'entrée des partitions à la Congress Library à côté des manuscrits de Brahms n'est plus loin… Associations de rêve dans laquelle, à deux siècles d'intervalle, les deux compositeurs semblent partager fougue créatrice et mélancolie…
Pour une biographie plus détaillée de Philip Glass, rendez-vous à un article de 2013 consacré à deux albums de pièces pour piano seul (Clic).
L'œuvre aussi bizarroïde que poétique que nous écoutons aujourd'hui peut faire penser à une musique de film, genre pour lequel Glass a souvent été sollicité, soit pour des films expérimentaux comme Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio, soit pour des longs métrages comme The Hours de Stephen Daldry ou encore Notes on a Scandal de Richard Eyre, Mishima de Paul Schrader, Le Rêve de Cassandre de Woody Allen, etc., au moins une dizaine de B.O.F.. 3 nominations aux Oscars, 2 au Golden Globes, aucune récompense L. Des extraits de ses œuvres classiques dans les films ne se comptent plus, exemple : le long plan séquence à la fin du film Polina, danser sa vie avec un sublime pas de deux, en nocturne et sous la neige, dansé sur le mouvement lent du concerto pour violon (Clic), beau et sensuel à pleurer…

Tout comme Terry Riley, Steve Reich et John Adams qui s'échappera vers un style plus libre, Philip Glass fait partie des pionniers du mouvement musical dit minimaliste et répétitif. Le principe est détaillé dans l'article cité en référence. Je résume le concept : l'écriture repose sur la répétition de motifs musicaux formés de groupes de notes, accords compris, de même hauteur et de même durée.
Les premières portées pour quatre percussionnistes du morceau Japura River reproduites ci-contre sont explicites ; notez les altérations, donc un léger chromatisme pour éviter un effet "entêtant" à l'écoute… L'instrumentation est pittoresque : "Saladier en verre et petit maillets en caoutchouc" J. (Photo en introduction)
La mélodie naît de la modulation de la notation et des tonalités, et de ruptures subtiles, dans la succession récurrente de ces motifs miniatures. Ce qui peut paraître assommant dans des œuvres longues et trépidantes voire dogmatique dans l'utilisation de la règle de ce solfège itératif, comme dans l'opéra Einstein on the Beach de plus de 4 heures, devient hypnotique dans des œuvres où l'articulation mélodique est plus élaborée et colorée. (Image : plage 2)

Uakti et leurs créations (Grand Pan)
La genèse de ce disque est simple : début des années 90, Philip Glass voyage au Brésil avec son pote le guitariste et chanteur Paul Simon (ami-ennemi de Art Garfunkel, Sounds of Silence J). Glass vient de composer un ballet Seven or Eight Pieces pour le Grupo Corpo Brazilian Dance Theater. Paul Simon qui connaît le groupe de percussionnistes et les travaux expérimentaux et folks Uakti (démarche comparable à celle de Bartok en Hongrie) présente le quarteron à Glass, l'inventivité redoutable du compositeur en termes de rythmique pouvant être une aubaine pour le répertoire et le style percussif d'Uakti. L'équipe est constituée, le ballet servira de support à la composition. Ce n'est pas un genre en soi mais une symbiose de musique classique, de new âge et de jazz. Aux huit morceaux constituant le ballet, Glass ajoute deux transcriptions : l'Étude n°2 du volume 1 pour piano et Metamorphosis également pour piano.
Fruit de cette collaboration, Aguas da Amazonia est enregistré en 1999 par les quatre membres d'Uakti rejoint par Michael Riesman, pianiste, chef d'orchestre et compositeur, compagnon de route de Philip Glass depuis 1974 et dont il a enregistré de nombreux ouvrages, notamment les musiques de film. La pianiste Regina Stela Amaral joue la partie dédiée à un second clavier. Paulo Sérgio dos Santos et Décio de Souza Ramos Filho jouent sur les percussions, Artur Andrés Ribeiro est au pupitre des flûtes et des bois. Marco Antônio Guimaraes dirige le tout et apporte sa contribution aux cordes…
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Les paysages variés de l'Amazone et de ses affluents, indissociables de la culture brésilienne et les airs autochtones ont inspiré les créateurs, les titres sont évocateurs. Une musique sans prise de tête, des sonorités qui vont de l'orgue électronique dans l'introduction à un "kaléidoscope" de sons cristallins issus d'un choix étonnant d'instruments de types vibraphones, en bois rares ou même en verre, des appareils en PVC, d'autres remplis d'eau comme les verres des artistes de music-hall, des flûtes diverses, des pianos. Aucun commentaire ne convient à cette musique qui, volontairement ou pas, peut faire penser à l'eau parcourant ces rivières ou à des chants des régions tribales ; une invitation au voyage. À la liste des morceaux, j'ajouterai l'"orchestration" et une description sommaire des plus insolites…

Changement de vidéo ; ne plus tenir compte du minutage 😊


Titre
Instruments principaux
[0:00]
1.     Tiquiê River
Orgue électronique I & II
[1:42]
2.     Japura River
Grand Pan*, Marimba d'Angelim*, marimba de verre* I, II & III, flûte d'Uatki, claviers
[6:28]
3.     Purus River
Claviers, Marimba d'Angelim, marimba de verre, Grand Pan, 4 flûtes, Pakhawaj*. Long morceau très évolutif…
[14:11]
4.     Negro River
Claviers, Grand Pan, Pan incliné*, Pakhâwaj, Marimba d'Angelim, 4 flûtes, marimba de verre, flûte avec étouffoir.
[18:31]
5.     Madeira River
Claviers, Marimba de verre I, II & III, Grand Pan*, Xylophone.
[22:30]
6.     Tapajos River
Marimba de verre I & II, Grand Pan, Pan incliné, Claviers, Tambourin.
[25:16]
7.     Paru River
Marimba d'Angelim, Marimba de verre, Grand Pan.
[29:46]
8.     Xingu River
Grand Pan, Pan incliné, Tambourin, Marimba de verre, Marimba d'Angelim
[34:51]
9.     Amazon River
Claviers, Marimba de verre, Marimba d'Angelim, flûte avec étouffoir, Big pipe*, Borel*, chori*, 2 tambours,
Xylophone, caisse claire.
[42:12]
10.   Metamorphosis I
Grande pièce additionnelle de 12 minutes : Piano, Grand Pan, Pan incliné, Marimba de verre, Marimba d'Angelim,
flûte I & II, Caxixis*, guitare acoustique,  I & II, Picolo, Iarragunga*, Big pipe, Tambourin.

* Marimba d'Angelim : xylophone dont les lames sont constituées d'une essence d'un bois hétérogène permettant des jeux de timbres chamarrés.
* Marimba de verre : xylophone dont les lames sont constituées de verre, on obtient un son cristallin detimbré.
* Grand Pan : ou "casseroles", vibraphone vertical constitué de tubes en PVC frappés par un maillet en caoutchouc (invention Uatki).
* Pan incliné : idem mais avec des tuyaux plus petits répartis en plan incliné.
* Pakhawaj : djembé brésilien.
* Big pipe : Grande flûte linéaire très longue (2-3m).
* Borel : accordéon miniature (grand harmonica avec des touches).
* Chori : cithare de forme surréaliste d'origine africaine ou de fabrication maison…
* Caxixi : maracas traditionnels en paille tressée contenant des graines.
* Iarragunga : vibraphone quadrangulaire sur le principe du pan (tuyaux de PVC).

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